Concept désignant un ensemble psychologique auquel appartiennent le plaisir et la douleur (d’origine aussi bien organique que morale, sociale ou esthétique), les émotions, les motivations, les sentiments, les préférences personnelles, les inclinations, les désirs, les passions, les aspirations, les croyances.
Introduction
Tous ces phénomènes psychiques sont appelés aussi du nom générique d’« affects » pour signifier qu’ils font partie du domaine de l’affectivité. D’un point de vue dynamique, on doit plutôt dire que l’affectivité est un niveau de comportement situé entre, d’une part, les automatismes sensori-moteurs et réflexes et, d’autre part, les conduites calculées qui seraient empreintes de sang-froid, de logique et d’objectivité. L’ensemble de comportements ainsi désigné nous renvoie, d’une manière générale, au « vécu » personnel, niveau « éprouvé » et non réfléchi.
Par opposition aux conduites rationnelles, l’affectivité est très tôt apparue, dans les conceptions philosophiques aussi bien que dans la littérature et pour le sens commun, comme essentiellement irrationnelle. Pour les stoïciens, par exemple, la conduite vraiment digne d’un homme, étincelle du Logos cosmique et divin, consistait à triompher des sentiments sous toutes leurs formes (doctrine de l’impassibilité). Pour tous les philosophes rationalistes, l’affectivité, essentiellement subjectivité, ne peut être que facteur d’erreur, et s’oppose à la pensée, à l’objectivité, à la connaissance. Réhabilitant l’affectivité comme niveau de conduite, Pascal en a donné une formule célèbre pour la situer par rapport aux conduites rationnelles : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. » Le courant philosophique anti-intellectualiste, tendant à disqualifier la raison et les abstractions, fait du « vécu » l’essentiel de la réalité humaine. À la suite de la réhabilitation de l’affectivité par l’existentialisme et aussi à la suite du rôle dominant accordé à l’affectivité (aux « affects ») par Freud et la psychanalyse dans la compréhension de toutes les conduites (y compris celles qui se présentent comme intellectuelles, morales ou idéologiques), certains psychologues contemporains confondent « affectivité » et « personnalité », l’analyse « en profondeur » de la personnalité coïncidant avec l’exploration méthodique de l’affectivité.
Nature de l’affectivité
L’affectivité a été souvent considérée comme une « force », une « énergie ». Cette énergie, dotée d’intensité et de direction, animerait des conduites passionnelles ou exploserait en crises émotionnelles d’exutoire (selon les cas) lorsqu’elle est « libérée » ou provoquée par un stimulus-déclencheur. Il est même classique de considérer que la volonté n’a elle-même de force que dans la mesure où elle s’emplit de l’énergie d’un désir, qu’elle habille de buts officiels plus nobles. On retrouve cette thèse aussi bien chez Condillac que chez Freud. Pour arrêter ou dévier une réaction émotionnelle ou affective, la conscience réfléchie (ou toute autre instance « supérieure » telle que self-control, conscience morale, raison, etc.) éprouve la réalité d’un combat, donc postule l’existence d’une « force adverse » (aveugle, c’est-à-dire irrationnelle et non objective) qui fait pression pour passer à l’acte, pour déterminer le comportement. Le « modèle biologique » renforce l’explication mécaniste puisqu’il est courant de parler de « force des instincts ». Selon la théorie psychanalytique, les affects sont l’expression des « pulsions instinctives », la pulsion étant à considérer comme une certaine « quantité d’énergie » d’ordre biologique. En fait, la notion d’« état affectif » (par exemple une douleur, une joie, un désir, une colère, une honte) est une abstraction de la raison au même titre que la notion de « force » (d’une émotion ou d’un sentiment) ou que celle de « quantité d’énergie ». Toute réalité du niveau affectif est essentiellement organismique, posturale et comportementale, c’est-à-dire, en termes communs, à la fois viscérale et motrice. Tout « vécu » met en jeu le corps vivant (réaction organique et modifications physiologiques), une attitude (une manière de percevoir et d’être par rapport à l’environnement) et un comportement (action ou réaction). Tous ces phénomènes ne sont qu’esquissés et passagers dans certains « états » affectifs faibles, et sont très développés et durables dans les « états » affectifs dits « forts » ou « intenses », à proportion de cette emprise. Par ailleurs, le « vécu » (l’affectivité) est un univers, c’est-à-dire que ces réactions organismiques, posturales et comportementales sont en relation essentielle avec un monde de significations. Les objets, les événements et les êtres de l’environnement personnel sont perçus sur un mode non objectif ; ils n’existent que comme valeurs subjectives et concrètes. Autrement dit, la « décentration » qui permet à la raison, à l’intelligence et à la conscience réfléchie de se mettre « à distance » du donné extérieur, pour saisir les rapports objectifs entre les choses et les conceptualiser, est impossible au niveau affectif. Au contraire, il y a implication personnelle complète dans la situation.