Économiste et homme d’État français (Paris 1727 - id. 1781).
Les débuts
Anne Robert Jacques Turgot naît dans une famille aisée de Paris ; son père, Michel Étienne (1690-1751), prévôt des marchands, et sa mère, Françoise Martineau, destinent leur troisième fils à l’Église. Le jeune garçon fait ses études aux collèges Louis-le-Grand et du Plessis, puis à Saint-Sulpice. Il manifeste très vite sa grande curiosité d’esprit, s’intéressant aux questions intellectuelles débattues à cette époque ; en 1749, il présente, dans une « Lettre à l’abbé de Cicé sur le papier monnaie » une réfutation du système de Law. Élu prieur de la Sorbonne en décembre 1749, il décrit, dans un discours prononcé le 13 juillet 1750, les avantages procurés aux hommes par la religion chrétienne. Mais il sait bien qu’il ne pourra pas servir l’Église toute sa vie ; aussi renonce-t-il à la carrière ecclésiastique, pour la magistrature, en 1751.
À la mort de son père, il devient substitut du procureur général du parlement de Paris (5 janv. 1752), puis conseiller au parlement (30 déc.) et enfin maître des requêtes (28 mars 1753). Cette charge ne satisfait pas sa soif de connaissance ; attiré par les langues anciennes et modernes, Turgot étudie aussi la chimie et surtout l’économie. Il découvre à ce moment les physiocrates François Quesnay* (1694-1774) et J.-C. M. de Gournay (1712-1759). Plusieurs publications manifestent alors son goût pour l’économie : en 1755, la traduction du livre de Josias Tucker Questions importantes sur le commerce ; en 1760, l’Éloge de Gournay, précis de science économique publié par le Mercure à l’occasion de la mort du physiocrate. Ces différentes occupations n’empêchent pas Turgot de fréquenter les salons de Mme de Graffigny, de Mme Geoffrin et de Mlle de Lespinasse. Mais cette période d’études et de publications s’achève : Turgot est en effet nommé intendant de Limoges en 1761.
Cette charge lui permet d’appliquer les théories physiocratiques et de confronter ses idées avec la réalité. Pour améliorer l’approvisionnement des villes, Turgot fait construire des routes et s’efforce de réaliser la libre circulation des grains. Il substitue aux corvées des chemins et à celles des transports militaires deux contributions, payées par les taillables, pour la première, et par tous les contribuables, pour la seconde. Lorsque la disette frappe le Limousin en 1770-71, il agit efficacement pour soulager les populations touchées.
Ministre de Louis XVI
Louis XVI nomme Turgot secrétaire d’État à la Marine le 20 juillet 1774 et contrôleur général des Finances le 24 août. Timide, peu éloquent, le nouveau ministre est non seulement un théoricien (qui s’est signalé par la publication de Réflexions sur la formation et la distribution des richesses en 1766) mais aussi un homme d’expérience ; les treize années passées à Limoges l’ont convaincu du rôle majeur joué par l’agriculture ; à ses yeux, la question céréalière, dont dépend la subsistance du royaume, est le point de convergence de toutes les autres préoccupations économiques ou financières ; l’équilibre du budget, l’allégement de la fiscalité, la diminution de certaines dépenses, le développement de la production agricole visent à améliorer le sort et la tâche des paysans ainsi qu’à résoudre le problème des subsistances. Soutenu par le roi, Turgot bénéficie aussi de conditions économiques et politiques favorables : Terray, son prédécesseur au contrôle général, est parvenu à redresser la situation financière ; les parlements, rappelés en novembre 1774, ne sont pas hostiles à Turgot.
Le nouveau ministre est décidé à assainir les finances ; il réussit à réduire les charges de la gestion en limitant le coût des emprunts et de la levée des impôts non affermés. En revanche, il ne parvient pas à limiter les dépenses militaires : le budget de la marine et celui de la guerre ne peuvent pas être diminués. Le contrôleur général n’arrive pas non plus à restreindre les dépenses de la maison du roi ; le sacre de Louis XVI coûtera 7 millions, à son grand regret.
L’édit sur la circulation des grains (13 sept. 1774) vise essentiellement à améliorer les échanges intérieurs ; Turgot propose en effet la suppression de la réglementation, rétablie en 1770, qui entravait le commerce, le stockage... En outre, l’exportation des grains est autorisée à certaines conditions. Turgot complète ces mesures par l’abolition de charges fiscales perçues le long des voies de communication. Les parlements, sauf celui de Rouen, enregistrent l’édit, que les intendants sont chargés d’appliquer, malgré la médiocre récolte. Au cours des mois suivants, le prix du blé monte dans presque toutes les régions du royaume, provoquant une certaine émotion dans les villes et les campagnes. Le 18 avril 1775, une émeute éclate sur le marché de Dijon ; du 27 avril au 10 mai, des troubles se produisent dans de nombreuses villes du Bassin parisien : le 2 mai à Versailles et le 3 à Paris. La foule pille parfois les marchés ; le plus souvent, elle refuse d’acheter les grains au prix proposé et oblige les vendeurs à baisser leurs tarifs. Malgré les demandes, Turgot refuse de revenir sur l’édit du 13 septembre ; répétant sans cesse ses instructions aux intendants, il prend aussi des mesures de sécurité pour réprimer les désordres, mais la guerre des farines le prive du soutien de la masse populaire.