Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Chine (suite)

Quant à la poésie, c’est l’art littéraire par excellence : depuis le Classique des vers (Shijing [Che-king]), elle sert à exprimer les sentiments et les idées nobles. Exercice de style indispensable à tout homme cultivé, elle fait partie du programme des examens et sert de tremplin à bien des carrières brillantes. Mais c’est aussi la seule manifestation artistique populaire dont la tradition remonte aux origines et nous soit parvenue. Les lettrés, qui ont écrit l’histoire littéraire de la Chine en choisissant les œuvres à transmettre à la postérité, n’ont jamais ressenti que mépris et indifférence pour les arts du peuple. Seule la poésie a obtenu grâce à leurs yeux, pour des raisons parfois plus didactiques qu’artistiques. C’est ainsi que les plus beaux poèmes du Shijing sont des ballades paysannes. Tout au long de l’histoire, la poésie lettrée s’est nourrie aux sources intarissables de la chanson populaire. Les poètes y trouvent les rythmes nouveaux, les thèmes d’inspiration vivants, les expressions frappantes qui, ciselés par leur génie, deviendront chefs-d’œuvre.

Les deux grandes visions du monde qui se partagent l’esprit des intellectuels chinois ont eu en littérature des incidences considérables. La première, qui relève de Confucius, se propose de bien gouverner sa propre personne, sa famille et son pays. Pour atteindre ce but, la littérature est un moyen d’action privilégié. Nous avons déjà noté l’utilisation didactique de l’histoire : elle s’étend à tous les domaines littéraires, y compris la poésie. Par son influence civilisatrice, elle inculque aux bons esprits les vertus cardinales ; par son témoignage réaliste, elle sert de lien entre le souverain et son peuple, dont elle reflète les joies et les peines. La plupart des ouvrages historiques, des essais politiques, une grande partie de la poésie ont été composés par des confucianistes imbus de leur mission éducatrice. Au contraire, la vision taoïste est nettement individualiste. La recherche personnelle du dao (tao) se manifeste souvent par un refus de la société : ermites cachés au fond des montagnes, sages recueillis dans leurs campagnes. À partir du ve s., le bouddhisme vient enrichir cette tendance en prêchant la contemplation. Un profond lyrisme soutient cette littérature où la fuite du monde, l’expression de soi et l’amour de la nature tiennent un rôle essentiel. Poèmes et contes sont les véhicules les plus courants de l’inspiration taoïste. Cependant, il ne faut pas oublier qu’au cours de la longue histoire chinoise, ces schémas très succincts ont subi des variations et des enrichissements qui ne permettent pas toujours de classer une œuvre sous telle rubrique. Et il n’est pas rare qu’une seule personne cultive en même temps ces deux théories en apparence opposées. Un lettré, qui dans sa vie professionnelle se montre un parfait confucianiste, trouve souvent plaisir à lire et écrire chez lui des poèmes d’inspiration taoïste.

Les lettrés occupent dans la société chinoise une place privilégiée. Depuis qu’aux alentours de notre ère s’est constitué un système d’examens nationaux pour le recrutement des grands commis de l’État, la littérature joue un rôle déterminant dans la gestion du pays. Connaître les classiques et savoir rédiger avec une belle écriture sont les critères fondamentaux des examinateurs. Plus tard, la poésie fera partie des matières obligatoires. Sans être un métier de spécialiste, écrire est une connaissance indispensable. Il en résulte que tous les fonctionnaires sont des hommes cultivés et que presque tous les hommes cultivés ont un poste officiel. Si certains écrivains sont refusés aux examens, si d’autres fuient la carrière officielle, ils restent néanmoins de près ou de loin, qu’ils le veuillent ou non, concernés par la politique. Ils courent parfois des risques aussi grands que ceux qui sont intégrés dans la hiérarchie. C’est un poème qui sauva la tête de Wang Wei (viiie s.) après la rébellion d’An Lushan (Ngan Lou-chan), mais c’est également un poème qui conduisit Xi Kang (Hi K’ang) [ve s.] sur la place publique pour y être exécuté. Si, sous les Song, les mœurs sont moins radicales, que de fonctionnaires, parfois aux plus hauts postes du gouvernement, se retrouvèrent en exil du jour au lendemain pour un poème trop hardi ou un essai un peu vif ! Plus tard, sous les Ming et les Qing (Ts’ing), la censure officielle, extrêmement rigide, prit soin qu’aucun écrit subversif ne fût laissé en circulation. On comprend plus aisément pourquoi les poètes chinois, tranquilles, prudents ou désabusés, ont tant aimé décrire la beauté des fleurs, chanter l’ivresse du vin et pleurer la séparation des amants.


La littérature de la Chine ancienne jusqu’en 221 av. J.-C.

En Chine, la littérature de l’époque ancienne bénéficie très tôt d’une vénération qui ne se dément jamais au cours des siècles. Dès les Han, le parti des confucianistes réussit à élever ses théories en doctrine d’État et érige en classiques les ouvrages antiques tels le Classique des documents (Shujing [Chou-king]) et le Classique des vers (Shijing [Che-king]). Le taoïsme a également sa source à cette époque avec le Livre de la Voie et de la vertu (Daodejing [Tao-tö-king]). On trouve dans le Zhuangzi (Tchouang-tseu) ou dans les poèmes du Chuci (Tch’ou-ts’eu) le style d’inspiration non orthodoxe et individualiste qui se développera toujours parallèlement aux écrits sages et raisonneurs confucéens. La poésie de la Chine ancienne est représentée par deux anthologies : le Classique des vers (Shijing) et les Élégies de Chu (Chuci [Tch’ou-ts’eu]). Si la totalité de ces poèmes tient dans un petit volume, le rôle qu’ils ont joué dans le développement de la littérature et de la pensée chinoises ne peut se définir aisément. Le plus vénéré des Cinq Classiques, le Shijing, est l’un des ouvrages de base de la tradition confucéenne. À tel point que l’on attribue à Confucius lui-même le choix et la répartition des 305 poèmes qui composent l’anthologie. Les ya, poèmes de cour, décrivent dans une langue élaborée les fêtes et les chasses royales ou bien les lamentations et les reproches adressés par le peuple au souverain. Ce sont les ancêtres de la satire politique. Les hymnes (song) sont de longs poèmes de propagande glorifiant la prospérité et les victoires de la dynastie. Mais l’essentiel de la valeur littéraire et documentaire du Shijing se trouve dans les « airs » (feng [fong]), qui représentent la moitié du recueil. Chansons populaires originaires de divers royaumes, ils témoignent de la vie quotidienne du peuple, chantant ses joies et ses peines, l’amour et le mariage, la séparation et la guerre.