Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

circulation des flux immatériels (suite)

Les progrès dans la technique des communications à distance se sont traduits par une amélioration constante de la rapidité de transmission des messages et par des capacités accrues des lignes. Il devient possible de supprimer bon nombre de relais, et la structure hiérarchique peut totalement disparaître. On pourrait imaginer, par exemple, dans un petit pays, que tous les circuits téléphoniques dépendent du même central. En fait, on préfère procéder différemment. Les centres sont multiples, et chacun permet les commutations intérieures. Le solde des relations passe par des centres de transit. La hiérarchie n’est plus caractérisée par la concentration absolue : on a créé un système d’interrelation entre des noyaux dont le poids est souvent équivalent. Sur le plan géographique, cela se traduit par l’apparition de réseaux urbains dont la structure hiérarchique est peu nette et qui sont caractérisés par une interaction élevée entre des centres de poids équivalents.

Les moyens de communication de masse ont des caractéristiques différentes : tout se passe comme si un même émetteur entrait en rapport avec un très grand nombre de personnes par des lignes séparées. Dans le cas de la radio, le nombre de liaisons ainsi établies peut être théoriquement infini. La localisation de l’émetteur est conditionnée en partie par celle du réseau qu’empruntent les communications, services de presse ici, chenaux hertziens, relais, réémetteurs et câbles coaxiaux dans d’autres cas. L’origine du message est unique et il est plus commode de se trouver bien placé par rapport aux moyens d’acheminement. Cependant, lorsque le message diffusé provient d’une seule personne (c’est le cas du livre, par exemple) et lorsque le délai d’acheminement n’est pas un élément essentiel du service, il est possible de s’installer en dehors des grands nœuds du système général des communications. Il suffit d’être placé dans une ville qui offre les commodités suffisantes pour faire vivre le personnel employé dans l’imprimerie ou dans les studios d’émission. Dans le domaine scientifique, des éditeurs qui travaillent dans le calme de petites villes universitaires ont un rayonnement mondial.

En règle générale, pourtant, l’émission se concentre dans les grandes métropoles. Cela tient à ce que la structure du circuit, pour la plupart des messages transmis, est plus complexe qu’il n’apparaît à première vue. L’émetteur retransmet des informations qui ont été recueillies par tout un réseau spécialisé : il est difficile de ne pas l’organiser selon un principe hiérarchique, comme nous l’avons vu. La quantité de messages diffusés est telle que les frais de réunion de l’information sont gigantesques : il n’existe, dans le monde moderne, que quelques agences de presse qui couvrent l’actualité pour l’ensemble de la planète. La difficulté qu’il y a à trouver la matière pratiquement continue est si réelle que tout le contenu s’en trouve infléchi : l’image des événements est déformée par la place accordée au sensationnel ; celui-ci est plus facile à connaître que ce qui rentre dans les normes de l’existence courante. À la limite, on peut voir le réseau de communications de masse modeler lui-même l’actualité : le Tour de France permet de trouver une matière abondante et spécialement conditionnée pour un public avide de retournements imprévus. Les contraintes de l’information sont énormes : qu’un grand homme décide dans son testament d’être enterré dans un petit village, et voilà tous les réseaux de radio et de télévision qui menacent d’être privés du reportage dont ils rêvaient...

On a cru que les communications à distance favoriseraient la dispersion des hommes et de leurs activités. C’est vrai dans une certaine mesure. Mais le prix à payer pour accéder à un réseau de communications dense est tel que c’est bien plutôt l’inverse que l’on constate. D’ailleurs, les relations lointaines ouvrent davantage de nouvelles possibilités d’échange qu’elles ne se substituent aux relations directes, en tête à tête. On n’est pas encore parvenu à une fidélité suffisante pour que tous les aspects de l’acte de communiquer soient transmis sans peine.

On ne s’étonnera donc pas de voir que la géographie façonnée par le monde des communications à distance soit celle d’une concentration accrue. Assurément, l’isolement des campagnes et des régions reculées est rompu. Mais la population mondiale se concentre sans cesse davantage dans des aires métropolitaines qui autorisent une densité de relations, une diversité dans leurs formes et dans leurs types dont on ne peut disposer ailleurs.

La géographie des flux immatériels demeure donc caractérisée par une extrême inégalité des possibilités offertes selon les lieux. Là où le peuplement est dispersé, on ne peut bénéficier que de moyens de communication de masse légers, la radio par exemple. Dans les zones de concentration des grands pays industriels coexistent au contraire des réseaux multiples de câbles, de services de distribution, de services de nouvelles. Les postes émetteurs se disputent les bandes, et une réglementation sévère est nécessaire pour apporter un minimum d’ordre. Les circuits à infrastructure légère — les satellites artificiels par exemple — paraissent d’ores et déjà insuffisants devant les besoins d’échanges : on met en place des circuits coûteux de câbles coaxiaux à l’échelle des continents ou entre les continents. La géographie des flux immatériels est difficile à appréhender : elle n’en est pas moins essentielle à qui veut connaître les forces qui modèlent le monde contemporain.

P. C.

 J. Cazeneuve, Sociologie de la radio-télévision (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1962 ; 2e éd., 1965). / M. MacLuhan, Understanding Media (New York, 1964 ; trad. fr. Pour comprendre les média, Mame et Éd. du Seuil, 1968). / C. Flament, Réseaux de communication et structures de groupe (Dunod, 1965). / A. Moles, Sociodynamique de la culture (Mouton, 1967).