Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Sicile (suite)

Si le territoire syracusain — comme celui des villes qui ont le plus longtemps résisté à Rome (Éryx, Lilybée, Sélinonte) — est incorporé à l’ager publicus, les Romains tolèrent par contre l’existence de quelques cités libres (Ségeste, Panorme) ou alliées (Messine, Tauromenion, Neetum [Noto]) ; mais ils imposent à la plupart des autres le tribut annuel d’une dîme en nature qui fait de la Sicile l’un des greniers à blé de la République, puis de l’Empire. La Sicile est administrée à partir de 227 av. J.-C. par un préteur, puis à partir de 122 av. J.-C. par un propréteur siégeant à Syracuse et assisté de deux questeurs en résidence à Syracuse et à Lilybée ; elle est exploitée économiquement par les publicains, qui pressurent les paysans libres, et par les chevaliers, qui afferment l’ager publicus, dont les terres à blé sont cultivées par des troupes d’esclaves achetés à Délos et trop souvent maltraités.

Deux guerres serviles (135 et 104 av. J.-C.), les exactions du plus célèbre de ses gouverneurs, Verrès (73-71 av. J.-C.), vigoureusement accusé par Cicéron en 70 av. J.-C., les incursions des pirates, auxquelles Pompée met fin en 67 av. J.-C., ruinent l’île, qui devient le repaire de son fils Sextus Pompée en lutte contre les triumvirs, auxquels il impose en 39 av. J.-C. le traité de Misène.

La Sicile, pacifiée par Auguste, qui supprime la ferme des impôts et remplace la dîme du blé par une taxe, est progressivement romanisée. Mais ses privilèges n’empêchent pas l’appauvrissement économique de l’île, d’où les convois annuels de blé assurent le ravitaillement de Rome. Ravageant Syracuse en 276-278, les Barbares aggravent la situation. Après un premier débarquement en 440, les Vandales de Geiséric conquièrent l’île en 468, puis, contre le versement d’un tribut annuel, la cèdent en 476 à Odoacre, désireux de rétablir le trafic frumentaire assurant la survie des Romains. La Sicile, contrôlée théoriquement et pour les mêmes raisons par les Ostrogoths de Théodoric Ier l’Amale dès 491, occupée par Bélisaire en juin 535, reste incorporée jusqu’au ixe s. à l’Empire byzantin malgré le retour en force des Ostrogoths de Totila en 549 et surtout les raids multiples des Arabes, qui débutent en 652.

Détachée de l’Italie péninsulaire par la pragmatique du 13 août 554, placée sous l’autorité militaire d’un duc et sous l’autorité civile d’un préteur ayant le titre de patrice et relevant également de Constantinople, résidence de 663 à 668 de l’empereur Constant II, base d’une flotte régionale après 717, mais victime incessante des Arabes, dont les raids (666, 669, 705) aboutissent à imposer à Syracuse le versement d’un tribut en 740, la Sicile est unie au viiie s. au duché de Naples et à la Calabre byzantine pour former, sous l’autorité d’un stratège, un thème englobant la Calabre et rattaché religieusement depuis 732 au patriarcat de Constantinople. Mais, bien qu’il ait mis la Sicile en état de défense et conclu une trêve de dix ans avec l’émir de Kairouan en 813, le patrice byzantin ne peut empêcher celui-ci de conquérir progressivement l’île, où il débarque en 827 et où il occupe Palerme en 831 (constitution de l’émirat de Palerme), Messine en 843, Castrogiovanni (Enna) en 859, Syracuse en 878, Taormina en 902. La Sicile byzantine a vécu.


La domination arabe

Objet d’une colonisation musulmane plus dense dans l’ouest de l’île (val di Mazara) que dans le sud-est (val di Noto) et surtout dans le nord-est (val Demone), où subsiste une population chrétienne très misérable, base des raids organisés par les Sarrasins en Italie, la Sicile est érigée par les Arhlabides en un émirat qui englobe au xe s. certaines villes d’Italie du Sud (Tarente en 926). En 947, le calife fāṭimide Ismā‘īl al-Manṣūr en confie le gouvernement à l’énergique Ḥasan al-Kalbī, dont les descendants règnent jusqu’en 1040 sur l’île, où ils introduisent les cultures du mûrier, de la canne à sucre, de l’oranger, du palmier dattier, du coton ainsi que l’élevage des chevaux, l’industrie des étoffes et celle des objets précieux. Parée de mosquées, Palerme devient une grande ville musulmane où se rencontrent les plus célèbres poètes, linguistes, peintres et théologiens de l’islām au ixe et au xe s.

Mais, affaiblie par des querelles intestines aggravées par les rivalités opposant les musulmans de Sicile à ceux d’Afrique du Nord, la domination musulmane s’effondre au xie s., d’abord sous les coups du Byzantin Georges Maniakês, qui s’empare de Messine en 1040, puis sous ceux du Normand Roger de Hauteville, imprudemment appelé au secours en 1059 par ibn al-Thumna de Syracuse, vaincu par son rival ibn al-Ḥawwās de Castrogiovanni,


Le royaume normand

L’un des fils de Tancrède de Hauteville, Robert Guiscard, établi en Italie du Sud, ayant été reconnu par le pape Nicolas II en 1059 « duc futur de Sicile », son frère Roger de Hauteville s’empare en son nom de Messine en 1061, de Catane en 1071 et de Palerme en 1072 ; il reconnaît alors la suzeraineté de Robert sur l’île entière, lui cède Palerme et la moitié de Messine, mais se réserve le reste du territoire, dont la dernière place, Noto, est enlevée en 1091. Émancipé progressivement de la tutelle de Robert, contraignant son neveu Roger Borsa à renoncer à l’essentiel de ses droits et le pape à lui reconnaître le titre de légat apostolique dans l’île, le « grand-comte de Sicile » Roger lègue sa principauté à ses deux fils, Simon (1101-1105), puis Roger II (1105-1154). Roger II est investi par le pape Honorius II des fiefs normands d’Italie du Sud en 1128 ; il est reconnu roi de Sicile d’abord par l’antipape Anaclet en septembre 1130, puis par le pape Innocent II en 1139 ; maître enfin de Djerba en 1135, puis entre 1146 et 1149 des villes côtières de Tripoli à Tunis, il fonde autour de la Méditerranée un puissant empire exportateur de blé. Grâce à sa flotte, celui-ci contrôle les liaisons maritimes entre ses bassins et facilite l’épanouissement d’une remarquable civilisation composite dont témoignent la tolérance religieuse du souverain envers les orthodoxes byzantins et les musulmans ainsi que, sur le plan artistique, la chapelle palatine, remarquable monument d’art arabo-normand, construite entre 1132 et 1140 dans le palais des Normands de Palerme. L’édification du palais de la Cuba à Palerme, celle de l’église de Monreale entre 1172 et 1185 et celle de la cathédrale de Palerme, consacrée en 1185, manifestent l’orientalisation croissante du royaume sous le règne du fils et du petit-fils de Roger II : Guillaume Ier (1154-1166) et Guillaume II (1166-1189). Amputé de ses provinces africaines entre 1156 et 1160, le royaume de Sicile consolide par contre son implantation en Italie méridionale après la défaite infligée en 1156 à l’empereur byzantin Manuel Comnène*, défaite qui scelle le rapprochement de la dynastie normande avec le Saint-Siège, et notamment avec Alexandre III, qui rentre à Rome avec son appui en 1165.