Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
U

urbanisme (suite)

C’est avec la Renaissance italienne — et principalement Bramante*, puis Michel-Ange* à Rome* (le Belvédère, Saint-Pierre, le Capitole) — que le grand art urbain de l’Antiquité reprend toute sa signification. Espace essentiellement visuel et spectaculaire, il reste constamment tiraillé entre la dimension picturale et la dimension scénographique de sa composition. Le recours systématique aux artifices de la perspective et aux truquages d’échelle (dont Michel-Ange donne le premier l’exemple dès la place du Capitole) lui donne ce caractère emphatique qui est étroitement lié à l’esthétique baroque : les grandes mises en scène de Versailles* ou de Nancy*, dans la France des xviie et xviiie s., constituent l’aboutissement plastique de deux siècles d’art urbain monumental et savant. Comme l’a dit très justement Françoise Choay, cet espace de spectacle rend la ville, de « discourante, discourue » ; en d’autres termes, la signification des formes urbaines, d’implicite et de spontanée, devient consciente et réfléchie. Le phénomène, qui n’avait d’abord atteint que les grandes réalisations monumentales du pouvoir, tend, avec le xviiie s., à s’élargir jusque dans l’habitat, qui est monumentalisé et intégré au spectacle urbain (ce qui ne s’était jamais produit dans l’Antiquité).

Nous avons — suivant en cela une tradition dans l’analyse des espaces urbains médiévaux ou classiques — opposé l’art « savant » des uns à la conception « spontanée » des autres. Il serait plus juste de parler de composition « intégrée » ou de composition « a priori » : l’urbanisme médiéval, en effet, n’a de libre que la nécessité qu’il se donne de s’adapter à un contexte historiquement ou géographiquement prédéterminé — en se fixant pour but de tirer de cet accident du lieu et de son histoire une nouvelle structure qui soit prégnante en elle-même ; l’urbanisme classique, en revanche, est beaucoup plus étroitement attaché à des modèles formels préétablis, à une tradition académique où chaque nouvelle création n’est que la suite ou la réponse à une création précédente (ainsi peut-on faire l’histoire du château français ou de la place Royale...), et il traite les conditions particulières de l’insertion d’un « parti » (dans le sens de l’architecture) plus comme des obstacles à vaincre que comme des stimulations à l’imagination.

L’urbanisme médiéval, pour moins scénographique qu’il soit, apparaît comme beaucoup plus authentiquement urbain que celui de l’époque classique : espace de contact et non espace de spectacle (selon F. Choay), il privilégie en effet l’échange plutôt que la représentation ; il est beaucoup plus directement l’expression des forces en présence et de leur rôle spécifique que le cadre systématique des grandes compositions classiques. Ici, en fait, une vision conceptuelle de la ville s’oppose à une vision organique de l’urbain.

Néanmoins, et il est important de le souligner, les deux systèmes de composition urbaine n’attachent pas moins d’importance l’un que l’autre aux phénomènes visuels dans le traitement des espaces urbains : les grandes places de Sienne, de Vérone ou de Florence sont tout aussi profondément méditées que celles de Rome ou de Bath. Plus encore, l’urbanisme médiéval, dans sa dimension organique, lie si étroitement phénomène plastique et signification économique, sociale ou politique que le résultat est presque indissociable (la réussite plastique de certains ensembles de l’époque classique pouvant, au contraire, s’accompagner d’un échec fonctionnel ou d’une rivalité permanente de l’un et de l’autre).

Ainsi, l’urbanisme (ou plutôt l’art urbain), en tant que pratique plusieurs fois millénaire, se définit comme un art de la composition plastique — spontanée ou ordonnée — à l’intérieur d’un système de valeurs dont elle est la traduction, sans réflexion préalable ni remise en cause. Cet aspect contrebalance la vision utilitariste de l’urbanisme « réglementaire », que nous avons d’abord défini. L’un et l’autre points de vue ont cohabité longtemps comme des degrés différents d’un même système de valeurs.


La révolution industrielle et la théorie de l’urbanisme

La révolution industrielle*, en rompant l’équilibre traditionnel des échanges, a perturbé gravement l’espace urbain : le renversement du rapport ville-campagne, conduisant à l’explosion urbaine, a nécessité une réflexion d’ordre plus théorique sur l’organisation urbaine et la recherche de modèles nouveaux, acceptant la modification des contraintes traditionnelles. C’est de cette manière qu’est apparu l’urbanisme en tant que théorie, conditionnant une pratique urbanistique a posteriori.

Les premiers signes d’une remise en cause de la ville comme structure apparaissent dès le xv s. en Italie avec le développement de la grande bourgeoisie d’affaires : les esquisses de Léonard de Vinci pour une superposition des circulations urbaines (préfigurant étrangement certaines réalisations du xxe s.) appartiennent à cette remise en cause du système urbain et du brassage des fonctions qui s’y produit. De cette réduction logique de l’organisme urbain, on pourrait dire, dans un certain sens, que les souks médiévaux sont significatifs : le zonage systématique des activités qui tend à marquer la ville médiévale, surtout en Orient, est une tentative intellectuelle de domination, de mise en ordre d’une activité foisonnante et multiple.

Mais c’est surtout par l’utopie*, image inversée du réel, que s’est constituée la pensée sur l’urbanisme : utopies géométriques des ingénieurs de la Renaissance (Filarete, Francesco di Giorgio Martini*), utopies littéraires d’un Rabelais* (Thélème) ou d’un Thomas* More (l’Amaurote). Baignés dans la pensée néo-platonicienne, les projets de la Renaissance proposent de l’homme une vision figée dans l’éternel de la perfection ; ils rejoignent le plan de l’idée platonicienne en proposant de la ville un modèle, référence idéale vers laquelle tendrait toute réalisation.