Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chine (suite)

Si l’amour inspire un grand nombre de poèmes, on ne peut pourtant pas les qualifier de lyriques. Plus qu’un sentiment particulier dans des circonstances précises, il s’agit d’un thème général, d’une situation conventionnelle, ici l’enlèvement ou la fuite. Mais les rapports entre les divers protagonistes n’étant pas définis, les commentateurs chinois ont pu donner un sens totalement différent à ces refrains. La version officielle du Shijing, adoptée au début de l’ère chrétienne, est accompagnée d’un commentaire dit « de Mao » qui fait de tous les poèmes des critiques sociales et politiques. C’est ainsi que, dès son origine, la poésie se voit chargée d’un rôle plus ambitieux que celui de délassement littéraire pur. Poésie engagée, c’est un moyen d’expression, d’information et d’action du peuple comme de l’élite.

Si le Shijing est annexé par les confucianistes comme guide de bon gouvernement et de morale, les Élégies de Chu (Chuci [Tch’ou-ts’eu]) représentent l’autre tendance profonde de la pensée et de la littérature chinoises : la tendance romantique et anarchiste, qu’on a coutume d’associer avec le taoïsme. Le Chuci date de l’époque troublée des Royaumes combattants et voit le jour au royaume de Chu (Tch’ou), le plus méridional (actuel Hubei [Hou-pei]), région montagneuse, considérée comme barbare par les pays de la Grande Plaine et imprégnée de traditions chamanistiques et magiques. Parmi ces élégies, le long poème intitulé Lisao est le plus admiré. Œuvre de Qu Yuan (K’iu Yuan), surnommé « père de la poésie chinoise », il exprime toute la douleur du poète en exil. Après avoir servi fidèlement son roi, Qu Yuan est éloigné de la Cour à la suite de calomnies de vils courtisans. De désespoir, il erre dans les contrées sauvages au sud du Yangzi (Yang-tseu) et finit par se jeter dans une rivière. Cet acte héroïque du ministre fidèle jusqu’à la mort est célébré en Chine au cours des cérémonies nautiques de la fête du Dragon. Le Lisao (Douleur de l’éloignement) s’oppose au Shijing par l’exubérance de l’inspiration, la richesse du vocabulaire et la violence du ton. Il inaugure quelques grands thèmes de la poésie chinoise : douleur de l’exil, nostalgie du pays natal. Ici, la poésie est le mode d’expression du poète incompris des hommes. Qu Yuan magnifie son intense sentiment de déception en faisant appel à la tradition historique, orthodoxe et non orthodoxe, citant en témoignage de sa bonne volonté et de sa sagesse les saints rois de l’Antiquité comme les personnages mythiques de son pays. Abandonné des hommes, qui ne sauraient lui être d’aucun secours, il monte au ciel dans un char attelé de phénix et rend visite aux divinités. Au cours de cette randonnée fantastique, il laisse libre cours à son imagination, traversant les espaces infinis et sautant les siècles à son gré. Le Lisao est aussi la source débordante du symbolisme floral qui restera un grand moyen de l’expression poétique chinoise. Le poète fait son propre éloge en affirmant qu’il « cueille l’angélique pour s’en vêtir et tresse en ceinture les orchidées d’automne », qu’il « brise au matin les magnolias des montagnes et le soir ramasse les roseaux dans les îlots... ».

La littérature d’avant les Qin (Ts’in) comprend deux sortes d’écrits en prose : écrits historiques et écrits philosophiques. La tradition historique chinoise remonte à l’époque des Zhou (Tcheou). Le Classique des documents (Shujing [Chou-king]) est une collection de matériaux historiques ou pseudo-historiques rangés chronologiquement et commençant à l’époque légendaire des rois saints. Le dernier document date du viie s. av. J.-C. Il s’agit de passages indépendants les uns des autres, rapportant, très souvent en style direct, les discours, allocutions et exhortations attribués aux rois ou à leurs sages ministres. Seuls vingt-huit chapitres sont considérés comme authentiques. Les Annales des printemps et automnes (Chunqiu [Tch’ouen-ts’ieou]), très sèche chronique du pays de Lu (Lou) et couvrant la période de 722 à 481 av. J.-C., attribuée à Confucius, sont surtout intéressantes grâce à un commentaire, le Zuozhuan (Tso-tchouan), qui, plus vivant et plus étoffé, donne une meilleure idée de la vie politique de cette période. La fin des Royaumes combattants (ve et iiie s. av. J.-C.) est la grande époque de la philosophie en Chine. Dans un fourmillement d’idées de toutes sortes se cristallisent les deux grands courants de la pensée chinoise et un certain nombre de théories qui eurent un moindre succès : c’est la période dite « des Cent Écoles ». Ce qui reste le plus proche de la pensée de Confucius a été recueilli par ses disciples dans les Entretiens (Lunyu [Louen-yu]), collection d’aphorismes très brefs et de petites conversations entre le maître et ses disciples. D’une valeur littéraire beaucoup plus grande est le Mencius (en chinois Mengzi [Mong-tseu]), qui défend avec brio la doctrine confucéenne. Dans un certain nombre de dialogues entre les princes et le maître, celui-ci cherche à faire prévaloir, mais sans succès, ses théories politiques moralisatrices sur la vertu du souverain. Le style de cet ouvrage reste un modèle de prose claire, bien construite et élégante. La théorie légiste a son plus brillant représentant en la personne de Han Fei, diplomate du iiie s., appelé au plus bel avenir et qui périt prématurément, victime de la jalousie d’un de ses amis. Son œuvre, le Hanfeizi (Han Fei-tseu), expose avec clarté les principes de l’autoritarisme et de l’étatisme qui conduiront à la fondation de l’Empire chinois. Quant aux taoïstes, ils érigent en classique le Livre de la Voie et de la vertu (Daodejing [Tao-tö king]), attribué au personnage semi-légendaire de Laozi (Lao-tseu). En trois mille caractères et dans un style souvent rimé et rythmé, mais d’un laconisme défiant toute traduction, on y trouve les idées fondamentales du non-agir et du dao universel. L’ouvrage intitulé Zhuangzi (Tchouang-tseu) expose avec une imagination et un humour inégalés les conceptions taoïstes. C’est sans aucun doute le plus beau texte de la littérature ancienne.