Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Viêt-nam (suite)

Puis, au début du siècle dernier, paraît le récit des multiples aventures d’une jeune fille appelée Kiêu dans l’Histoire de Kim, Vân et Kiêu, longue de 3 254 vers et considérée par beaucoup comme le roman national du Viêt-nam, dû au talent incontesté de Nguyên Du (1765-1820). Sévèrement jugé par les confucéens rigoristes, hostiles au tableau donné de mœurs dépravées, et par les progressistes marxistes, qui y voient l’image d’une société dissolue, loué, au contraire, par nombre de lettrés sensibles aux qualités littéraires de l’œuvre, ce roman jouit encore aujourd’hui d’une faveur toute spéciale de la part du public, qui aime en déclamer de longs passages, en citer les vers les plus connus.

Nous abordons avec le « Kiêu » l’aspect le plus moderne de la langue en caractères. Cette langue a définitivement acquis droit de cité, et les plus grands lettrés, demeurés souvent anonymes, y consacrent désormais leur talent. Nombreux sont les romans qui paraissent, dont nous ne retiendrons que certains parmi les plus célèbres : la Rencontre miraculeuse du canal de Jade, qui célèbre l’union passagère d’une immortelle avec un jeune étudiant ; les Pruniers refleuris, récit d’une famille sacrifiant à la morale traditionnelle ; la Sainte Quan Âm, histoire toute imprégnée de la doctrine bouddhiste ; Ly Công, histoire des amours malheureuses d’une princesse pour un mendiant ; encore et surtout les Aventures de Luc Vân Tiên, roman dû à Nguyên Dinh Chiêu (1822-1888), premier grand auteur du Viêt-nam du Sud et que beaucoup tiennent pour le second des grands romanciers nationaux en vers.

L’émancipation des servitudes des règles et de l’inspiration chinoises se manifeste davantage encore chez les auteurs de poèmes du xixe s.

La poétesse Hô Xuân Huong donne libre cours à son inspiration pour célébrer l’amour physique, prôner l’égalité de l’homme et de la femme. Ses vers expriment, au moyen d’allusions à peine voilées, d’images fortement suggestives et d’habiles jeux de mots, la vie dans toute sa réalité. Une autre poétesse, connue seulement comme l’épouse du chef de la circonscription de Thanh Quan, fait preuve d’une exquise sensibilité dans les descriptions qu’elle nous donne de paysages traversés.

Il faut citer aussi : Nguyên Công Tru (1778-1858), à la fois grand serviteur de l’État et grand homme de lettres, célèbre par ses chants et son conservatisme ; Cao Ba Quat († 1854), largement ouvert au modernisme, débordant à la fois de fierté et d’ironie ; Trân Thê Xuong (1870-1907), à la vie remplie d’échecs et d’amertume ; enfin, Nguyên Khuyên (1835-1909), lui aussi frappé par les vicissitudes de l’existence, mais plus résigné et moins incisif que le précédent.

La fin du xixe s. marque l’apogée de la littérature dite « traditionnelle ». Affranchie des entraves de la stylistique chinoise, parvenue à une liberté et à une clarté d’expression remarquables, enrichie par les meilleurs des lettrés, largement goûtée par la population, cette littérature se trouve pourtant à la veille de son déclin et tout près d’être définitivement abandonnée.


La littérature en vietnamien romanisé (quôc-ngu)


La période de transition

En 1859 débute au Viêt-nam du Sud l’occupation française. En présence du vide administratif causé par le départ des mandarins en place s’installe une nouvelle administration, dans laquelle figurent d’anciens élèves des Missions. L’écriture romanisée ne pouvait trouver de meilleurs avocats, et son emploi ne se limite plus dès lors au domaine religieux.

Huynh Tinh Cua (1834-1907), dit Paulus Cua, fonde en 1865 le premier journal vietnamien (Gia Dinh bao). Employant la langue du Sud, dont il est originaire, il publie en 1880 un recueil de Contes drolatiques, complété par une Suite, et, en 1895, il fait paraître un Dictionnaire annamite, en deux forts volumes, où les caractères « nôm » figurent à côté des mots romanisés (quôc-ngu).

Truong Vinh Ky (1837-1898), dit Petrus Ky, produit une œuvre considérable, englobant la plupart des genres : traductions en romanisation de romans en vers traditionnels, nombreux ouvrages en français et en vietnamien, grammaire annamite, Dictionnaire français-annamite (1884).

La prose naissante, malgré ses maladresses, fait montre d’un réel souci de clarté et de simplicité. Quant à la poésie, elle prime toujours, mais pour un temps très court. Prosateurs et poètes, bien que formés à l’enseignement traditionnel, adhèrent rapidement à l’écriture et aux tendances nouvelles, tandis que l’essor du journalisme leur permet d’acquérir une large audience dans la population.

Dès le début du xxe s., le Viêt-nam du Nord s’ouvre largement à ce mouvement ; 1906 voit la constitution d’un groupe d’intellectuels se consacrant à la diffusion de l’écriture romanisée, à l’enseignement de la langue et à la traduction d’œuvres chinoises et françaises. Leur action, teintée de nationalisme, remporte un tel succès que les autorités coloniales, inquiètes, ordonnent la cessation d’une telle activité. Aussi disparaît le « Dông Kinh nghia thuc ».

Nguyên Van Vinh (1882-1936) traduit de multiples ouvrages français et contribue largement à la connaissance de la culture occidentale. Il fonde et anime journaux et revues, parmi lesquels la Revue indochinoise, de 1913 à 1918. Nguyên Ba Hoc (1857-1921), Phan Kê Binh (1875-1921), Pham Duy Tôn (1883-1924) concourent avec lui au triomphe de la romanisation en publiant articles de revue, traductions, études historiques et sociologiques sur le Viêt-nam. Répondant au succès des traductions de romans chinois de cape et d’épée, Hô Biêu Chanh (1885-1958) entreprend dans le Sud, dès 1912, l’édition d’une foule de romans, souvent inspirés du français, mais adaptés avec bonheur à son pays. Dans le Nord, le confucéen Nguyên Khac Hiêu, alias Tan Da (1889-1939), compose d’admirables poèmes, où la beauté des images s’allie aux choix harmonieux du vocabulaire. Fidèle à la poésie de type classique, il n’en rejette pas pour autant la jeune poésie moderne et fait figure de maître durant la période d’entre les deux guerres mondiales. Dông Hô (1906-1969), à Saigon, suivra une voie parallèle.