Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

circulation des flux immatériels (suite)

L’imprimé transmet parfaitement les messages dont l’intelligence n’offre pas de difficultés. Lorsqu’un effort d’intériorisation est nécessaire, le dialogue est sans doute plus efficace. Aussi, les procédés d’acculturation n’ont-ils pas été aussi profondément modifiés par le développement de l’imprimé qu’on pourrait le croire : l’enseignement est resté fidèle dans la plupart des pays, et pour beaucoup de matières, aux procédés oraux. En ce qui concerne l’apprentissage des techniques, le retard a été plus considérable encore : tant que les métiers étaient faits davantage de tours de main que de connaissances faciles à transmettre sous la forme d’un discours, l’essentiel de la formation des hommes s’est fait selon des modes traditionnels. L’apprentissage de l’art de lire et d’écrire se superposait à celui du métier, mais ne l’aidait en rien : que de fois n’a-t-on dénoncé ce côté irréaliste de l’école, son impuissance à préparer à la vie !

Au-delà d’un certain niveau de formation, et lorsqu’on traite de problèmes scientifiques, la communication par l’imprimé devient efficace : sans elle, l’explosion de la pensée moderne eût été impossible.

La révolution industrielle à ses débuts a été beaucoup moins qu’on ne le croit souvent affaire de savants. Ce n’est qu’aux alentours de 1850 que les progrès de la mécanique, les innovations de la chimie deviennent l’œuvre d’hommes de laboratoire ; ce n’est qu’à partir de ce moment aussi que les métiers industriels cessent d’être faits de tours de main empiriques et que les connaissances scientifiques en facilitent l’acquisition. Malgré l’importance de ces bouleversements, on n’a pas le sentiment, au milieu du xxe s., que l’imprimé ait réussi à se substituer avec avantage aux modes de communication traditionnels dans une partie importante du domaine technique.

Au fur et à mesure que l’analphabétisme reculait, l’imprimé révélait cependant sa surprenante efficacité dans un certain nombre de domaines. Les journaux ont fait connaître l’actualité, l’événement ; ils ont fait participer tout le monde à l’existence politique. Le besoin de nouvelles qu’ils ont créé est si vif qu’il leur arrive de fabriquer l’événement. Toute l’organisation politique de la cité s’en trouve bouleversée : les grands débats sont portés à la connaissance de l’homme de la rue. La civilisation de masse retrouve l’unité qui manquait aux civilisations duales, où la communication n’était pas également accessible à tous. Mais, dans la société de masse, la dissymétrie de la relation rend possible le conditionnement délibéré. Seule la concurrence de plusieurs chaînes d’information parallèles peut garantir l’objectivité des nouvelles.

La dissymétrie des communications de masse a été exploitée systématiquement par les entreprises industrielles. Le consommateur s’est trouvé informé et conditionné par la publicité. Tout l’équilibre en a été modifié : on le sent à l’importance prise soudain par les espaces nationaux au moment où la croissance économique devient continue ; là où le marché est préparé par une presse largement diffusée, l’innovation est stimulée par la perspective de ventes aisées dans un public bien disposé.

La création d’institutions spécialisées et efficaces a eu d’autre part de profondes répercussions sur la diffusion des informations économiques nécessaires à l’élaboration des décisions. En Angleterre, en particulier, on voit dès le xviiie s. de grands marchés s’organiser. Des règles précises permettent de définir avec exactitude la valeur des produits. L’autorité dont jouissent les spécialistes de marché donne à tous les opérateurs des garanties qu’ils ignoraient jusque-là. L’assurance suppose que l’on connaisse ce que l’on transporte : elle donne une garantie d’information objective sur des biens qui ne sont pas présents.


La révolution des télécommunications et ses conséquences

Les moyens de communication à distance, le télégraphe d’abord puis le téléphone et la radio, ont eu un impact très rapide dans ce domaine. Il est devenu possible de savoir à l’avance ce qui va être offert sur le marché ; on s’est mis à faire des transactions en dehors de tout échantillon. Pour la première fois, le circuit de l’information s’est libéré totalement du bien qu’elle caractérise. Les acheminements ont été raccourcis : ils se sont faits plus souvent en ligne directe, du producteur au consommateur. Le marché n’a plus été qu’un forum où l’on confronte des informations et où l’on prend des décisions qui permettent leur ajustement. À la limite, la réunion en un même lieu des opérateurs a cessé d’être nécessaire : le téléphone, le télex créent une unité artificielle, mais efficace, cependant que la presse spécialisée diffuse les cours auprès des petits producteurs ou des acheteurs isolés. À l’intérieur de la firme productrice, la facilité des liaisons a entraîné la multiplication des établissements distincts, cependant que les états-majors s’installent volontiers dans les centres où l’accès à l’information, qui passe et se démode vite, est plus rapide et meilleur.

Dans le domaine des flux monétaires, les transactions s’appuient de moins en moins sur des mouvements d’espèces ; la généralisation du chèque et des ordres transmis par les ondes supprime les mouvements compensatoires de devises ou d’or ; ils ne subsistent qu’au niveau international, faute d’une autorité qui garantisse les transactions comme le fait un État dans le territoire qu’il ordonne.

Les moyens de communication à distance ont eu des effets dont on sent déjà l’importance, mais dont tous ne sont sans doute pas encore perceptibles. Le télégraphe ne pouvait transmettre que des messages exceptionnels : il servait au niveau des centres de décision essentiels, mais ne modifiait que peu le réseau des communications courantes. Le téléphone rend possible le dialogue à distance : il assure un échange équilibré et permet une transparence généralisée. La radio et la télévision ont des conséquences opposées : elles sont à l’origine de flux sans réciprocité ; elles ont pour elles d’assurer la transmission sous une forme orale et visuelle particulièrement efficace, car elles évitent tout effort de la part du récepteur. Là aussi, il y a effet de filtrage, mais dans un sens différent de celui qu’assurait l’écrit. Celui-ci apprenait davantage au niveau des idées et des concepts. Celles-là donnent accès de plain-pied aux intonations et aux gestes qui modèlent la vie quotidienne.