Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

circulation des flux immatériels (suite)

Il est possible que les méthodes audio-visuelles rajeunissent et transforment certains apprentissages : c’est déjà chose faite pour les langues vivantes. Les machines à enseigner se révèlent également utiles au niveau des mathématiques, dit-on. On entrevoit donc des méthodes d’apprentissage de masse qui manquaient au monde de l’imprimerie. Mais les effets les plus rapides, et les plus spectaculaires, se situent ailleurs : ce sont les gestes de la vie courante qui se trouvent copiés à des centaines de milliers d’exemplaires, cependant que les hommes apprennent à se mouvoir dans un milieu d’artefacts dont ils ne comprennent pas le mécanisme, mais qu’ils aspirent à utiliser comme le font les héros qu’ils voient à l’écran. On parle, pour définir ces entraînements économiques, d’effets de démonstration : on connaît leur force dans le monde actuel, et leur poids dans l’évolution du tiers monde. Ils y introduisent des motivations économiques nouvelles, et en cela ils sont bénéfiques, mais ils créent une tension permanente entre production et consommation qui compromet souvent les chances de développement.

Les effets de l’écriture, ceux de l’imprimerie ont été considérables, mais ils ont mis si longtemps à se faire sentir qu’on a négligé l’analyse des problèmes de communication. Les mutations que nous vivons grâce au cinéma, à la radio, à la télévision et au téléphone sont si rapides qu’on prend soudain conscience de l’importance des moyens de l’échange immatériel dans le façonnement même des sociétés : Marshall McLuhan a construit là-dessus toute une philosophie, et certains voient dans le retour à l’oralité, à certaines formes de communication directe la condition de l’apparition de civilisations moins déséquilibrantes que celles un peu froides qui s’appuyaient uniquement sur l’écrit. Même sans suivre ces nouveaux prophètes, on comprend mieux comment les équilibres géographiques, sur le plan social comme sur le plan économique, dépendent du système de communication : on saisit l’originalité des cellules fermées du monde archaïque, la nature duale des grandes constructions des sociétés intermédiaires, l’intégration profonde qui caractérise les sociétés industrielles et marquera sans doute aussi les sociétés postindustrielles.


Évolution des communications et conséquences géographiques : localisation des aménagements et des équipements

La communication implique des aménagements et des équipements, même lorsqu’elle se fait sous ses formes les plus simples. La géographie est dans une large mesure conditionnée par eux. La communication directe, tête-à-tête ou conférence, demeure un mode privilégié de relation : elle implique la réunion de personnes dans un même local. Les déplacements qu’elle présuppose créent des charges, que l’on cherche à réduire au minimum en offrant le plus grand choix possible de circuits de communication sur le plus petit espace : c’est le rôle essentiel du marché. Lorsque les communications ont toutes le même objet, on peut se passer d’équipement spécial : un espace libre, une place suffisent. Lorsqu’on désire changer d’interlocuteurs, de sujet, passer du dialogue à la situation d’auditeur dans un espace de temps aussi bref que possible, la situation est toute différente. Tout l’espace doit être modelé en vue de la commutation des circuits. La distance entre les divers interlocuteurs ou lieux de réunion doit être réduite au minimum, cependant que chaque relation se déroule à l’abri des autres, de manière à éviter « le bruit » qui viendrait lui faire perdre de l’efficacité. Les quartiers d’affaires des grandes villes sont ainsi de gigantesques commutateurs sociaux, qui permettent la multiplication des relations face à face. Ils sont également conçus pour bénéficier des meilleures relations à distance. Nous y reviendrons.

Les équipements nécessités par les télécommunications à distance sont plus lourds et plus complexes que ceux qui facilitent l’interrelation directe. Ils sont de plusieurs natures : certains sont liés au codage qui précède l’émission, puis à la transmission du message le long des lignes ; d’autres traduisent la nécessité d’offrir des garanties d’objectivité ; certains enfin ont pour but de concentrer l’information, qui sera ensuite redistribuée au niveau des communications de masse.

L’organisation d’un système de communication s’explique par les caractéristiques des éléments qui le composent : capacité et vitesse des codeurs et des décodeurs, débit et rapidité de transmission des lignes. Tant que les moyens de communication à distance sont lents et coûteux, il est difficile d’assurer une transparence générale si on ne prend pas un certain nombre de précautions.

Dans les civilisations traditionnelles, ce sont les caractéristiques des lignes qui sont généralement les éléments limitants. Les messagers, les courriers ne peuvent transporter qu’un nombre restreint de nouvelles. Toute l’information ne peut être centralisée : le système n’est efficace que grâce à des relais, dont le rôle est multiple. Ils mettent en relation directe tous les éléments de circuit qui peuvent se refermer sur l’espace local. Pour les autres, ils effectuent un tri et le codage spécial nécessaire à l’envoi à longue distance. Ainsi, de proche en proche, se définit une structure hiérarchique des circuits d’information. Elle est particulièrement nette dans le cas de la vie politique et administrative. Les géographes ont depuis longtemps été frappés de la régularité qui marque la distribution des centres urbains à la surface de la terre. La théorie des lieux centraux permet d’en rendre compte ; elle fait appel pour cela à l’analyse des marchés et de leur dimension ; mais on n’a pas cherché à voir si la structure hiérarchique ne dépendait pas davantage de la dynamique des systèmes de communication que de celle des organisations de service. Il nous semble qu’il y a là un principe qu’il importerait d’intégrer à tout travail sur les réseaux urbains. Dans le monde préindustriel, la structure de marché est en particulier incapable de fournir une explication satisfaisante de hiérarchies souvent peu marquées dans le nombre des habitants mais essentielles sur le plan qualitatif.