Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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théologie catholique (suite)

Au nom d’une telle unanimité de principe, ratifiée au iie et au iiie s. par des échanges de lettres et des rencontres locales, au ive s. et jusqu’à nos jours par des « conciles » universels ou régionaux, les évêques et les théologiens « catholiques » ne cessèrent de dénoncer les « innovateurs » et les « déviationnistes » qui se séparaient de leurs institutions ou de leurs doctrines les plus communément reçues. Il serait trop long de rappeler ici l’histoire de ces crises fréquentes qui ébranlèrent la cohésion doctrinale des Églises chrétiennes jusqu’à l’époque de la Réforme, où se fixa le sens proprement confessionnel de « catholique », assimilé à « romain » et opposé à « protestant », dans l’usage courant de cette notion parmi les chrétiens contemporains.

Beaucoup plus intéressante serait une vue d’ensemble sur la tradition vivante de la théologie « catholique » à travers les siècles. On ne saurait isoler celle-ci des formes de théologie chrétienne dont elle se démarqua. Du moins, certaines constantes se laissent-elles repérer à chaque étape de cette histoire deux fois millénaire, des constantes qui illustrent la « catholicité » du moment.


Dans l’Église ancienne

Dans le cadre de l’Empire romain et jusqu’à l’avènement des chrétientés franques ou orientales, le christianisme « catholique » s’édifia surtout grâce au dynamisme doctrinal des évêques et des penseurs dévoués à l’institution épiscopale. Ce n’est pas en vain que cette époque est appelée celle des « Pères » (v. patrologie). Une extraordinaire puissance d’invention y caractérise souvent la recherche d’un langage apte à exprimer les vérités de la foi chrétienne au plan de la catéchèse populaire ou pour le compte des milieux cultivés. S’il y eut à cette époque une théologie que l’on peut à juste titre qualifier de catholique, deux raisons majeures semblent y inviter, l’une tirée de la crise gnostique, l’autre appuyée sur l’institution épiscopale des Églises.


La crise gnostique

La crise gnostique (v. gnostiques), dont les antécédents et les répercussions lointaines débordent de toutes parts le christianisme des trois premiers siècles, eut pour effet de précipiter la mise en place, au sein des Églises, des institutions caractéristiques de leur plus ancien « catholicisme ». Ainsi elle aboutit, en réaction contre Marcion, à la formation accélérée d’un recueil d’Écritures « apostoliques », bientôt reçues par les Églises comme le « Nouveau Testament », elle poussa ces Églises à défendre la révélation de Dieu contenue dans la Bible juive et à interpréter cette dernière de façon à souligner l’unité de l’« Ancien » Testament avec le « Nouveau », l’identité de Yahvé et du Père de Jésus-Christ, la continuité entre les actions salutaires de Yahvé et le mystère pascal lié à la personne même de Jésus.

Sous la pression de l’illuminisme* pessimiste contenu dans les doctrines plus ou moins mythiques et dans les prescriptions pratiques des grands théoriciens du gnosticisme, les docteurs chrétiens réagirent un peu partout en célébrant la bonté du monde matériel et celle de la condition charnelle, ou en exaltant la liberté humaine. Le réalisme doctrinal, opposé aux allégories et aux principes dualistes de l’ascèse en vogue chez les chefs des sectes gnostiques, conduisit les théologiens chrétiens à mieux élaborer leur conception du Dieu incarné en Jésus-Christ, à refuser tout usage fantaisiste des récits évangéliques sur Jésus, à objectiver davantage le sens des rites et des sacrements qui leur permettaient d’actualiser leur appartenance mystique à Jésus.

Était donc « catholique », en ce contexte, la communauté croyante qui persistait à méditer les écrits sacrés de l’un et l’autre Testament, à refuser tout dualisme métaphysique ou antijudaïque, à respecter le principe d’une créature humaine capable de faire librement son salut en ce monde. Ce « catholicisme », opposé aux différents gnosticismes du iie et du iiie siècle, fut illustré par Méliton de Sardes, Justin* de Rome, Irénée de Lyon, Tertullien de Carthage, Clément* et Origène* d’Alexandrie, pour ne citer que les plus célèbres parmi les « Pères » fondateurs des doctrines « catholiques » de cette époque. On le retrouvera aussi bien, au ive ou au ve s., chez des évêques théologiens comme Sérapion de Thmouis en Égypte ou Augustin* d’Hippone en Afrique du Nord. La particularité profonde de la réaction antignostique restera gravée jusqu’à notre époque dans la doctrine « catholique » sur le Christ, sur les sacrements ou le sens de la liberté humaine. Elle reste empreinte d’un réalisme un peu naïf et d’un optimisme radical au sujet du sort ultime de l’homme en ce cosmos visible, riche aussi d’une conception harmonieuse et globale du salut historique de l’humanité compris dans les termes de la Bible.


L’institution épiscopale

L’institution épiscopale au sein des Églises chrétiennes de l’Antiquité fournit la seconde raison décisive du « catholicisme » de ces Églises. Cette institution est affermie et idéologisée à travers la crise ouverte dans les grandes communautés chrétiennes sous le déferlement des doctrines gnostiques. De type autoritaire et monarchique, elle fut représentée par Ignace d’Antioche en avant-coureur dès le premier tiers du iie siècle, avant de s’imposer dans toutes les Églises d’Orient et d’Occident lorsque se constitua en leur sein une hiérarchie cléricale, telle qu’on la connaît encore dans le catholicisme contemporain. Si le gnosticisme dota, par contrecoup, la théologie « catholique » d’un certain nombre de normes et de convictions fondatrices, l’existence de cet épiscopat, dont les représentants monopolisaient souvent l’essentiel du pouvoir et de la culture dans les communautés chrétiennes dignes de ce nom à l’échelle de l’Empire, n’alla pas sans marquer pour plus d’un millénaire le « catholicisme » des origines. L’institution épiscopale fournit à celui-ci sa plate-forme culturelle, tout en exploitant son opportunité politique.