Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

axiomatisation et formalisation (suite)

Axiomatisation formelle

Le fait que les notions primitives sont connues présente un danger auquel Euclide n’a d’ailleurs pas complètement échappé : c’est de faire usage de certaines de leurs propriétés qui « vont de soi » et qui n’ont pas été explicitées dans les axiomes. Il est clair que ce danger disparaîtra si l’on introduit des notions primitives dépourvues de toute signification. Ainsi, par exemple, au lieu de parler de « points » et de « droites », on parlera de « majuscules latines » et de « minuscules latines ». En même temps qu’une telle procédure rend impossible l’introduction subreptice de propriétés non explicitées, elle libéralise le choix des propositions primitives. Si le sens usuel des mots, par exemple, contraint presque l’esprit à postuler que « deux points déterminent une droite et une seule », rien ne s’oppose à poser que « deux majuscules ne déterminent aucune minuscule » ou que « deux majuscules déterminent plus d’une minuscule ».

Cette façon de faire soulève toutefois plusieurs questions. La première est de savoir s’il est encore possible de déduire des théorèmes au sein d’une axiomatique formelle en ce sens. La réponse est affirmative, mais la notion commune de théorème se trouve modifiée : il n’est plus possible de parler d’un théorème vrai. En effet, un raisonnement du genre
« si tous les A sont B et si tous les B sont C
alors tous les A sont C »
reste possible et contraignant, même si l’on n’a aucune idée sur ce que sont les A, B et C. En revanche, la conclusion « tous les A sont C » n’est plus ni vraie ni fausse. Elle ne fait que découler logiquement des deux prémisses données, et l’on dira seulement qu’elle est valide.

Une deuxième question est relative à la liberté de choix dans les propositions primitives, et l’on peut se demander si des choix maladroits ne vont pas conduire à des redondances ou même à des contradictions. Il y a là, en effet, des précautions à prendre et des problèmes délicats (v. métamathématique).

Une troisième question enfin consiste à savoir ce qu’une telle axiomatisation a encore à faire avec c. Si les notions primitives ne sont plus que des êtres formels, vides de toute signification, on ne peut prétendre en effet avoir axiomatisé c. Il est donc nécessaire de faire un pas de plus et, la construction une fois terminée, de lui donner une interprétation. Cela consiste à mettre les notions primitives en correspondance avec certains objets et, si l’on choisit tout justement ceux de c, si de plus les théorèmes deviennent des propositions vraies de c, on pourra alors dire que l’on possède une axiomatisation formelle de c.


Formalisation

Il reste encore que, dans une axiomatisation même formelle, la déduction des théorèmes se fait à l’aide de règles qui restent implicites, et que des mots comme « et », « si... alors », « tous », « quelques », etc., gardent leur sens usuel peu précis. Un dernier pas va donc consister à traiter la logique elle-même comme un système axiomatique formel, c’est-à-dire à faire abstraction non seulement du sens des notions primitives de c, mais encore de celui des notions primitives de la logique, qui seront, dès lors, exclusivement manipulées à l’aide de règles explicitement données (v. langages formels).

Qu’il s’agisse d’axiomatisation matérielle ou formelle ou qu’il s’agisse de formalisation, un problème fondamental résulte de la constatation suivante. Les propositions (vraies) de c sont toujours en nombre fini, tandis que les théorèmes, eux, constituent un ensemble dénombrable, mais infini. Cela signifie que, à un moment donné du développement de la connaissance, il existe toujours des théorèmes qui n’auront pas encore fait l’objet d’une vérification dans c. L’attitude à adopter dépendra du genre de connaissances auquel on aura affaire.

Supposons d’abord, comme ce fut le cas historiquement, que c est de nature mathématique, et que l’on dispose d’une axiomatisation ou d’une formalisation non contradictoire de c. Rien n’empêche dans ces conditions de décréter que la connaissance en question n’est plus constituée par le corps fini des propositions de c, mais bien par l’ensemble infini des théorèmes du système. Allons plus loin et supposons que le système contienne un théorème qui s’oppose à une proposition de c. Ainsi, pour prendre un exemple géométrique, supposons qu’un théorème, une fois interprété, signifie « la somme des angles d’un triangle est supérieure à deux droits ». Si le système est non contradictoire et si le théorème est valide (correctement déduit), on aura tout simplement construit une autre géométrie que celle d’Euclide, en l’occurrence celle de Bernhard Riemann (1826-1866).

Mais on voit aussi que la situation est assez différente si l’on s’est proposé d’axiomatiser ou de formaliser un corps de connaissances physiques, c’est-à-dire des connaissances qui portent sur le monde qui nous entoure. Il est évidemment encore possible de soutenir que l’on a construit une autre physique, mais celle-ci est généralement sans intérêt, dans la mesure où la visée fondamentale est de rendre compte du monde tel qu’il nous apparaît et non pas tel qu’il pourrait être. La solution consiste alors à revenir aux notions et aux propositions primitives, à les modifier de sorte que le théorème qui faisait difficulté ne soit plus déductible. Il est clair qu’une telle procédure, une telle dialectique, ne saurait trouver d’achèvement.

En plus des exigences de rigueur et d’explicitation que commandent l’axiomatisation et la formalisation, celles-ci offrent encore un double intérêt. L’existence de théorèmes qui, interprétés, ne figuraient pas dans c conduit à enrichir progressivement la connaissance. D’autre part, il arrive souvent qu’un même système soit susceptible de plus d’une interprétation. Dès lors, tout ce qui est acquis pour un domaine de connaissances l’est immédiatement pour tous les autres (v. calcul des propositions).

J.-B. G.