Clausewitz (Carl von) (suite)
Intégration de la pensée militaire dans une vision globale, importance des forces morales et des facteurs populaires et psychologiques dans la guerre — unité du fait de la guerre et donc d’une stratégie qui ne peut être que totale au risque de ne pas être —, imbrication étroite du commandement militaire dans la direction politique de l’État, définition des notions d’objectif stratégique (Ziel), de but politique (Zweck), de direction de guerre, d’effort principal (Schwerpunkt), tels sont les traits essentiels de l’héritage de Clausewitz. Le rayonnement de sa pensée sera considérable en Allemagne, où elle marquera profondément le grand état-major, de Moltke à Roon, de von der Goltz à Schlieffen, de Ludendorff à Seeckt. En France, la première traduction de Vom Kriege remonte à 1849, mais il ne semble pas que Clausewitz y ait été beaucoup connu avant la période de renouveau de la pensée militaire qui suivra la défaite de 1870. Il est toutefois curieux de constater que, comme toute la philosophie allemande contemporaine, sa théorie exercera une influence déterminante sur la conception de la guerre de l’école marxiste. Engels et Marx seront séduits par l’empirisme dynamique de la pensée de Clausewitz ; Lénine, surtout, fera, durant son exil à Zurich en 1915-16, une analyse systématique de Vom Kriege, qu’il considère comme le texte le plus important sur la philosophie de la guerre : « Les idées de Clausewitz, écrira-t-il, sont devenues aujourd’hui le bien incontesté de tout penseur. » En dépit de ses lacunes, dont la plus importante est de présenter une théorie exclusivement continentale de la guerre et d’ignorer totalement l’aspect maritime de la stratégie, Clausewitz conserve, comme théoricien et prophète de la guerre totale, une certaine actualité qui explique l’importance des études qu’a suscitées son œuvre depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
J.-E. V. et P. D.
B. C. Friedl, les Fondements théoriques de la guerre et de la paix en U. R. S. S., suivi du Cahier de Lénine sur Clausewitz (Éd. Médicis, 1945). / C. Rougeron et P. Naville, « Préface et introduction », dans C. von Clausewitz, De la guerre (Éd. de Minuit, 1955). / P. M. de La Gorce, Clausewitz (Seghers, 1964). / R. Aron, Penser la guerre, Clausewitz (Gallimard, 1976 ; 2 vol.).