Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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thomisme (suite)

• La nature de Dieu reste inconnue du philosophe. Acquis à l’apophatisme de Denys et à la méthode néo-platonicienne « négation-éminence-causalité », Thomas propose une conception critique du discours sur Dieu. Vu le principe que la cause possède en elle-même, mais sur un mode d’éminence qui nous reste inconnu, l’équivalent de ce qu’elle communique à ses effets, les valeurs d’être, un, vrai, bien, constatables au niveau humain, expriment avec vérité, mais irrémédiable déficience ce qu’est le Créateur. La notion de participation rassemble ce complexe causalité-éminence. La négativité permet au langage de tenter d’exprimer la transcendance divine : c’est l’analogie des notions d’être, un, vrai, bien, qui est essentiellement refus de leur prêter un sens homogène dans le cas humain seul expérimenté et dans le cas divin visé. Seule l’initiative divine de la Révélation lève une part du mystère de Dieu, autrement inaccessible.


Théologie

• La théologie est une science. Expression rationnelle de la foi, qui est adhésion active à l’apport de la Révélation déposé dans l’intelligence, la théologie* est, dans son ordre — celui de la pensée en dialogue —, de structure intelligible. Bien que provisoirement grevée d’inévidence, elle est science, au titre de savoir subalterné (à l’instar de l’optique, qui, pour Aristote, est subalternée à la géométrie seule à justifier droites et angles suivis par la lumière) à la connaissance plénière que Dieu partage avec les élus (le Christ à titre premier) et qui porte sur Dieu en lui-même et sur l’homme objet du dessein divin de salut. Appuyée sur la Parole de Dieu incarnée (d’où discipline du sens littéral de l’Écriture), à qui la foi communie, la théologie, comme par anticipation, accède à un contenu intelligible réel qui fonde affirmation et appréciation relatives à Dieu et à l’homme objet de l’agir divin.

Il y a deux articles (Credo) principaux et corrélatifs : Trinité et Incarnation. Le mystère révélé d’une trinité de personnes en Dieu (Père, Fils, Esprit-Saint) reçoit une explication théologique de grand style. Achevant l’effort d’Augustin*, Thomas propose d’identifier dans la personne du Fils, émanant du Père, le fruit d’une éternelle procession intellective et dans la personne de l’Esprit-Saint, émanant de l’ensemble Père-Fils, le terme d’une éternelle procession d’amour volitif. Fondée sur une noétique rigoureuse axée sur la réflexivité volitive et intellective dont tout esprit est structuré, cette théologie rend compte avec cohérence du mystère de la vitalité divine en la montrant en continuité organique avec les « missions », ou venues, de la Parole et de l’Esprit au cœur de l’homme pour le conduire à l’épanouissement du salut.

En christologie, l’anthropologie dynamique permet de tirer un parti nouveau de la doctrine de Chalcédoine (le Christ, unique personne en deux natures, humaine et divine). Par respect de la pensée humaine chez le Christ, mise au point d’une noétique à trois niveaux subalternés : connaissance directe, en vertu de l’union hypostatique, de Dieu en son essence ; connaissance inspirée du règne de Dieu dans le cœur de l’homme, en quoi se vérifie la « mission » du Verbe dans l’intelligence humaine du Christ ; connaissance acquise par expérience étalée dans le temps. Pour ces trois savoirs distincts exercés par l’homme Jésus, celui de niveau supérieur assure un rôle de confirmation et non pas de suppléance par rapport au niveau subordonné. Un don surnaturel (contact noétique avec l’essence divine ; « mission » du Verbe dans l’âme), loin de l’évincer, exalte le pouvoir intellectif naturel à l’homme. D’où le rôle de cause efficiente du salut attribué au Christ-homme. C’est en tant qu’homme doté de la grâce capitale (de chef) et non pas simplement en tant que Verbe divin, comme se plaisait à le dire la tradition augustinienne, au titre de Tête de la Cité nouvelle (la Jérusalem d’en haut), qui s’inaugure avec l’Église bâtie par la foi et les sacrements du Christ immolé et ressuscité, que l’homme Jésus est source du salut.


Le thomisme traditionnel


Du xiiie siècle à la Réforme

Par sa nouveauté, le thomisme, déjà du vivant de Thomas, soulève l’opposition des augustiniens. En 1277, il est impliqué dans la mesure qui bannit de multiples thèses de l’université de Paris. Des polémiques s’ensuivent, dommageables pour l’étude d’œuvres difficiles. On néglige la pièce centrale de la philosophie thomiste : l’être comme acte de l’essence. À côté du scotisme et du nomalisme, le thomisme (Bernard de La Treille, Jean Quidort, Richard de Knapwell, Jean de Naples, Jean Capreolus) reste courant minoritaire.


De la Réforme au xixe siècle

Le concile de Trente (1545-1563) se réclame du thomisme. Contribuent à l’apogée du thomisme : en Italie le Commentaire de la Somme de théologie par le cardinal Cajetan (Thomas de Vio [1469-1534]), la Summa... contra Gentiles par Sylvestre de Ferrare (1474-1528) ; en Espagne, François de Vitoria (1486-1546 : problème moral de la colonisation), D. de Soto (1494-1570), M. Cano (1509-1560), D. Bañez (1528-1604), Jean de Saint-Thomas (1589-1644) ; en France, Antoine Goudin (1639-1695), et Charles René Billuart (1685-1757).


Du xixe au xxe siècle

Réorganisant les études dans l’Église, Léon XIII relance (1879) l’intérêt pour le thomisme. Un néo-thomisme apparaît, souvent syncrétiste par son recours facilitant à la scolastique décadente. Mais à Louvain, en Allemagne et en France, on commence d’appliquer les méthodes historiques en vue d’une lecture neuve des textes de Thomas. Le travail n’est guère achevé. L’édition critique des textes est en cours. Parmi les nombreux auteurs contemporains se réclamant du thomisme citons P. Mandonnet, M. de Wulf, C. Baeumker, M. Grabmann, J. Maréchal, J. Maritain, Y. Simon, É. Gilson, A. Forest, L. B. Geiger, C. Fabro, M. D. Chenu, J. de Finance, F. Van Steenberghen, Y. Congar.

E. H. W.

➙ Moyen Âge (philosophie du) / Théologie catholique.