Sjöström (Victor) (suite)
Après Maître Samuel (1920), l’Épreuve du feu (1921), la Maison cernée (1922) et le Vaisseau tragique (1922), Sjöström reçut des propositions alléchantes envoyées par les magnats d’Hollywood, qui rêvaient de s’attacher les services des gloires cinématographiques de la vieille Europe. La situation du cinéma suédois ayant contraint Charles Magnusson à refréner ses ambitions et la crise menaçant, il accepta un contrat que parapha Samuel Goldwyn. Hélas ! comme tant d’autres, il perdit sa liberté et dut lutter contre le mercantilisme et l’étroitesse d’esprit de ses producteurs américains. À la voracité et à l’incompréhension, il opposa un entêtement robuste et une rudesse toute paysanne, qui lui permirent de mieux résister moralement à la « machine hollywoodienne » que son homologue Mauritz Stiller. Si le Glaive et la loi (1924) et Larmes de clown (1924) n’ajoutèrent rien à sa gloire, il n’en sera pas de même de la Lettre écarlate (1926) [d’après Nathaniel Hawthorne] et surtout du Vent, une manière de chef-d’œuvre qui fut une catastrophe commerciale. L’Amérique ne comprenant visiblement pas le talent de Sjöström, celui-ci rentra en Suède tourner les Markurells de Wadköping (1931), puis signa en 1937 son dernier film, Sous la robe rouge (tourné en Grande-Bretagne). En 1957, quand Ingmar Bergman* écrivit le scénario des Fraises sauvages, il pensa tout naturellement à Sjöström pour interpréter le rôle du vieil Isaak Borg. Le rôle était beaucoup plus qu’un hommage, beaucoup plus que la transmission d’un relais d’une génération à l’autre, c’était un geste de ferveur, un suprême défi à la vieillesse et à la mort, et en même temps l’ultime prolongement d’un acte de foi. Car le plus beau mérite de Sjöström, c’est d’avoir cru au cinéma avec la foi naïve du pèlerin qui part pour la Terre promise. Mieux que tout autre, Sjöström a permis au septième art de respirer l’air du large. Le lyrisme aidant, son œuvre apparaît de nos jours comme extraordinairement homogène. Nul autre que lui n’a su décrire à l’aide d’images mouvantes ces forces profondes de la nature qui servent d’intermédiaire entre Dieu et l’homme.
J.-L. P.
R. Jeanne et C. Ford, Victor Sjöström (Éd. universitaires, 1964). / B. Idelstam-Almquist, « Victor Sjöström », dans Anthologie du cinéma, t. I (C. I. B., 1966).