Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Balkans (suite)

Certaines frontières sont quasi infranchissables : la Grèce et la Yougoslavie n’ont que fort peu de rapports avec l’Albanie ; la Bulgarie agite de temps à autre le problème des deux Macédoines, grecque et yougoslave ; et c’est peut-être, paradoxalement, entre la Grèce et la Yougoslavie que les rapports sont les meilleurs (mais le trafic du port franc yougoslave à Thessalonique ne dépasse pas 300 000 t, et ce chiffre donne une idée précise de la modestie et de la précarité des efforts de coordination). On souhaite la formation d’une puissante fédération, mais les conditions sont fort loin d’en être réunies. C’est donc dans le cadre de chaque État qu’il convient d’étudier les différentes économies balkaniques.

A. B.


L’histoire

L’histoire des Balkans souffre d’un manque de vision globale. Jusqu’à présent, elle a été étudiée en marge de l’histoire gréco-romaine pour l’Antiquité, en marge de l’histoire byzantine et de celle des croisades pour le Moyen Âge, en marge de l’histoire de la Renaissance, de celle de l’Empire ottoman et de celle de la question d’Orient pour l’époque moderne. Quant à son histoire contemporaine, elle a été morcelée en proportion de la carte politique qui fut mise au point aux xixe et xxe s. L’historiographie de chacun de ces États tend d’autre part à formuler toute l’histoire de la péninsule à sa façon, en y projetant ses aspirations nationales particulières. À l’heure actuelle, tous les systèmes sociaux existant sur le globe comptent une représentation dans cette péninsule un peu en marge de l’Europe, et qui a été maintes fois dans l’histoire un laboratoire pour les nouveaux processus socioculturels.


Les civilisations anciennes

Les Balkans ont été indéniablement un passage et une charnière entre l’Asie et l’Europe, même avant que les notions d’« Orient » et d’« Occident » n’existassent. Néanmoins, leur qualité de « passage » a été exagérée dans la mesure où elle a été liée avec les théories des « invasions » préhistoriques du nord et de l’est. En un temps où l’Europe, l’Asie occidentale et l’Afrique étaient habitées par des tribus dont la mobilité n’est pas encore entièrement connue et définie, et où très rares étaient les formes étatiques plus complexes que la tribu, il serait risqué de parler d’« invasions ».

Il faudrait envisager trois familles ethniques, trois ensembles de tribus, plus ou moins différenciées entre elles par la difficulté des communications, que seul le terrain accidenté de la péninsule justifie ; elles se meuvent l’une au nord-est, l’autre au nord-ouest et la troisième au sud des Balkans.

La différenciation culturelle entre ces trois familles, qui constituent en même temps des présumées familles linguistiques, est accentuée par les rapports entretenus par celle du sud (la famille grécophone) avec le Moyen-Orient, par celle du nord-est (la famille thracophone) avec l’Asie et l’Ukraine, et par celle du nord-ouest (la famille illyrophone) avec l’Europe centrale et la péninsule italique.

Comme ces ensembles de tribus ne sont pas cloisonnés par des frontières étatiques, le cloisonnement créé par le relief accidenté est surmonté de temps en temps par des tribus appartenant à l’un d’entre eux. Elles vont s’installer dans le territoire des deux autres (comme les Doriens, qui appartiennent plutôt à la famille illyrophone), y apportant des éléments d’une autre atmosphère culturelle.

La mobilité de ces Protobalkaniques se déployait autour d’un certain nombre de points d’attache, sanctuaires, oracles, palais qui abritaient des objets symboliques (aide-mémoire destinés à entretenir et à propager, par l’enseignement initiatique, des connaissances telles que les techniques des cultures agraires, les techniques de la chasse et de la guerre, les techniques du traitement des métaux et de leurs utilisations pratiques).

Cette civilisation supratribale du « labyrinthe d’initiation » sera remplacée progressivement au nord, plus brusquement au sud par la civilisation supratribale des « spécialistes de la guerre ». Des citadelles mégalithiques (acropoles) seront bâties à des endroits dominant les plaines, les défilés ou les passages maritimes, par des hommes qui ne sont point d’origine étrangère, mais qui sont un mélange d’éléments exclus des tribus de la région, conduits par des connaisseurs des techniques de la guerre. Ces hommes, par la contrainte de leurs razzias plutôt que par le prestige de leurs connaissances acquises, soumettent les tribus des cultivateurs des plaines de la péninsule en les quadrillant par des réseaux de citadelles.


Le temps des cités

Mais certaines de ces acropoles du Sud balkanique aboliront les structures tribales des groupes les plus proches en les agglomérant dans une cohabitation autour de la citadelle, et accéderont ainsi au stade de la cité. Ce processus de « citadinisation » est d’une importance capitale pour l’évolution de tout le monde méditerranéen. Ce que les cités du sud des Balkans apportent de nouveau par rapport aux autres cités proche-orientales et asiatiques, c’est le remplacement des tribus des plaines par des esclaves appartenant à des particuliers, et l’envoi des tribus délogées sur les côtes lointaines de la péninsule balkanique et de toute la Méditerranée, pour qu’elles se citadinisent à leur tour en abandonnant les structures tribales sous la pression d’un milieu inconnu et hostile.

Cette opération permet une plus grande rationalisation de la culture de la terre, la multiplication à grande échelle des cités, le développement de la production artisanale et de la navigation. Elle permet la circulation, plus importante et plus rapide, des produits balkaniques, l’arrivage dans les Balkans de produits venant de tout le Bassin méditerranéen et de l’Asie, et, avec l’échange des produits, un échange des processus techniques et un brassage d’idées que l’on appelle d’habitude « le miracle grec ».

Le nord des Balkans, quoiqu’un peu tardivement (à partir du ive s. av. J.-C.), eut aussi son mot à dire dans le processus de la citadinisation. Les citadelles de Macédoine et d’Illyrie trouvèrent un moyen encore plus efficace pour rationaliser la production agricole : elles militarisèrent les tribus du plat pays et, en entretenant les guerres, elles purent les remplacer dans l’agriculture, comme Rome était en train de le faire, par les esclaves capturés.