Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

stratification sociale

Ensemble des divisions établissant une ou plusieurs hiérarchies entre les individus d’une société.


En dépit d’une profession officielle d’égalitarisme, les sociétés industrielles se caractérisent aux yeux de tous par une inégale répartition des richesses et des statuts de prestige. Certains attribuent les injustices sociales à des forces institutionnelles inhérentes au fonctionnement du système ; d’autres imputent aux individus la responsabilité d’un échec ou d’une réussite. Certains aspirent à une société sans classes ; d’autres jugent que la hiérarchisation nécessaire des fonctions sociales entraîne inévitablement des gratifications différentielles qui servent de motivations à l’action. Chacun de ces points de vue renvoie le sociologue à l’analyse objective des systèmes de stratification.


Repères généraux de l’analyse

Tandis que le mot hiérarchie désigne l’ordre de superposition ou le rapport de domination dans lequel se trouvent différentes entités qui occupent des positions et des rangs inégaux, de telle sorte que l’on parle de hiérarchie militaire, religieuse, politique, le terme de stratification, en rapport d’inclusion avec celui de hiérarchie, ne s’applique qu’aux relations de subordination des différentes couches et classes sociales résultant de la distribution inégale des droits, des obligations et des privilèges dans une société.

Pour être un phénomène naturel et un trait inévitable de toute vie sociale, un système de stratification ne suit pas nécessairement les clivages résultant d’inégalités biologiques. Son élaboration dépend en effet de critères et de prescriptions socialement définis ainsi que de significations conventionnellement attribuées.

De ce fait, la stratification se manifeste sous des formes multiples : système de rangs, de lignages, d’ordres (ou d’états), de castes, de classes, et chaque système revêt une forme particulière selon la société et la période considérée. En intensité même, la stratification varie depuis la société idéale de type égalitaire jusqu’à la société hyperstratifiée, comme celle de l’Inde. En fonction de toutes ces spécificités, chaque forme de stratification doit donner lieu à une élaboration particulière et à des analyses comparatives.


Aspects structuraux, dynamiques et comparatifs

Pour la compréhension des systèmes sociaux, l’analyse de leur stratification est d’une importance majeure, car elle permet de saisir les lignes de force essentielles, issues du processus de différenciation sociale, qui expliquent, par référence causale, la stabilité, les tensions et les transformations des sociétés. Même dans les sociétés apparemment stagnantes, une tension permanente existe entre les forces de cohésion et les forces de rupture, décelable dans les contestations exprimées, refoulées ou sublimées dans un rituel. Aussi convient-il d’appréhender toute stratification sociale sous l’angle structural et de compléter l’étude empirique par une comparaison avec d’autres formes de stratification.

Les premiers aspects suscitent les questions suivantes : quelles sont les structures propres à telle stratification ? Quelles fonctions s’associent à ces structures ? Par quel langage les structures et les fonctions s’expriment-elles ? La réponse à ces questions permet d’identifier des groupes réels tout en dégageant la nature et l’agencement des rapports entre ces groupes.

Considérée dans ses aspects dynamiques, l’étude des stratifications porte sur l’engendrement causal des insatisfactions et des antagonismes, sur la dynamique propre à chaque strate et sur la dynamique générale du système, notamment dans les conjonctures les plus révélatrices de ces dynamiques : crises, changements d’institutions, affrontements politiques, coups d’État. Afin d’éviter l’extrapolation à partir d’un cas restreint, l’approche comparative aide à la théorisation en permettant à la vigilance critique du sociologue de s’exercer par une distanciation à l’égard de son objet. La comparaison et la critique empêcheront le sociologue d’être victime des idéologies liées au système.


Processus de différenciation, de classification et d’évaluation

Communs à tous les systèmes de stratification, trois processus sociaux entrent en composition dans leur élaboration : la différenciation, la classification hiérarchisée et l’évaluation.

• La différenciation sociale est le mouvement par lequel se créent des distinctions et des spécialisations de rôles individuels ou collectifs à l’intérieur d’une société. La recherche de ses origines se situe donc au niveau de l’analyse du sujet historique. Ses manifestations débordent de beaucoup le cadre des stratifications sociales, en ce que celles-ci ne constituent que l’un des aspects du phénomène plus général de hiérarchisation et que la hiérarchisation elle-même résulte d’un seul type de différenciation : la différenciation verticale, distincte mais complémentaire d’une différenciation des tâches et des fonctions. Cette précision énoncée, on peut admettre que tout système de stratification ne s’engendre que sur la base d’un processus initial de différenciation.

• La classification hiérarchisée apparaît donc comme le complément de la différenciation des rôles et des statuts. Dans une perspective quelque peu psychologique, Melvin Marvin Tumin (Social Stratification, 1966) retient trois critères pour servir à cette classification : a) les caractéristiques personnelles telles que l’intelligence, la force ou la beauté, considérées comme nécessaires à la bonne exécution d’un rôle ; b) les aptitudes et les qualifications acquises, jugées indispensables pour s’acquitter efficacement d’un rôle (ainsi l’habileté manuelle, la capacité de scier du bois ou de clouer des clous, ou bien la connaissance du droit ou de la littérature savante) ; c) les conséquences et les effets du rôle sur les membres individuels et sur l’ensemble de la société (par exemple, les acteurs offrent un divertissement, les juges assurent la justice, les policiers maintiennent l’ordre ; on appelle parfois ces conséquences les fonctions sociales du rôle).