Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Balkans (suite)

Cette nouvelle formule favorisa la création d’un nouveau type de cité, la cité continentale balkanique, grand centre militaire qui pouvait rivaliser avec la cité grecque par la confluence en son sein de produits agricoles et artisanaux. Elle permit aussi la concentration étatique des cités à une échelle beaucoup plus grande qu’auparavant. On vit alors se constituer des grands États-réseaux de cités qui englobèrent toute la péninsule balkanique, comme celui de Philippe et d’Alexandre de Macédoine, qui s’étendit sur toute la Méditerranée orientale et l’Asie occidentale jusqu’en Inde, ou comme celui de Pyrrhos, qui déborda sur la péninsule italique.

Mais ces concentrations de cités reposaient sur l’initiative de grands stratèges et n’avaient pas une superstructure suffisamment élaborée pour sauvegarder l’unité après la disparition de ces derniers. C’est pour cette raison qu’au lendemain de la mort d’Alexandre et de celle de Pyrrhos les Balkans se divisèrent de nouveau en concentrations de cités limitées, au sud, au nord-ouest et au nord-est, jusqu’au moment où la grande concentration romaine engloba les réseaux des cités balkaniques avec tous les autres réseaux de cités qui entouraient la Méditerranée.


Rome et les Barbares

La péninsule balkanique fut très favorisée au sein de l’Empire romain. Elle tira tous les avantages de sa position de passage entre l’Orient et l’Occident, et la nouvelle capitale de l’Empire fut installée sur son sol. Mais la pax romana eut aussi ses inconvénients : le principal moyen de production, l’esclave, avec la pacification, devint de plus en plus rare et onéreux. On songea à des agriculteurs libres, susceptibles de s’intéresser à l’amélioration de la culture de la terre et capables d’utiliser les nouvelles machines agricoles qui ont surgi de l’universalisation des connaissances. Il devint donc urgent de recourir aux réserves internes et externes de l’Empire.

Les cités et les routes qui les reliaient en quadrillant les Balkans, comme tout le contour de la Méditerranée, étendaient le pouvoir de l’État sur les plaines, les vallées et les plateaux accessibles, et sur le bord de mer. Mais dans les montagnes et sur les hauts plateaux inaccessibles existaient encore des tribus et des citadelles en marge de la civilisation citadine. Au-delà des frontières de l’Empire, des ensembles de tribus vivaient encore en marge du monde des cités : tribus du désert au sud de l’Empire, tribus de la forêt et de la steppe au nord.

La péninsule des Balkans avait déjà eu affaire à celles du Nord (incursions des Carpes et des Goths en 238). Mais lorsque les empereurs, secondés par les théoriciens du christianisme, décidèrent d’intégrer à l’Empire ces populations marginales, les Balkans devinrent un véritable dépôt à partir duquel celles-ci se répartirent en Europe. Plusieurs vagues de ces « Barbares » franchirent le Danube, qui était la limite nord de l’Empire depuis les campagnes de Trajan en Dacie (début du iie s. apr. J.-C.).

Dans un premier temps vinrent les Wisigoths, qui restèrent dans la péninsule de 376 à 403, les Goths (447-448), les Ostrogoths à la fin du ve s., les Lombards et les Avars au milieu du vie s. Ils détruisirent les latifundia et les cités hostiles à la politique des empereurs, et qui n’avaient pas été dotées de fortifications par ces derniers. Puis ils furent rejetés vers l’Occident.

Dans un deuxième temps vinrent les Serbes, les Croates, les Bulgares (viie s.), qui s’installèrent définitivement. On ne peut pas dire qu’ils noyèrent les populations autochtones, car celles-ci ne se conservaient pures que dans les montagnes et sur les hauts plateaux inaccessibles, et les cultivateurs esclaves qu’ils trouvèrent dans les plaines où ils s’installèrent n’étaient qu’un ramassis d’individus d’origines extrêmement diverses. Ils les assimilèrent, et très souvent entraînèrent dans des actions communes les autochtones : Illyriens, Daces, Macédoniens, Thraces. Car les « Barbares » ne se sont pas laissé si facilement fixer à la terre ; ils trouvèrent même des expressions doctrinales pour préserver leur mobilité (empires bulgares du xe et du xiie s., principauté serbe du xiie s., bogomilisme, etc.) et menacèrent souvent le pouvoir central.

Les luttes pour la liberté de mobilité attirèrent la sympathie des populations autochtones des montagnes et des hauts plateaux, qui voulaient sans doute les biens de la civilisation citadine mais n’admettaient pas la destruction de leurs cultures particulières par la culture officielle du monde citadin. Ainsi, au cours d’actions communes contre le pouvoir central, les autochtones, sans pour cela abandonner leurs cultures particulières, adoptèrent les parlers des nouveaux venus, véritables fronts administratifs ou idéologiques, voire religieux : slavisation des illyrophones de l’Illyrie pannonienne, du Monténégro et de la Slovénie ; slavisation des Bulgares ; slavisation (ou plutôt bulgarisation) des thracophones d’une partie de la Dacie, du Balkan, de Rhodope, de Macédoine et de Thrace.


Occident contre Orient

En même temps que ces mutations, une scission de plus en plus profonde séparait l’Orient de l’Occident romain, chacun évoluant, à sa manière, de l’État-réseau de cités vers l’État-concentration de terres. Cette scission autour de deux pôles d’attraction, Rome et Constantinople, se définit par deux attitudes différentes de leurs Églises respectives vis-à-vis des populations marginales et non intégrées. Rome insista sur la supériorité de la civilisation citadine et admit d’intégrer les marginaux s’ils se dépouillaient de leurs cultures originelles. En revanche, Constantinople fut plus tolérante et admit d’officialiser une partie du bagage culturel des nouveaux venus. Elle craignait pardessus tout que ne se reproduise dans les Balkans un front général entre les autochtones et les marginaux importés, comme celui qui était né au sud et à l’est de la Méditerranée (islām). Constantinople, intégrant les cultures des autochtones, put ainsi se les associer et les utiliser comme gendarmes dans la fixation des marginaux importés. Ces montagnards, qui vivaient encore au niveau des tribus ou des citadelles préhistoriques, devinrent les véritables maîtres des Balkans. Ils fixèrent définitivement les agriculteurs à la terre, et la décadence des cités balkaniques fut compensée par un essor de la production agricole.