Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

circulation des flux immatériels (suite)

En matière économique, c’est là un problème difficile à résoudre : une information relative à des biens n’a de poids que si on sait la falsification impossible. Le problème de la communication revêt donc un aspect institutionnel : pour garantir le contenu du message, on peut imaginer de confier son élaboration, son émission et sa transmission à une cellule sociale dont l’indépendance est garantie, ou bien encore la soumettre au contrôle de celui qui reçoit, ou enfin créer plusieurs circuits parallèles dont la collusion est impossible.


La parole et l’écriture sociétés archaïques et intermédiaires

La communication se fait directement par la parole et par le geste dans les sociétés archaïques. Le message n’est pas matérialisé et ne laisse pas de trace objective durable. Toute l’architecture des groupes se trouve conditionnée par cela. L’échange à distance n’y est possible que si les gens se déplacent : le monde archaïque a tendance à se fractionner en cellules d’intercommunications de petites dimensions, et la multiplication des langues témoigne de la faible portée des relations normales. La tradition orale donne aux groupes la conscience de leur évolution, de leur histoire, mais d’une histoire qu’il est difficile de garder pure, et où le mythe tient souvent une place très large. L’absence de techniques efficaces de la communication cloisonne donc l’humanité en petits groupes enfermés dans l’espace et dans le temps ; mais elle a l’avantage de permettre une intégration plus totale de l’individu au milieu social, et les théoriciens modernes de l’oralité soulignent volontiers que cela apporte des éléments d’équilibre à la personne et à la société.

L’écriture transforme le message en un bien qui peut se transmettre et se conserver. Elle apparaît vite comme indispensable au pouvoir politique, qui lui doit de s’exercer sans mal sur de vastes espaces. Le héraut était un personnage central de toute l’organisation administrative : de son intégrité dépendait l’efficacité de l’État. Le porteur de plis n’a plus le même rôle. Le sceau qui est apposé sur les pièces qu’il transporte garantit la neutralité de la transmission. Il suffit de pouvoir compter sur l’objectivité de l’informateur pour communiquer sans mal. C’est là le seul point difficile ; le coût de la transmission est tel qu’on ne peut compter sur la concurrence des circuits : le pouvoir politique s’appuie souvent sur des solidarités familiales, des solidarités ethniques, des solidarités religieuses. Les maisons de commerce italiennes de l’époque médiévale peuplent leurs succursales de parents ou de clients dont la fidélité est éprouvée.

L’écriture se prête mal, avant l’invention de l’imprimerie, aux communications de masse : elle est essentielle pour comprendre les grandes constructions politiques comme les premières grandes entreprises commerciales. Elle ne transforme pas les conditions de l’échange au niveau des foules ; même lorsque la proportion de ceux qui savent lire et écrire est élevée, leur vie n’en est guère transformée ; leur apprentissage résulte d’une acculturation réalisée surtout par échange direct, imitation ou transmission orale. Les possibilités nouvelles offertes par le message rédigé sont vite exploitées au niveau des milieux dominants, mais l’effet ne se fait guère sentir en profondeur : les sociétés intermédiaires souffrent d’un dualisme social fondamental, qui résulte de l’inégalité des conditions de la communication.

La vie économique entraîne des échanges de biens que préparent nécessairement des flux d’information : quels sont les besoins qui se manifestent ? comment et par qui peuvent-ils être satisfaits ? Faute d’organisation susceptible de garantir l’objectivité des nouvelles dans ce domaine, on n’a d’autre solution dans les sociétés archaïques ou intermédiaires que de confronter directement les offres et les demandes. L’information sur les biens ne voyage pas indépendamment de ceux-ci : l’organisation de marchés concrets est le seul moyen qui permette d’assurer la transparence indispensable aux relations économiques. C’est donc d’un prix très lourd que ces sociétés doivent payer leur impuissance à communiquer : les transports sont multipliés par l’opacité du milieu.

Les langues sont des systèmes de signes qui facilitent la communication. La monnaie n’est qu’un langage parmi d’autres, un langage dans lequel on peut exprimer de manière simple les rapports de valeur. Cette monnaie, à l’origine, ne peut être acceptée que si elle est elle-même un bien matériel ; sans cela, l’absence de confiance qui caractérise les systèmes de communication imparfaite ruine son efficacité. La vie économique se caractérise alors par des flux matériels opposés : celui des biens et celui des moyens de paiement utilisés pour les acquérir.

La monnaie possède sur les autres biens des avantages qui la rendent plus apte à une définition rigoureuse. Dès l’Antiquité, semble-t-il, dès le Moyen Âge certainement, il apparut que, sous certaines conditions, il était plus facile de faire voyager un message représentant des valeurs monétaires que les espèces elles-mêmes. L’habitude se prit de réduire au minimum les mouvements de métaux précieux en procédant à la compensation des opérations réalisées sur une même place, cependant que la lettre de change permettait à des hommes d’affaires sûrs de leurs partenaires de procéder à des paiements par envoi d’un ordre. Par la suite, les progrès de l’organisation des circuits monétaires facilitèrent encore les transactions réglées par ces moyens dématérialisés que sont le billet de banque et, mieux, le chèque.


L’imprimerie ébauche d’une communication de masse asymétrique

Elle a provoqué une transformation en profondeur des conditions de la communication, mais ses effets ont été graduels. On s’est rendu compte, à ce propos, des distorsions qu’apporte, dans le domaine de l’échange, tout progrès technique : certaines résultent du filtrage qu’introduisent les caractéristiques nouvelles des lignes, d’autres de la dissymétrie possible de l’échange. C’est le cas de l’imprimerie. Avec elle apparaissent les communications de masse : un émetteur unique peut toucher une foule de personnes, mais le passage en sens inverse est presque impossible.