Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

Thomire (Pierre Philippe) (suite)

L’esprit du siècle évoluait vers un dépouillement inspiré de l’archaïsme antique. Les artistes revenus de Rome, architectes comme Jacques Gondoin (1737-1818), peintres comme Joseph Marie Vien (1716-1809) et surtout David*, prétendaient retrouver la grandeur « étrusque ». Thomire subit leur influence. La Révolution passée, pendant laquelle il fabriqua des armes, le Consulat rendit à ses ateliers une vitalité croissante en lui commandant les éléments nécessaires à remeubler les palais nationaux dévastés : lustres, flambeaux, girandoles, surtouts de table, ornements des meubles. L’Empire fomenta cette activité : la manufacture compta jusqu’à huit cents praticiens. On voit donc que Thomire se trouva amené à transformer la profession, jusqu’alors artisanale, en industrie, mutation qu’avait condamnée sous Louis XVI la communauté des fondeurs ciseleurs en la personne de François Thomas Germain*. Sur le plan technique, Thomire, s’il n’est pas l’inventeur du bronze mat, qui s’obtient en plongeant la pièce de bronze doré chaude dans un bain acide, en est du moins le propagateur. Le brunissage (polissage) des reliefs luisants en reçoit un éclat plus vif.

Les musées français, particulièrement Malmaison, Compiègne et Fontainebleau, conservent nombre d’objets de l’ère impériale sortis des ateliers du maître. Les bronzes du bureau de Joséphine, exécuté par les frères Jacob* vers 1800 et conservé à Malmaison, comme les sphinges portant la table, un peu plus tardive, qui voisine avec ce beau meuble, sont l’œuvre de Thomire. Ceux du grand écrin à bijoux que l’empereur commanda en 1810 pour Joséphine et qu’il offrit à Marie-Louise, conservé à Vienne, sont d’une aussi parfaite qualité. Thomire a pris part aux expositions des « Produits de l’industrie » de 1806 et de 1809, emportant dans ces deux compétitions la médaille d’or. Il est remarquable que ce soit à ce ciseleur que le gouvernement impérial ait commandé la fameuse maquette d’une fontaine de l’éléphant dressée en 1811 à l’emplacement de la Bastille. Cette fontaine fut détruite en 1846. Son auteur avait cessé toute activité en 1823, à soixante-douze ans.

G. J.

thomisme

Courant philosophique et théologique s’inspirant de saint Thomas* d’Aquin.


Le thomisme est à l’origine, du xiiie au xxe s., de nombreuses œuvres philosophiques et théologiques. Héritier de la pensée antique et même arabe, d’un millénaire aussi de réflexion chrétienne, il se caractérise par une attitude d’accueil pour toute vérité et de lucidité critique. Mais cette ouverture de Thomas d’Aquin — par exemple à l’endroit de Denys l’Aréopagite et d’Averroès* — disparaît du thomisme académique.


Le thomisme de Thomas d’Aquin


Philosophie

• Une métaphysique de l’être comme acte. Adoptant le réalisme critique d’Aristote*, la métaphysique thomiste culmine dans la doctrine, inconnue du Stagirite, de la composition d’essence et d’être chez tout sujet créé (dite « distinction de l’essence et de l’existence ») : en Dieu, il y a identité de l’être et de l’essence ; chez le sujet créé, l’homme, l’être s’ajoute de façon réelle à l’essence, ou nature. Amorcée par Avicenne*, cette conception trouve une de ses principales clefs dans le ternaire, d’origine dionysienne, essence-puissance-opération. Le principe de l’agir intellectif et volilif (puissance) émane de l’objet d’opération tel un attrait dynamogène et vient actuer l’essence du sujet actif.

• L’homme est essentiellement et corps et esprit. Opposé à la thèse traditionnelle de l’âme et du corps comme deux substances et aussi à la théorie averroïste de l’extranéité de l’intellect (unique pour tous, comme le Geist de Hegel) pour l’âme, réduite au rang infranoétique, Thomas identifie principe animateur et principe d’intellection. Celui-ci contient, en l’actuant, le coprincipe matériel par (moi l’homme communie au cosmos. L’intellect assume en son essence les niveaux végétatif et sensitif. Le statut noétique que ceux-ci obtiennent ainsi explique que, chez l’homme, le principe premier de la pensée intellective et de l’agir volontaire soit le sensible corporel.

L’immortalité de l’âme reçoit une justification nouvelle. La « séparation », ou indépendance, qu’Aristote attribue à l’intellect par rapport au niveau physiologique est expliquée par le privilège de la pensée intellective de se prendre pour objet de connaissance réflexive pour se développer en vertu du nécessaire supra-empirique (en langage kantien, de l’a priori et du noumène). Cette façon de voir résiste à la critique kantienne des « preuves » vulgaires de l’immortalité de l’âme.

• La nature de l’homme est dynamique. Défini comme intellect réceptif (« possible »), le principe animateur est en puissance à l’égard des formes intelligibles qui viennent progressivement l’actuer. Le schéma dionysien émanation-retour fonde la structure de l’homme thomiste : perfection première (possédée par nature) — perfection ultime (acquise par l’agir). Celle-ci, au titre de cause d’épanouissement sous l’attrait de l’objet d’intellection et de volition, est pour la première actuation ontologique. Traduction des apports bibliques relatifs au destin historique de l’homme, l’anthropologie thomiste est dynamique.

• L’existence de Dieu n’est pas évidence immédiate. Écartant l’argument de saint Anselme* (Dieu est évident), Thomas élabore sa fameuse doctrine des « cinq voies », ou démarches, qui conclut, de façon nécessaire, mais sans jouir de la pleine évidence, à l’existence de Dieu : 1o remontée jusqu’au Premier Moteur ; 2o dans l’ordre de l’efficience, accès à la Cause première, dont dépend toute efficace ; 3o renvoi, par-delà tous les êtres contingents, à un Premier nécessaire ; 4o hiérarchie des êtres inégaux que préside un Premier absolument parfait ; 5o dans l’ordre des activités, discernement d’une Intelligence directrice (Providence). La simplicité des énoncés donne le change : il s’agit des plus hauts problèmes philosophiques. La scolastique vulgarisera la « première voie » en « preuve cosmologique ». Or, il s’agit non d’impulsion mécanique, mais de promotion du sujet créé, de l’homme, à l’acte d’être. Le Premier Moteur meut en conduisant à leur pleine actuation la pensée intellective et la volonté libre.