Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
U

urbanisme (suite)

C’est en effet après 1920 que cet urbanisme progressiste devait se constituer en système, souligné en 1933 par la publication de la « Charte d’Athènes », document collectif émané des congrès internationaux d’architecture moderne (C. I. A. M.). Le projet de Le Corbusier* « pour une ville de trois millions d’habitants » (1922), ou le plan Voisin (1925), et, en Allemagne, les réalisations de la république de Weimar (Bruno Taut à Berlin, Gropius* à Dessau, Ernst May à Stuttgart) sont les préalables à cette définition de principe.

En poussant à l’extrême le principe de la hiérarchisation des circulations, l’isolement des édifices dans la verdure et la systématisation des plans, les urbanistes de la Charte d’Athènes n’ont fait qu’accélérer, sous une forme radicale, les schémas urbains inventés dès les débuts de l’époque industrielle ; ce faisant, ils condamnaient définitivement la ville ancienne, taxée d’archaïsme, et détruisaient ce qui en avait été le fondement, le principe de voisinage. La « maladie de l’isolement », détectée par Camillo Sitte dans la cité moderne, se concluait par une décomposition totale de la trame urbaine, dont nos ensembles contemporains, inspirés par les théories de l’urbanisme progressiste, sont le témoignage quotidien.

On peut donc parler, en définitive, d’un échec de l’urbanisme scientifique et rationnel prôné par l’école moderne. Dès les années 60, Lewis Mumford aux États-Unis, Françoise Choay et Gaston Bardet en France, suivant en cela un mouvement d’opinion, prononçaient la condamnation de la théorie de l’urbanisme moderne et, introduisant la dimension de l’histoire dans l’analyse de la ville, soulignaient le caractère organique de cette dernière, mis depuis plus en lumière par les études de Christopher Alexander sur les systèmes logiques ou par toutes ces ouvertures, dont nous avons parlé, vers les sciences humaines.

Aujourd’hui, l’urbanisme — hormis son aspect de planification — apparaît moins comme une science exacte que comme une aptitude à la compréhension de l’humain, dans chaque situation particulière que les conditions de l’économie, de l’histoire, de la culture ont constituée et que le concepteur doit structurer en un nouvel ensemble, ayant son unité et sa vitalité propres. Il reste à espérer que les études réflexives qui ont été conduites durant la dernière décennie aboutissent à d’authentiques créations urbaines contemporaines, dont nous ne connaissons malheureusement pas encore d’exemple.

F. L.


L’urbanisme en France

Entre le conformisme de la tradition et les rêves plus ou moins nostalgiques des visionnaires, l’urbaniste doit trouver une voie qui ne soit plus l’adaptation à ce qui existe, mais qui prépare le cadre de notre vie de demain.

En France, c’est Jean-François Gravier qui, en 1947, devait être un des premiers à lancer un cri d’alarme par son ouvrage Paris et le désert français.

La critique était peut-être facile. Mais l’anarchie apparente des implantations urbaines était-elle évitable, notamment le développement tentaculaire de la région parisienne... ?


Le cas de la D. A. T. A. R. (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale)

Pourquoi se poser des problèmes d’urbanisme alors que 90 p. 100 du sol français appartiennent encore aujourd’hui à la « campagne » et qu’il suffit le plus souvent de gagner sur les champs pour étendre les villes ?... Imaginons que chaque foyer veuille vivre dans une maison individuelle. Avec 16 millions de foyers disposant chacun de 500 m2 et en ajoutant 20 p. 100 de superficies pour les voies de circulation, on ne couvrirait que 1 million d’hectares, alors que le territoire national s’étend sur plus de 55 millions d’hectares.

Les problèmes de l’urbanisme ne se posent donc pas tellement, pour les Français, en termes de surface, mais bien plutôt en envisageant l’aménagement des métropoles, des « conurbations », des cités industrielles, des grands ensembles d’habitation, etc.

Cela implique évidemment un plan d’ensemble, une coordination dont la nécessité n’est vraiment apparue aux pouvoirs publics qu’il y a peu d’années.

En février 1963, la D. A. T. A. R. était créée : une petite équipe allait mener de front des actions de fond, des études et des recherches. Orienter et coordonner le développement de l’Hexagone n’est pas une tâche facile. Les objectifs ne font pas toujours l’unanimité : les querelles relatives à Fos-sur-Mer, pour ne citer qu’elles, le montrent bien.

La D. A. T. A. R. n’est pas une caisse d’entraide des régions ou un fonds de secours pour les industriels en crise. Sa politique n’est pas fondée sur l’assistance : c’est une politique nationale visant à rééquilibrer les activités à travers tout le pays. Son action n’est donc pas conçue comme un catalogue des revendications régionales.

Depuis sa création et compte tenu de son évolution, on peut distinguer six grandes catégories d’actions : l’industrialisation des régions de l’Ouest ; la conversion industrielle dans le Nord, en Lorraine, dans l’Ouest atlantique et sur la façade méditerranéenne ; la conversion rurale en Bretagne, dans le Limousin, dans les pays de montagne et en Auvergne ; la décentralisation « tertiaire » ; la politique urbaine, articulée entre Paris, les métropoles d’équilibre et, depuis peu, les villes moyennes.

Entre 1955 et 1960, le volume de l’émigration de la province vers Paris avait plus que doublé par rapport à la période de l’immédiat après-guerre ; entre 1962 et 1968, les dix régions situées à l’ouest d’une ligne Marseille-Le Havre ont gagné 200 000 « actifs », alors qu’elles en avaient perdu 400 000 dans les dix années précédentes. L’échange équilibré de population entre Paris et la province est aujourd’hui une réalité. On peut tenter d’extraire du bilan des tentatives de la D. A. T. A. R. les réponses à trois grandes questions : l’action de cet organisme ne change-t-elle pas de niveau et de signification ? Comment les lignes de force de la politique sont-elles mises en forme dans l’aménagement du territoire ? Quel devrait-être le visage de la France de demain ?