Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Viêt-nam (suite)

Les écrits en caractères nationaux


Essor de la poésie

L’historien Ngô Si Lien rapporte qu’à la fin du xiiie s. (1282) un crocodile ravageant le fleuve Rouge, le ministre Nguyên Thuyên composa un court poème en caractères nationaux, qu’il jeta dans les eaux, et les méfaits cessèrent. Ce texte ne nous est pas parvenu, mais les Annales précisent que ce mandarin excellait dans le maniement de l’écriture « nôm » et qu’à son exemple des lettrés composaient des poésies en langue du pays. Perdus sont également les écrits de poètes de la même époque et du siècle suivant, dont seuls les noms demeurent : Nguyên Si Cô (fin du xiiie s. - début du xive s.), Chu Van An (?-1370), Hô Qui Ly et Hô Huyên Qui (fin du xive s. - début du xve s.).

On attribue à l’un ou à l’autre de ces deux derniers un roman-fable, la Souris vertueuse, composé de 802 vers alternés de six et de huit caractères, genre typiquement vietnamien connu sous le nom de luc-bat. Ici, l’auteur condamne la jalousie. Dans une autre fable en vers, l’Histoire du Silure et du Crapaud, l’auteur, anonyme, fait la critique des mœurs judiciaires et tend à montrer qu’un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès. Mais les textes qui nous sont parvenus ne datent pas d’une époque aussi lointaine.

La même remarque s’applique à l’Histoire de Vuong Tuong ainsi qu’à l’Histoire de Nguyên Biêu, qui faisait partie de la Vie des hommes vertueux, écrite par Hoang Trung (milieu du xve s.). L’authenticité de ces textes est fortement douteuse.

Nguyên Trai (1380-1442), grand homme d’État, apparaît comme le premier grand poète vietnamien. Récemment trouvé, son Recueil de poésies en langue nationale dénote une profonde influence des lettres chinoises ; il fourmille en archaïsmes et en obscurités ; le style demeure fort lourd. Après avoir servi son roi, l’auteur s’est retiré loin de la Cour, et il célèbre la douceur de la vie à la campagne, les satisfactions que procure une existence effacée et oisive. Sans doute sommes-nous là en présence du texte original. Mais le doute reparaît à propos des Instructions familiales (796 vers), dans lesquelles Nguyên Trai énonce les règles de la conduite à suivre par les enfants, les filles et l’épouse, prône la vertu et condamne les défauts. Abordant des sujets souvent repris et développés, ces textes n’ont pas manqué d’être « corrigés » et adaptés par les copistes successifs.

L’empereur Lê Thanh Tôn († 1497) laisse le souvenir d’un monarque ami des belles-lettres. Fondateur d’un cénacle littéraire, il aimait réunir les lettrés et échangeait avec eux des poèmes composés sur un thème donné. Plus de 300 pièces figurent dans un Recueil des poésies en langue du pays de l’époque Hông Duc (1470-1497), consacrées notamment aux sites célèbres, à la beauté de la nature, aux personnages talentueux. La langue utilisée présente moins de lourdeur qu’auparavant et plus de clarté. Ce recueil marque une étape importante dans l’histoire de la poésie vietnamienne, seul genre littéraire traditionnel.

Le xvie s. voit la guerre civile ravager le pays durant de longues années. Un seul grand nom demeure : Nguyên Binh Khiêm (1491-1585), connu également sous le nom de Trang Trinh et sous le pseudonyme de Bach Vân. Les Poèmes en langue nationale de Bach Vân reprennent les thèmes chers à Nguyên Trai : amour de la modération, éloge de la simplicité, délices de la vie rurale. Ils abordent aussi l’existence troublée du moment. La langue a évolué : elle a gagné en légèreté et se montre plus accessible au lecteur. Le but moralisateur des écrits transparaît aussi plus fortement.

La célébrité de cet auteur lui vient également de ses Prophéties, dont le texte original a disparu et qui ne nous sont connues que par de multiples traductions successives. Mais, par opposition à celui des poèmes, le vocabulaire présente de fréquentes obscurités, donnant lieu aux exégèses les plus variées et les plus contradictoires.

Puis, les luttes intestines gagnant en ampleur, un long siècle s’écoule, durant lequel aucun auteur ni aucune œuvre ne laisse de trace durable.


L’âge d’or de la littérature traditionnelle

La paix reparaît enfin. Alors, de nombreux écrits voient le jour, particulièrement durant la seconde moitié du xviiie s.

De plus en plus, les lettrés accordent leurs faveurs à l’écriture nationale et abandonnent les caractères chinois. Désormais, l’authenticité des citations et des textes ne fait plus de doute, et les événements historiques cèdent progressivement la place à plus de lyrisme. Toutefois, la poésie demeure le seul genre vraiment littéraire.

Nguyên Ba Lân (1701-1785), Nguyên Huu Chinh († 1787), Nguyên Huy Luong, Pham Thai (1777-1813) abordent, dans les mêmes genres, des sujets plus variés : faits politiques, sites célèbres. Chacun d’eux y montre, à des degrés divers, sa propre personnalité.

Dans le même temps, deux genres typiquement vietnamiens assurent l’éclosion des plus célèbres chefs-d’œuvre de la littérature en caractères : les complaintes et les romans en vers.

Les complaintes (ngâm) se présentent sous la forme d’une longue suite de quatrains composés de deux vers de sept, suivis d’un vers de six, puis d’un vers de huit caractères. L’inspiration reste toujours chinoise. Cependant, poussés peut-être par le souci d’obtenir la faveur d’un large public, les auteurs accentuent le caractère vietnamien de leurs adaptations. La Complainte de l’épouse du combattant, maintes fois traitée, donne la célébrité à la poétesse Doan Thi Diêm (1705-?). Nguyên Gia Thiêu (v. 1741-1798), également connu sous titre nobiliaire de marquis Ôn Nhu, compose la Complainte d’une concubine royale. Sur le même genre, au xixe s., Cao Ba Nha écrira des Confessions pour implorer la clémence du souverain.

Les romans en vers sont des récits comportant de plusieurs centaines à plusieurs milliers de vers alternés formés de six et de huit caractères. Comme les complaintes, ils s’inspirent largement du roman chinois, connu souvent par le théâtre. Nguyên Huy Tu (1743-1790) écrit les Feuillets fleuris, œuvre riche en allusions et en expressions savantes. Un auteur resté anonyme compose l’Histoire de Phan et Trân, également roman d’amour comme le précédent.