Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
U

urbanisme (suite)

Réintroduire l’imaginaire dans cette vision conceptuelle a été la tâche de toute la Renaissance : par le biais des tableaux de marqueterie, des grands paysages architecturés où s’enferme la figuration picturale (notamment l’école de Fontainebleau) et dans l’espace de convention de la représentation scénique (Inigo Jones* par exemple) s’est peu à peu constituée l’image visuelle de la ville baroque et de son spectacle, nouveau moment d’équilibre.

Avec les bouleversements du début du xixe s. réapparaît l’utopie, d’abord chez les architectes révolutionnaires français, auteurs de modèles architecturaux théoriques (où la géométrie souligne l’abstraction de la forme), puis chez les théoriciens socialistes : Charles Fourier*, qui fonde le phalanstère de Condé-sur-Vesgre vers 1830 ; Robert Owen*, qui crée la ville de New Harmony dans l’Indiana en 1825 ; Étienne Cabet, enfin, qui donne naissance à deux reprises (dans le Texas et l’Iowa) à des colonies phalanstériennes restées sans lendemain. Seul, en définitive, le « Familistère de Guise », créé à l’initiative de l’industriel Jean-Baptiste Godin pour ses ouvriers, a connu une vie autre qu’éphémère et témoigne de la conception urbaine des théoriciens socialisants du xixe s. Étrange conception, à vrai dire, marquée par l’immobilisme platonicien des fonctions, par leur hiérarchisation baroque (le phalanstère étant un « palais » ouvrier) ainsi que par la fermeture générale et l’isolement de ces colonies qui sont repliées sur elles-mêmes autour d’une vaste cour collective à valeur symbolique.

À l’urbanisme utopique des fouriéristes répondra l’urbanisme haussmannien, produit d’une « transformation » de la ville nécessitée par son adaptation à l’époque industrielle (v. Paris). Plastiquement, l’haussmannisme n’est que du baroque continué ; son originalité tient à la hiérarchisation qu’il impose entre les voies et, dans un tissu traditionnellement orthogonal, à l’utilisation de tracés rayonnants ou diagonaux (hérités des projets de la fin du xviiie s.). Enfin, les percées haussmanniennes, trop souvent réduites par la critique à une fonction policière, ont introduit dans l’espace serré de la ville un réseau de verdure (avenues plantées et squares) qui a pris le relais des anciens jardins de cœur d’îlot, disparus sous la poussée immobilière. L’urbanisme haussmannien, même s’il est l’expression privilégiée d’une bourgeoisie triomphante, au service de laquelle il s’est placé, n’en est pas moins une réussite exceptionnelle, digne des grandes réalisations baroques qui l’avaient précédé.

Urbanisme bourgeois, l’haussmannisme s’est trouvé incapable de résoudre les contradictions de la société du xixe s., dont l’espace urbain est marqué du sceau de l’incohérence et de la confusion : quartiers ouvriers, zones industrielles et lignes de transports forment dans les faubourgs des capitales un enchevêtrement inextricable ; univers de gigantisme et de laideur qu’illustrent bien les faubourgs anglais de Manchester ou les docks de Londres. La société du xixe s. est une société de l’endroit et de l’envers, édifiée dans un rapport de dépendance absolu, illustration caricaturale de la dialectique du maître et de l’esclave.


La nouvelle réflexion « urbanistique » et l’urbanisme progressiste

On comprend que certains artistes de l’époque soient entrés en révolte contre ce monde de misère et de laideur que traînait derrière elle l’industrialisation : en Angleterre, tôt touchée par ce phénomène, John Ruskin* devait se faire le défenseur à la fois des valeurs esthétiques et morales de la civilisation ancienne et de la classe ouvrière, aliénée par le monde de la machine. Ce socialisme nostalgique, défini comme « culturaliste » par certains, devait influencer fortement l’art de William Morris (1834-1896) et des préraphaélites* anglais, puis déboucher sur une réflexion urbanistique dont, à la fin du siècle, les deux ouvrages presque simultanés de William Morris à Londres (News from nowhere, 1891) et de Camillo Sitte (1843-1903) à Vienne (Der Städtebau nach seinen künstlerischen Grundsätzen, 1899) se font l’écho.

Camillo Sitte, dans une perspective très ruskinienne, exaltait les qualités de l’espace médiéval, l’intimité de son échelle et l’ampleur des contrastes qu’il autorise, le principe de « continuum » urbain sur lequel il repose (en opposition totale avec les espaces fractionnés et isolés de la ville moderne). Enrichie d’un contenu social, cette pensée devait se concrétiser chez sir Ebenezer Howard (1850-1928), avec la création d’un nouveau modèle urbain, la « cité-jardin », dont le principe, défini dans Tomorrow : a Peaceful Path to Social Reform (1898), est appliqué dès 1903 à Letchworth (Hertfordshire), puis en 1920 à Welwyn Garden City, au nord de Londres.

Exploité surtout dans les pays germaniques et anglo-saxons, le thème de la cité-jardin devait se heurter à de fortes résistances dans les pays latins, traditionnellement attachés à la densité urbaine et aux échanges multiples que celle-ci autorise. L’aboutissement extrême de la cité-jardin ne pouvait être que la théorie du « désurbanisme », soutenue par certains architectes soviétiques des années 20 et qui apparaît comme une négation de la ville et, dans une certaine mesure, comme une nostalgie du monde rural préindustriel.

Au mythe de la nature devait donc répondre l’apologie du modernisme, rendu possible par la civilisation industrielle : la « Cité industrielle » de Tony Garnier (1869-1948) offre une vision positive du monde mécanique, en associant paysage industriel et paysage urbain en une image unique et réconfortante. Tentative exceptionnelle pour concilier l’humain et le mécanique, le mythe du modernisme repose sur l’idée d’une mise au service de l’homme des moyens libérés par la machine : l’intéressante querelle qui, au sein du Werkbund, opposera en 1914 Walter Gropius à Henry Van de Velde sur le thème de l’homme et de la machine marque le point de départ de ce nouveau courant d’idées, dont les années 30 devaient voir l’épanouissement.