Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

stratégie (suite)

L’énoncé de toutes les composantes stratégiques apparues dans ce conflit ne saurait faire oublier l’aspect proprement militaire de l’affrontement entre les forces arabes et israéliennes. C’est le résultat des opérations conduites sur les fronts du Golan et de Suez qui créa un événement lui aussi déterminant sur le plan de la stratégie mondiale (v. Israël).


Où en est la stratégie ?

Après trente ans de cheminement tortueux dans l’ère nucléaire, où en est la stratégie ? Reste-t-il quelque chose de ses principes traditionnels ? Se réduit-elle au seul jeu subtil d’une dissuasion formulée en un vocabulaire de plus en plus hermétique réservé aux seuls initiés ?

Il semble qu’une telle affirmation serait très excessive, car, tant qu’existeront des groupes humains animés par une volonté de vie commune, il restera pour eux un problème de défense dont la solution s’exprimera toujours en une stratégie. Et c’est précisément dans cette volonté d’obtenir un résultat par sa force (ou par sa menace), malgré tout ce qui s’y oppose, ou, plus exactement, comme l’écrit le général André Beaufre (1902-1975), dans la « dialectique des volontés employant la force pour résoudre leur conflit » que demeure aujourd’hui comme hier l’essence de la stratégie. Mais le « vouloir » est étroitement subordonné au « pouvoir » : qui dit stratégie requiert liberté d’action et marge d’initiative, conditions qui apparaissent aujourd’hui singulièrement limitées par un certain nombre de données inhérentes à l’évolution du monde au seuil du dernier quart du xxe s.

On peut, pour simplifier, regrouper ces facteurs externes autour des quelques points suivants. Sans oublier l’importance de la géographie, l’imbrication de plus en plus grande des affrontements et des conflits locaux dans la situation mondiale accentue l’interdépendance de tous les problèmes stratégiques, si bien qu’en tout « point chaud » (Viêt-Nam, Proche-Orient) c’est l’ensemble de l’équilibre mondial qui se trouve engagé. Si le fait de l’armement nucléaire semble, par sa surpuissance, avoir fait reculer le danger d’un conflit généralisé, il n’en reste pas moins qu’aucun problème stratégique, même mineur, ne peut être désormais traité sans mesurer sa relation avec les intérêts politiques, économiques et idéologiques des super-puissances à dimension mondiale que sont les États-Unis et l’U. R. S. S., auxquels s’adjoindra un jour la Chine, ne serait-ce qu’en raison de sa démographie. Mais, en matière stratégique, le pouvoir s’exprime par la possibilité d’une pression en force sur un partenaire ou sur un adversaire. Dans le monde d’aujourd’hui, comme l’a montré de façon spectaculaire la guerre du Kippour en 1973, c’est dans le domaine économique qu’à côté ou en complément de l’action militaire cette pression s’exerce avec le maximum d’efficacité. Et c’est encore un facteur économique qui conditionne la puissance des armées. Quelle que soit leur nature, les armements ont atteint désormais une complexité et un coût tels que leur production est devenue tributaire d’un haut potentiel industriel et technologique réservé à un petit nombre de nations, dont les autres pays ne peuvent être que les clients.

À ces données externes, de plus en plus complexes, à l’intérieur desquelles se meut la stratégie, s’ajoutent et pèsent d’un poids de plus en plus lourd des facteurs d’ordre subjectif dont aucun stratège ne peut se désintéresser. Sans oublier l’importance accrue donnée par le fait nucléaire aux composantes psychologiques de la dissuasion, il importe de souligner aussi celle des opinions publiques nationale et internationale, rendues particulièrement sensibles et fragiles par le développement prodigieux des moyens d’information. Par eux, la propagande, l’action psychologique, le bluff, le chantage et le terrorisme sont devenus des instruments souvent déterminants de la stratégie, qui viennent encore limiter la liberté d’action des gouvernements et celle des chefs d’État responsables.

En fin de compte, si, dans sa préparation et dans sa mise en œuvre, la stratégie tend à se rapprocher de plus en plus de la politique de défense, elle demeure, au moment des déterminations fondamentales, le fait de l’instance la plus haute du pouvoir politique, souvent un homme seul, qui, après avoir pesé et jugé en conscience, décide et engage un peuple. Faisant appel à l’intuition autant qu’à la raison, cette décision stratégique demeure marquée aujourd’hui comme hier par la personnalité de son auteur et ressortit à sa philosophie politique et à sa conception du monde autant qu’à son savoir et à sa compétence.

B. de B. et P. D.

➙ Armement / Aviation / Blocus naval / Défense / Désarmement / Logistique / Marine / Missile / Nucléaire (arme).
Pour la stratégie des principaux pays se reporter à l’ordre alphabétique de chacun de ceux-ci ; pour la France, voir République (Ve).

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