Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Claudel (Paul) (suite)

Il est conformiste et préfère croire aux paroles officielles qu’à d’autres, peut-être plus vraies. Il est lui-même un officiel, du moins dans l’Église et sous le pape Pie XII, dont tout l’effort est de maintenir. Tout cela s’arrange fort bien ensemble, et nous sommes loin du déchirement de Tête d’or. Comment la jeunesse serait-elle attirée par ce poète classique et dévot, sauf quand il se déguise sur les planches ?

La suprême grandeur de Claudel, pourtant, c’est d’être authentique. Les oripeaux dont il est affublé ne l’aveuglent pas, même s’il y tient plus qu’on ne voudrait. Claudel contemple le temps révolu avec une profonde nostalgie, comme firent avant lui Dante, Virgile et Homère. Il est un homme du xixe s. qui s’est longtemps survécu dans le nôtre. Jamais, néanmoins, son regard de chrétien et de poète ne s’est détaché du futur. Il sait que nous n’avons pas ici-bas de demeure permanente et que la figure de ce monde passe. Il nous appelle à une unité et à une communion qui sont loin d’être encore réalisées. Mais, en attendant, il fallait que le poète accomplît sa tâche, qui était de réunir pour l’offrande et peut-être pour l’holocauste ce que, dans « les Muses », il appelle « la Troie du monde réel ».

Sans doute, le temps qui vient permettra-t-il de mieux évaluer la taille et l’importance de cet énorme monolithe chu dans les lettres françaises au tournant des deux siècles et dont la gloire s’étend aujourd’hui au monde entier. Pour nous, qui fûmes à quelque distance d’années ses contemporains, nous sommes encore éblouis pour pouvoir rien dire de ces œuvres multiples et variées, sinon qu’elles furent « très bonnes », valde bona, et que la postérité la plus lointaine y devra chercher et y trouvera nourriture, comme Claudel fut lui-même nourri par les poètes antiques.

J. M.

➙ Symbolisme / Théâtre.

 J. Rivière, « Paul Claudel poète chrétien », dans Études (Gallimard, 1911). / G. Duhamel, Paul Claudel (Mercure de France, 1913). / J. Madaule, le Génie de Paul Claudel (Desclée De Brouwer, 1933) ; le Drame de Paul Claudel (Desclée De Brouwer, 1935 ; 5e éd., 1964) ; Claudel et le langage (Desclée De Brouwer, 1968). / H. Guillemin, Claudel et son art d’écrire (Gallimard, 1955) ; le Converti Paul Claudel (Gallimard, 1968). / L. Chaigne, Vie de Paul Claudel et genèse de son œuvre (Marne, Tours, 1961). / P. A. Lesort, Paul Claudel par lui-même (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1963). / P. Claudel, Paul Claudel (Bloud et Gay, 1965). / A. Vachon, le Temps et l’espace dans l’œuvre de Paul Claudel (Éd. du Seuil, 1965). / F. Varillon, Claudel (Desclée De Brouwer, 1967). / G. Cattaui, Claudel. Le cycle des Coûfontaine et le mystère d’Israël (Desclée De Brouwer, 1968). / S. Fumet, Claudel (Gallimard, 1968). / G. Gadoffre, Claudel et l’univers chinois (Gallimard, 1969). / P. Brunel, Claudel et Shakespeare (A. Colin, 1971). / M. Lioure, l’Esthétique dramatique de Paul Claudel (A. Colin, 1971). / E. Francis, Un autre Claudel (Grasset, 1973). / H. de Lubac et J. Bastaire, Claudel et Péguy (Aubier, 1974).
On peut également consulter le Bulletin de la Société Paul Claudel (38 fascicules parus depuis 1958) ; les Cahiers Paul Claudel (Gallimard ; 9 vol. parus depuis 1959) ; Paul Claudel, cahiers annuels de la Revue des lettres modernes (5 vol. parus depuis 1964).

Clausewitz (Carl von)

Général et théoricien militaire prussien (Burg, près de Magdeburg, 1780 - Breslau 1831).


