Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Clausewitz (Carl von) (suite)

Intégration de la pensée militaire dans une vision globale, importance des forces morales et des facteurs populaires et psychologiques dans la guerre — unité du fait de la guerre et donc d’une stratégie qui ne peut être que totale au risque de ne pas être —, imbrication étroite du commandement militaire dans la direction politique de l’État, définition des notions d’objectif stratégique (Ziel), de but politique (Zweck), de direction de guerre, d’effort principal (Schwerpunkt), tels sont les traits essentiels de l’héritage de Clausewitz. Le rayonnement de sa pensée sera considérable en Allemagne, où elle marquera profondément le grand état-major, de Moltke à Roon, de von der Goltz à Schlieffen, de Ludendorff à Seeckt. En France, la première traduction de Vom Kriege remonte à 1849, mais il ne semble pas que Clausewitz y ait été beaucoup connu avant la période de renouveau de la pensée militaire qui suivra la défaite de 1870. Il est toutefois curieux de constater que, comme toute la philosophie allemande contemporaine, sa théorie exercera une influence déterminante sur la conception de la guerre de l’école marxiste. Engels et Marx seront séduits par l’empirisme dynamique de la pensée de Clausewitz ; Lénine, surtout, fera, durant son exil à Zurich en 1915-16, une analyse systématique de Vom Kriege, qu’il considère comme le texte le plus important sur la philosophie de la guerre : « Les idées de Clausewitz, écrira-t-il, sont devenues aujourd’hui le bien incontesté de tout penseur. » En dépit de ses lacunes, dont la plus importante est de présenter une théorie exclusivement continentale de la guerre et d’ignorer totalement l’aspect maritime de la stratégie, Clausewitz conserve, comme théoricien et prophète de la guerre totale, une certaine actualité qui explique l’importance des études qu’a suscitées son œuvre depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

J.-E. V. et P. D.

 B. C. Friedl, les Fondements théoriques de la guerre et de la paix en U. R. S. S., suivi du Cahier de Lénine sur Clausewitz (Éd. Médicis, 1945). / C. Rougeron et P. Naville, « Préface et introduction », dans C. von Clausewitz, De la guerre (Éd. de Minuit, 1955). / P. M. de La Gorce, Clausewitz (Seghers, 1964). / R. Aron, Penser la guerre, Clausewitz (Gallimard, 1976 ; 2 vol.).

clavecin

Instrument de musique à clavier et à cordes pincées dont la forme extérieure est celle d’une harpe couchée (d’où le nom anglais de harpsichord).


Le son, amplifié par la table d’harmonie, est produit par un plectre (bec de plume ou de cuir) qui vient gratter la corde et la mettre en vibration. Ce bec est fixé en haut d’une baguette de bois — le sautereau — sur une pièce pivotante maintenue verticale par un fin ressort en soie de sanglier placé du côté opposé au bec. Le sautereau repose sur l’extrémité de la touche et, lorsque celle-ci s’abaisse, il s’élève par un mouvement de levier. Au même instant, le bec du sautereau butte contre la corde, puis l’accroche — ou la « pince » — en passant au-dessus d’elle.

Si le doigt quitte la touche, le sautereau s’abaisse par son propre poids, et le ressort permet au bec de revenir sous la corde sans la faire vibrer et de retrouver sa position initiale. En même temps, un morceau de feutre, l’étouffoir, collé sur le sautereau au-dessus du bec, vient reposer sur la corde et arrêter les vibrations. Simple et raffiné, ce mécanisme produit un son de puissance et de durée limitées. L’instrumentiste, par la façon de « toucher » le clavier, peut modifier subtilement le son, mais ne peut obtenir des variations d’intensité bien sensibles. Ce n’est pas, en effet, à des nuances que l’instrument doit sa richesse, mais à des plans sonores différents : à plusieurs rangs de sautereaux correspondent autant de rangées de cordes. Ces registres différents, aux timbres variés, font entendre soit un son fondamental, dit « de huit pieds », soit l’octave supérieure (jeu de quatre pieds) ou inférieure (jeu de seize pieds). Répartis sur un ou plusieurs claviers, les jeux peuvent sonner isolément ou simultanément.

L’instrument remonte au Moyen Âge : il est décrit par Henri Arnault de Zwolle dès le milieu du xve s., et nous le reconnaissons dans les Très Riches Heures du duc de Berry (1485).

C’est à l’Italie que nous devons le plus ancien instrument conservé de nos jours (1521). Toujours à un seul clavier, le clavecin italien a, en général, deux jeux de huit pieds, mais le second jeu peut être un jeu de quatre pieds. Un instrument de 1536 est doté de ce jeu, qui figure aussi sur des épinettes (petits instruments polygonaux à un jeu et au mécanisme semblable au clavecin). Les Flamands adopteront un jeu de huit pieds et un jeu de quatre pieds pour leurs instruments à un clavier, de construction plus massive, puis ajouteront un second clavier, dont le jeu de huit pieds permettra, au xviiie s., des échos ou renforcera le tutti instrumental par un système d’accouplement des deux claviers.

Il est certain que le second clavier, indépendant à l’origine, servit à élargir le champ tonal, limité par le tempérament inégal. Un tel instrument, dit « transpositeur », construit par Hans Ruckers, membre de la célèbre famille des facteurs flamands, nous est parvenu (1638).

C’est de cette école flamande que la facture française (Nicolas Dumont, Nicolas et Étienne Blanchet) s’inspire, en recherchant une sonorité plus lumineuse que puissante.

Les écoles flamandes (Daniel Dulcken), anglaises (les Hitchcock, B. Shudi, J. Kirkman) et allemandes (Albert et Hieronymus Hass) se révèlent surtout au xviiie s., alors que la facture devient plus complexe. Les jeux, jusqu’alors manœuvrés par des tirettes placées au-dessus des claviers, pourront l’être par des genouillères. Les registres et même les claviers se multiplient : Hass, en Allemagne, construit des instruments d’exception à cinq jeux (utilisant des jeux de deux et de seize pieds), répartis parfois sur trois claviers. Des sonorités nouvelles (tel le « jeu de buffle » qu’utilise Pascal Taskin en France) et des instruments expérimentaux voient le jour à la fin du siècle. Tentatives de renouvellement de la facture qui ne résisteront pas à la vogue croissante du pianoforte.

Pourtant, le clavecin ne disparaît pas réellement au xixe s. : les facteurs Charles Fleury (1850), puis Louis Tomasini (vers 1885) nous conduisent à l’aube du xxe s.