Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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théologie catholique (suite)

En effet, il suffit de lire quelques écrits épars composés par des évêques de l’Église ancienne pour s’apercevoir que ceux-ci relèvent unanimement d’une même culture, dispensée selon une même pédagogie, partout où la pax romana éliminait les ennemis de l’extérieur et favorisait l’accession d’ethnies diverses à une même forme de civilisation. La grande majorité des évêques connus par leurs écrits durant les cinq premiers siècles avaient suivi le cycle complet des mêmes études universitaires, avant de s’inscrire parmi les catéchumènes chrétiens ou du moins d’accéder à des charges ecclésiastiques. Aussi n’est-il pas étonnant de les voir recourir aux mêmes genres d’arguments ou aux mêmes règles interprétatives dans leurs polémiques et leurs commentaires bibliques. La « catholicité » de la théologie chrétienne conçue par ces évêques lettrés de l’Antiquité gréco-romaine était donc d’abord un effet de la rhétorique des écoles non chrétiennes, avant de se réfléchir chez eux à l’aide de concepts, eux-mêmes hérités des traditions classiques vulgarisées par l’hellénisme impérial. On ne soulignera jamais assez l’impact sur la théologie chrétienne de cette univocité de fond du langage culturel introduit dans les Églises par l’épiscopat des premiers siècles. Les plus graves dissensions doctrinales parmi les évêques de cette époque reposeront souvent sur des malentendus trop vite créés par les mots qu’ils employaient de conserve, s’il ne s’agissait pas de simples rivalités politiques.

Car ce corps social, apparenté aux élites cultivées et parfois aux-couches les plus aisées de la population, ne devait pas tarder à se politiser. Dès que le christianisme sortit des catacombes et s’acquit un certain droit de cité dans l’Empire, les évêques chrétiens apparurent aux yeux des autorités comme des interlocuteurs dignes de respect. Le père du futur empereur Constantin* semble avoir spécialement appuyé sur leur collaboration sa politique de tolérance à l’égard des chrétiens, alors qu’il était césar des Gaules. Son fils et successeur fut mêlé de plus près aux difficultés internes de l’épiscopat, bien avant qu’il n’accédât au rang suprême d’Auguste unique pour toutes les parties de l’Empire (sept. 324). Dès l’aube de l’ère constantinienne et par un effet inéluctable des changements historiques de ce temps, les évêques chrétiens furent appelés à s’organiser de plus en plus selon des procédures et d’après des modèles fournis par l’administration impériale. À l’univocité culturelle allait se joindre l’unicité de cette structure hiérarchique, mise en place et approuvée par des empereurs d’obédience chrétienne, pour qu’une théologie, dite « catholique » en vertu de l’« orthodoxie » régnante, devînt aussi un critère de civisme et une règle imposée par la raison d’État.


L’orthodoxie politique

Comprise comme une réalité politique de la plus haute importance dans le cadre d’un Empire désormais « chrétien », la théologie fut donc aussi l’affaire des empereurs, de leurs chancelleries et de leurs « ministres du culte ». Elle fut, du coup, déclarée « catholique » dans la mesure où elle servait et favorisait les intérêts généraux de l’Empire en sacralisant l’unité spirituelle et institutionnelle de tous les citoyens entre eux et avec l’empereur. À ce niveau de « catholicité », tous les conciles* « œcuméniques » (une notion qui équivaut à celle de « catholique ») furent convoqués dans l’Église ancienne par les empereurs. De même, à ce niveau de la réalité politique d’une religion d’État, s’explique le recours au bras séculier par lequel certains évêques — et non des moindres — réussirent pour un temps à imposer leurs conceptions théologiques.

Appuyée sur une plate-forme culturelle préparée longtemps par avance au sein des traditions de l’hellénisme, forte d’un pouvoir politique qui s’identifiait avec celui du gouvernement central de l’Empire, la théologie de l’Église ancienne définit au mieux sa « catholicité » de principe par les dogmes promulgués lors des conciles de Nicée (325), de Constantinople (381), d’Éphèse (431) et de Chalcédoine (451). On se déclarait « catholique » contre les doctrines d’Arius* si l’on était pronicéen, ou contre Eunomius si l’on militait parmi les néo-nicéens en 381, ou contre Nestorius si l’on se rangeait du côté de Cyrille d’Alexandrie et du pouvoir impérial à Éphèse, ou enfin si l’on condamnait Eutychès à Chalcédoine en acceptant les thèses de l’épître à Flavien (dite aussi Tome à Flavien) de l’évêque Léon Ier* de Rome. La « juste croyance », ou « orthodoxie » d’État, prit force de loi au niveau le plus élevé dès avant la fin du ive s., sous le règne de Théodose Ier* (379-395). Les intérêts de la théologie « catholique » resteraient liés jusqu’à l’âge moderne aux hiérarchies de droit divin mises en place dans l’ordre socio-politique, et cela en Orient comme en Occident malgré les ruptures survenues vers la fin du premier millénaire entre les patriarcats de Rome et de Constantinople. Même l’éclatement de la chrétienté occidentale lors de la Réforme n’empêchera pas cette « catholicité » formelle soumise au placet du prince de reparaître parmi les Églises séparées de Rome.

Bref, une double raison, celle qui fut à la fois mystique et métaphysique dans l’affrontement avec les gnoses orientales et celle qui demeure foncièrement politique selon les idées les plus anciennes des hommes civilisés sur la valeur religieuse des institutions de l’État, semble avoir œuvré dans l’Église des Pères pour donner à la théologie chrétienne son caractère « catholique ».


Durant le Moyen Âge latin

C’est précisément au plan des ruptures culturelles et des rivalités politiques que la séparation fut consommée, en 1054, entre Rome et Constantinople. L’héritage dogmatique, spirituel, culturel légué par l’Église indivise des grandes métropoles chrétiennes de l’Antiquité allait fructifier pour plus de mille ans sur les troncs séparés des diverses Églises d’Orient et de l’unique Église romaine d’Occident : un héritage fabuleux, fait de dogmes discutés pendant des siècles, de doctrines mystiques où les plus beaux trésors spirituels de l’hellénisme classique rayonnaient d’un éclat renouvelé au contact de l’évangile, avec des prescriptions canoniques, des liturgies, des codes de moralité pour toutes les situations humaines, l’ensemble de ces enseignements restant toujours appuyé sur la méditation des litres sacrés de l’Ancien et du Nouveau Testament.