Penseur souvent nébuleux et philosophe beaucoup plus qu’homme d’action, bien qu’il ait intensément vécu la réalité de la guerre, Clausewitz a si profondément marqué la pensée militaire moderne que son enseignement demeure encore une référence pour quiconque approche de nos jours le domaine de la stratégie.

Fils d’un officier de Frédéric II, il participe au siège de Mayence (1793) et est admis en 1801 à l’École militaire de Berlin ; il y est remarqué par Scharnhorst, qui devient son maître et l’introduit à la Cour, où il est nommé aide de camp du prince Auguste de Prusse. Capitaine à vingt-six ans, il connut quinze jours après Iéna la honte de la capitulation de Prenzlau. Prisonnier, il est envoyé en France, où il découvre un monde auquel il vouera désormais la plus violente aversion. Libéré, il passe un mois à Coppet chez Mme de Staël, demeure un an encore auprès du prince Auguste, puis est nommé par Scharnhorst, en 1806, chef de la chancellerie du nouveau ministère de la Guerre, où, avec Stein, Hermann von Boyen et Gneisenau, il milite pour la résistance à la domination française. Instructeur militaire du prince héritier de Prusse en 1810, il lui enseigne la primauté du caractère, de la confiance en soi et du goût du risque. Mais, jugeant l’attitude du monde officiel prussien trop servile vis-à-vis de Napoléon, il passe en 1812 au service du tsar et prend une part essentielle à la négociation des accords de Tauroggen, qui marquent la reprise du combat contre la France de ses anciens camarades prussiens un instant égarés avec Yorck dans les rangs de la Grande Armée. En 1813, encore sous l’uniforme russe, il sert à l’état-major de Blücher, puis devient chef d’état-major de la légion allemande qui se bat dans les armées du tsar. Colonel en 1814, il réintègre enfin l’armée prussienne de « libération », qu’il n’a jamais cessé de servir. Il se battra en 1815 en Belgique, et, trois ans plus tard, Gneisenau lui confiera la direction de l’École de guerre générale de Berlin, où ses fonctions d’ordre essentiellement disciplinaire et administratif lui laisseront assez de loisir pour qu’il se consacre à son œuvre magistrale sur la théorie de la guerre. Inspecteur de l’artillerie en 1830, il est au moment de sa mort, en 1831, chef d’état-major du maréchal Gneisenau, qui commandait le corps prussien formé en Silésie lors de l’insurrection polonaise.

Si sa vie n’apparaît marquée dans sa période active que par une continuelle utilisation des circonstances dans la fidélité à une idée force, c’est essentiellement par sa pensée sur la guerre moderne, élaborée à partir des campagnes de Frédéric II et de Napoléon, que demeure sa personnalité. Celle-ci se retrouve dans ses nombreuses lettres et surtout dans son célèbre ouvrage Vom Kriege (De la guerre), publié (1832) par sa femme dans sa forme inachevée après sa mort. Cette œuvre se présente sous la forme d’une longue méditation sur la théorie comme sur la réalité de la guerre, dont l’auteur souligne à la fois l’absolu intrinsèquement violent de son essence (le but de la guerre est l’anéantissement de l’adversaire [...], il ne peut y avoir de limite à l’emploi de la violence) et la variété infinie de ses formes. Son mérite est d’aborder le problème de front et sous son angle le plus vaste, en le situant d’abord dans la hiérarchie de la pensée. La guerre n’est pas une fin en soi, mais un « moyen ». En tant que telle, elle doit se soumettre totalement à sa finalité, qui est toujours politique. « La guerre est un tout organique dont les divers éléments sont inséparables et où toutes les actions isolées doivent concourir au même but et être dirigées par une même pensée qui ne peut être que politique [...]. La politique, [...] qui représente tous les intérêts de l’ensemble d’une société, se sert de la guerre comme d’un instrument qu’elle prend, qu’elle pose et qu’elle reprend. » Or, la politique pouvant se proposer les objets les plus divers, la guerre doit revêtir le visage et adopter les moyens qui correspondent le plus efficacement à la mission que la politique lui assigne.