Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

affectivité (suite)

C’est l’aspect organismique-postural-comportemental de l’affectivité que soulignait (trop exclusivement) William James dans sa fameuse théorie de l’émotion. « Qu’est-ce que la colère, écrivait-il, sans bouillonnement intérieur, ni coloration du visage, ni dilatation des narines, ni grincement des dents, ni impulsion à frapper ?... Une émotion humaine sans rapport avec un corps humain est un pur non-être. » D’autre part, la spécificité de l’univers émotionnel est soulignée par J.-P. Sartre dans son Esquisse d’une théorie des émotions, lorsqu’il décrit les situations émouvantes comme la brutale dissolution des relations rationnelles ou instrumentales du monde extérieur quotidien, laissant place à des significations égocentriques et à des rapports de type magique. Cette mutation d’univers correspond au surgissement de valeurs à la place des objets, et elle est caractéristique du niveau affectif de perception et de réaction.


Les méthodes d’analyse ou d’exploration de l’affectivité

La psychanalyse* et les psychothérapies* constituent pratiquement des méthodes d’exploration de l’affectivité, dans lesquelles le sujet lui-même procède directement à l’exploration sous la compréhension stimulante que manifeste le thérapeute. En psychologie clinique des méthodes spéciales ont été développées, au premier rang desquelles on trouve les techniques projectives (v. test).

L’analyse formelle des réponses, opérée selon des méthodes spécifiques de chaque test, permet de découvrir les thèmes dominants de l’affectivité et ce que l’on appelle les « patterns » de la personnalité profonde, c’est-à-dire les structures constantes (ou chroniques) de l’univers affectif du sujet. Le sujet, en effet, par les consignes qu’il reçoit (« ne pas utiliser son intelligence critique », mais « être spontané et donner libre cours à l’imagination »), laisse paraître les significations les plus subjectives, qui expriment son niveau affectif.

À travers l’expérience de ces méthodes, l’affectivité apparaît comme un « système » perceptuel-réactionnel, sensible à certaines situations ou à certains signaux, insensible à d’autres, capable de déformer plus ou moins les significations intellectuelles des données (et, plus généralement, de toute information s’offrant au moi), et cela toujours à l’insu de la conscience réfléchie.


Le développement de l’affectivité

Le problème psychologique est triple. Quels sont les « états » affectifs de base dont tout découle ? Comment se développe le niveau affectif, comment se différencient les divers affects et comment ils s’organisent pour constituer la vie affective d’un individu ? Enfin, quelles sont les relations entre le développement affectif et les autres développements (celui du moi, de l’intelligence, etc.) ?


Les affects de base

Il est classique de dire que les deux tonalités primitives de la vie affective sont le plaisir et la douleur (H. Wallon dit aussi que les deux pôles de l’affectivité sont la joie et la souffrance), avec, à l’arrière-plan, l’idée que l’une et l’autre correspondent à la satisfaction et à l’insatisfaction des besoins. On est donc, dans cette perspective, renvoyé aux besoins, c’est-à-dire à la structure de l’organisme en relation avec son milieu de vie. Tout besoin (exemples chez le nourrisson humain, selon J. Bowlby : besoins d’air, de nourriture, de chaleur, d’amour, de stimulations sensitivo-sensorielles, de contacts cutanés, de mouvement) est un état de tension, donc de quête de comblement avec les deux issues possibles : satisfaction et insatisfaction.

Mais on peut aussi rechercher les comportements fondamentaux ou « instinctifs » de l’être humain en relation avec son environnement, les attitudes primitives à partir desquelles la maturation nerveuse et les expériences vitales construiraient la vie affective ultérieure. Selon J. B. Watson, la vie affective est fondée sur trois réactions originelles : la peur, l’amour, la colère. Ces trois réactions « inconditionnelles » (ou naturelles) composent toutes les autres réactions affectives ultérieures par le jeu des conditionnements*, c’est-à-dire des acquis de l’expérience. Wallon décrit chez le nouveau-né six postures de base : le plaisir, le déplaisir, l’attente, la peur, la colère et la joie, toutes s’exprimant par des comportements et des mimiques caractéristiques « aptes à susciter des réflexes conditionnels et à constituer ultérieurement des complexes affectifs, irréductibles au raisonnement ». Selon Ph. Malrieu, il y aurait quatre grands vecteurs de l’affectivité, relativement indépendants les uns des autres et se développant au cours de l’existence : 1o le contentement ; 2o le mécontentement ; 3o la peur ; 4o le désir (ou plus précisément les attitudes de tension et d’attente). Chacune de ces postures affectives primitives serait soumise à un rythme fondamental, alternance de mouvement et de sensation, c’est-à-dire que chacune s’exprime par une action ou une modification organismique articulée avec des impressions sensitivo-sensorielles (impression intime ou sensation déclenchante, ou encore perception du résultat obtenu).


Le développement de la vie affective

On peut dire, en première approximation, que deux influences opèrent au cours de ce développement : la maturation et l’expérience.

C’est, chez la plupart des auteurs, la référence aux stades du développement général qui leur permet de reconnaître les stades du développement affectif. Ainsi, selon Wallon, il y aurait un stade d’impulsivité motrice liée aux besoins fondamentaux, qui irait de la naissance à 6 mois en moyenne. Suivrait un stade émotionnel-expressif, de 6 mois jusqu’à 1 an, au cours duquel apparaissent, dans la relation osmotique avec l’environnement vécu, des nuances affectives telles que la douleur, la colère, le chagrin, la gaieté. Puis, jusqu’à 3 ans, le stade de l’activité sensori-motrice (avec la marche, la parole, le sevrage, la discipline des sphincters) permet le développement de réactions affectives nouvelles centrées par les désirs et leur frustration. Le stade du « personnalisme » (de 3 à 5 ou 6 ans) permet le développement d’affects sociaux primaires : négativisme-opposition, puis désir de plaire, puis imitation. Enfin, de 6 à 11 ans, la différenciation affective se complète et s’achève dans le stade d’individualisation, où se développent les intérêts intellectuels (curiosité, besoin de comprendre...) et sociaux (jouer avec d’autres, coopérer, s’identifier aux camarades ou à des héros, etc.).