Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Thucydide (suite)

Le premier livre est le plus long. Il renferme la préface (réflexions sur les premiers temps de la Grèce et commentaires sur la méthode adoptée) et fait l’exposé des causes de la guerre (affaire de Corcyre et de Potidée, craintes de Sparte devant l’impérialisme athénien). Le deuxième, le troisième et le quatrième livre ainsi que le début du cinquième contiennent, saison par saison, la première phase de la lutte. Celle-ci commence à l’invasion de l’Attique par Archidamos et finit à la paix de Nicias (printemps de 421) : la peste d’Athènes, la mort de Périclès (livre II), le siège de Platées, les massacres de Mytilène et de Corcyre (livre III), les succès athéniens à Sphactérie et à Cythère, la campagne de Brasidas (livre IV), la mort de ce dernier et celle de Cléon (livre V) constituent les événements les plus saillants. La fin du cinquième livre est le récit de la paix qui suit la trêve de Nicias jusqu’à l’expédition de Sicile (421-415). Le sixième et le septième livre racontent cette expédition (415-413). Le huitième livre est consacré aux conséquences de cette désastreuse entreprise, à la conjuration oligarchique des Quatre Cents et à leur chute.

L’histoire grecque après Thucydide

Ctésias (Cnide, Carie, seconde moitié du ve s. av. J.-C.) fut emmené en Perse en captivité. Devenu médecin de Cyrus le Jeune, puis d’Artaxerxès II, il eut accès aux archives de Suse et composa de nombreux écrits, parmi lesquels une histoire perse (Persika), en vingt livres, des origines à l’année 398, que consultèrent largement Diodore et Plutarque, et un ouvrage sur l’Inde (Indika). Il ne subsiste que des fragments ou des résumés de cette œuvre écrite dans un dialecte ionien mêlé d’atticisme. Dépourvu de sens critique, ce bon chroniqueur se caractérise par son amour du merveilleux et par la douceur de son style.

Au ive s. av. J.-C., trois noms se détachent : Philistos et surtout Éphore et Théopompe, créateurs d’un nouveau genre, l’éloquence dans l’histoire. Il reste d’importants fragments de leurs œuvres. Philistos (Syracuse v. 435-356), médiocre imitateur de Thucydide, est l’auteur d’une Histoire de la Sicile. Éphore (Cymé v. 390? - apr. 334), élève d’Isocrate (v. 436-338), rédigea une Histoire générale du monde jusqu’en 340, dont la valeur scientifique est certaine ; il a en outre le mérite d’un style élégant, et Polybe le loue d’avoir, le premier, composé une histoire universelle. Théopompe (Chios v. 378 - apr. 323), lui aussi élève d’Isocrate, écrivit un Abrégé d’Hérodote, une Histoire grecque, qui, continuant l’œuvre de Thucydide, allait de 411 à 394, et une histoire philippique (Philippika), qui racontait les événements survenus de 362 à la mort de Philippe, en 336. Il fait preuve de clairvoyance, mais l’abus de la rhétorique gâche la vivacité de ses tableaux.


Une conception de l’histoire

Si une seule génération sépare Thucydide d’Hérodote*, leur conception de l’histoire est radicalement différente et correspond à deux moments de la pensée grecque. Ces deux historiens sont aussi dissemblables d’esprit que de méthode. Alors qu’Hérodote fait dans son œuvre une large part au conte, avec le souci d’en montrer la valeur édifiante, Thucydide voit dans l’histoire une véritable science, dont la fin est moins de distraire que d’enseigner. Son étude a pour objet de livrer au lecteur une somme de renseignements destinés autant à situer les événements qu’à en dégager la signification profonde. Par là, Thucydide vise à découvrir dans le passé et dans l’actualité une leçon pour l’avenir : « Si l’on veut voir clair dans les événements passés et dans ceux qui, à l’avenir, en vertu du caractère humain qui est le leur, présenteront des similitudes ou des analogies, qu’alors, on les juge utiles, et cela suffira : ils constituent un trésor pour toujours (ktêma es aiei), plutôt qu’une production d’apparat pour un auditoire du moment » (I, xxii, 4).

À ses yeux, des lois permanentes et nécessaires commandent les faits, et leur enchaînement découle d’une logique intime. Bien loin de croire, comme Hérodote, que le cours des choses obéit à une puissance supérieure aux desseins capricieux, Thucydide est persuadé qu’un certain déterminisme gouverne le monde et qu’on doit en tirer parti. La connaissance des causes permet, en effet, de prévoir le retour des mêmes effets. Quand il relate la peste d’Athènes, il espère que son récit sera d’une utilité pratique pour les hommes à venir : « Pour moi, je dirai comment cette maladie se présentait ; les signes à observer pour pouvoir le mieux, si jamais elle se reproduisait, profiter d’un savoir préalable et n’être pas devant l’inconnu » (II, xlviii, 3).

Cette forte conviction qu’il y ait des lois naturelles auxquelles nul n’échappe, mais dont on peut obtenir un profit solide et durable l’entraîne tout naturellement à rejeter les traditions fantaisistes ou légendaires, fruits de l’imagination des poètes. Certains le regretteront (« À l’audition, l’absence de merveilleux dans les faits rapportés paraîtra sans doute en diminuer le charme » [I, xxii, 3]), mais, en histoire, la recherche de la vérité est plus féconde que le plaisir de lire de belles fables.


Une méthode sévère

La rigueur de la méthode de Thucydide est à la mesure de la hauteur de la conception qui l’anime. Soucieux d’une information exacte, l’historien apporte dans son œuvre l’esprit critique le plus sérieux. C’est ainsi qu’il se méfie des apports de ses prédécesseurs : après avoir raconté l’histoire grecque depuis les origines, il ajoute : « En ce domaine, il est bien difficile de croire tous les indices comme ils viennent. Car les gens, s’agit-il même de leur pays, n’en acceptent pas moins sans examen les traditions que l’on se transmet sur le passé » (I, xx, 1). Même défiance à l’égard des documents de seconde main : « En ce qui concerne les actes qui prirent place au cours de la guerre, je n’ai pas cru devoir, pour les raconter, me fixer aux informations du premier venu, non plus qu’à mon avis personnel : ou bien j’y ai assisté moi-même, ou bien j’ai enquêté sur chacun auprès d’autrui avec toute l’exactitude possible » (I, xxii, 2). De façon plus générale, la règle à suivre en vue de la meilleure approche du vrai, auquel, « par négligence », « on préfère les idées toutes faites » (I, xx, 2), est de passer au crible les renseignements fournis sans jamais se contenter d’une vérité approximative.