Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Buñuel (Luis) (suite)

On retrouve dans ces trois films le style bunuélien dans ses paroxysmes les plus séduisants. Usant de la palette mordante d’un Goya, Buñuel ne cesse d’attaquer une société bourgeoise, toujours étudiée et critiquée dans ses rapports proches ou lointains avec le christianisme. Il est satirique avec humour, un humour toujours noir, n’hésite pas à pousser la cruauté jusqu’aux approches du sadisme, crée un monde de malaise et d’étrangeté par l’emploi obsessionnel d’objets fétiches, attaque avec une joyeuse férocité le conformisme social et l’aliénation religieuse.

Après avoir tourné en France le Journal d’une femme de chambre (1964) [d’après Octave Mirbeau et avec Jeanne Moreau dans le rôle principal] et Belle de jour (1967) [d’après Joseph Kessel], qui remporte le grand prix du Festival de Venise, Buñuel annonce qu’il abandonne le cinéma. Mais, revenant sur sa décision, il réalise successivement la Voie lactée (1968), Tristana (1969, d’après un roman de Benito Pérez Galdós), le Charme discret de la bourgeoisie (1972), qui remporte à Hollywood en 1973 l’oscar du meilleur film étranger, et le Fantôme de la liberté (1974). Il n’a jamais renié ses convictions les plus profondes : « Je suis contre la morale conventionnelle, les fantasmes traditionnels, le sentimentalisme, toute la saleté morale de la société. La morale bourgeoise est pour moi l’antimorale, parce que fondée sur de très injustes institutions, la religion, la patrie, la famille et autres piliers de la société », ni sa foi à l’égard du cinéma : « Le cinéma est une arme magnifique et dangereuse si c’est un esprit libre qui le manie. » Et lorsqu’il avoue par boutade : « Je suis toujours athée, grâce à Dieu », ne cherche-t-il pas à déguiser ce qui peut apparaître comme l’une des clefs de son œuvre ?

J.-L. P.

 A. Kyrou, Luis Buñuel (Seghers, 1962 ; 4e éd., 1970). / Buñuel, numéro spécial de Image et son (1962). / Études cinématographiques, nos 20 à 23 : Luis Buñuel (Éd. Minard, 1963). / F. Buache, Luis Buñuel (Serdoc, Lyon, 1964). / C. Rebolledo, Luis Buñuel (Éd. universitaires, 1964).

Bunyan (John)

Prédicateur et écrivain anglais (Elstow, près de Bedford, 1628 - Londres 1688).


Triomphant de la contrainte et du rigorisme étroit que Cromwell a fait peser sur le pays, la restauration de Charles II apporte licence et goût des jouissances temporelles. Pour puissant qu’apparaisse ce mouvement de réaction, il n’affecte guère en profondeur le vieux courant de religiosité anglais. L’esprit de puritanisme se refuse à mourir. Il se lève toujours des hommes, simples, sans richesses, sans protecteurs et sans culture, pour faire connaître aux autres que le bonheur et la joie ne sont pas de ce monde où tout est souillé par le péché, et que les chemins de Dieu ne suivent pas les voies de la facilité. De ces prédicateurs « mechanick », la postérité n’a retenu qu’un seul nom, celui du chaudronnier John Bunyan. Celui-ci ne doit rien à personne. Il n’a rien lu, hors les Écritures. Il n’aura aucune influence reconnue sur la littérature anglaise et aucun continuateur. Il est l’homme d’un seul livre, mais lu par des millions d’hommes, de femmes et d’enfants, The Pilgrim’s Progress (le Voyage du pèlerin, 1678-1684). Pour lui, ce voyage n’a pas été facile. « Je me considérais seul et maudit entre tous les hommes », écrira-t-il. Jusqu’au bout, sa vie ne sera qu’un combat. Grace Abounding to the Chief of Sinners (l’Afflux de la grâce, 1666) nous livre celui d’une âme scrupuleuse à l’excès, qui se reproche la plus innocente distraction comme un péché. Puis, en 1653, Bunyan entre dans l’Église baptiste. Il a découvert sa voie, mais non la paix. Il sait d’où vient la lumière, mais aussi il voit qu’il y a « un chemin vers l’enfer même des portes du paradis ». Alors il va prêcher aux gens simples des campagnes ; il s’attaque avec ardeur aux quakers. Sa foi a la rugosité et la robustesse des choses de la nature. Elle ne s’accommode d’aucun compromis, et rien ne pourrait tempérer son zèle. Bunyan est jeté en prison : c’est alors qu’il écrit ce véritable code de la route des cieux, The Pilgrim’s Progress. Cette allégorie, géniale et puérile à la fois, ne propose pas une méthode de rédemption facile. Son héros, Christian (Chrétien), a quitté « le monde entier » pour poursuivre « un héritage incorruptible, immaculé et impérissable », et qui sera « accordé en temps voulu à ceux qui le cherchent avec diligence ». La route est semée d’embûches, et l’angoisse jaillit à maints tournants, car, « si vous venez avec nous, dit encore Chrétien, vous devrez aller contre vents et marées ». Pourtant, les voyageurs ne sont pas seuls comme Bunyan. Chrétien est accompagné de Hopeful (Plein d’Espérance), comme le sera sa femme Christiana par la fidèle Mercy (Miséricorde) et par M. Greatheart (Grand Cœur) dans la deuxième partie du livre. Bunyan reprendra ce thème de la difficulté de l’accession à l’éternité dans un autre de ses ouvrages, The Holy War (la Guerre sainte, 1682). Déjà, deux années plus tôt, il avait montré « la vie et la mort des impies et leur voyage de ce monde vers l’enfer » dans The Life and Death of Mr. Badman (la Vie et la mort de M. Méchanthomme).

The Pilgrim’s Progress a été certainement l’ouvrage le plus lu d’Angleterre. S’il est devenu le livre de chevet de nombreuses générations, c’est d’abord parce qu’il constitue un code pratique bien dans le goût du pragmatisme populaire anglais. C’est ensuite parce que tout un peuple s’est identifié à cette œuvre et y a reconnu le fonds vivant de ses terreurs mystiques et de son ultime aspiration. The Pilgrim’s Progress constitue enfin une nouvelle bible romanesque à laquelle ne manque aucun des éléments les plus propres à lui donner intérêt et puissance : cadre, péripéties dramatiques, personnages. Avarice, le père Honnête, l’Obstiné ou le « fringant gaillard » Ignorance, s’ils sont des allégories, possèdent le double et mystérieux pouvoir d’être des hommes de tous les jours et de demeurer universels dans leurs qualités, leurs défauts ou leurs vices.

D. S.-F.

 H. A. Talon, John Bunyan, l’homme et l’œuvre (Éd. « Je sers », 1948). / J. Blondel, Allégorie et réalisme dans « The Pilgrim’s Progress » de John Bunyan (Lettres modernes, 1960). / O. E. Winslow, John Bunyan (New York, 1961).