Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Shlonsky (Abraham) (suite)

Ses premiers poèmes sont publiés dans des périodiques palestiniens en 1922. Son premier livre, Dvaï (Douleur), paraît en 1924. La même année, il se rend en France et s’inscrit à la Sorbonne. À son retour, en 1925, il commence à rédiger la page littéraire du Davar (Parole), journal du mouvement ouvrier juif en Palestine. Il fonde et dirige plusieurs revues littéraires d’avant-garde, notamment Ktouvim (Écrits, 1927-1932), Tourim (Colonnes, 1933-1938), Itim (Temps, 1946-1948). Parallèlement, il rédige les suppléments littéraires des journaux Haaretz (le Pays, 1928-1943) et Mishmar (la Garde, 1943-1950).

Depuis la fondation de la maison d’édition Sifriat Poalim (Éditions ouvrières), Shlonsky en assure la direction littéraire. Entre 1950 et 1957, il est également le rédacteur en chef de Orlogin (l’Horloge), importante revue trimestrielle, qui est l’organe central de la nouvelle littérature hébraïque.

L’activité intellectuelle et publique de Shlonsky, qui fait de lui l’une des personnalités de la vie culturelle israélienne, s’épanouit encore dans le cadre du « Mouvement de culture progressiste », dont il est l’un des fondateurs (1946), et de ses centres culturels, ainsi qu’à l’Académie de la langue hébraïque, dont il est élu membre.

Son œuvre poétique comprend une dizaine de recueils : Dvaï (Douleur, 1924), Leaba-Imma (À papa et maman, 1926), Bagalgal (Dans le tourbillon, 1927), Beele hayamim (Ces jours-là, 1929), Avnei Bohou (les Pierres du néant, 1934), Shirei Hamapoleth Vehapious (Poèmes de la chute et de l’apaisement, 1938), Al Mileth (Plénitude, 1947), Avnei Gvil (Gemmes, 1960), Mishirei Haprozdor Haaroh (Poèmes du long corridor, 1968). Il est également l’auteur de quelques œuvres pour enfants, comme Ani Ve Tali O Sefer Beeretz Halama (Moi et Tali ou le Livre du pays des pourquoi) ou Outz Li Goutz Li, pièce en vers présentée par le théâtre Kameri.

Shlonsky, qui fut aussi un traducteur prodigue, a donné une version hébraïque de plusieurs œuvres classiques de la littérature universelle, notamment : Hamlet et le Roi Lear, de Shakespeare, Eugène Onéguine, de Pouchkine, Till Ulenspiegel, de Charles De Coster, Colas Breugnon, de Romain Rolland, le Tartuffe, de Molière, le Revizor, de Gogol, toute l’œuvre dramatique de Tchekhov et des dizaines de pièces modernes qui constituent la base du répertoire du théâtre israélien.

Il faut mentionner également son anthologie de la poésie russe depuis l’époque symboliste, et de nombreux essais rassemblés en un volume en 1960. Considéré comme le chef spirituel de la poésie israélienne contemporaine, il a reçu le prix Bialik pour son œuvre poétique et trois fois le prix Tchernikhovsky pour ses traductions.

N. G.

 Y. Zmora, Avraham Shlonski (en hébreu, Tel-Aviv, 1937). / A. B. Yoffe, A. Shlonski, le poète et son temps (en hébreu, Merhavyah, 1966).

Sibelius (Jean)

Compositeur finlandais (Hämeenlinna 1865 - Järvenpää, près d’Helsinki, 1957).


« Le plus grand symphoniste depuis Beethoven » (Cecil Gray, 1931), « l’éternel vieillard, le plus mauvais compositeur du monde » (René Leibowitz, 1955), « le principal représentant, avec Schönberg, de la musique européenne depuis la mort de Debussy » (Constant Lambert, 1934) : les jugements portés sur Sibelius, de son vivant, mais à une époque où il ne composait plus, ont été contradictoires. Le recul du temps et l’évolution de la musique actuelle permettent de ne plus choisir à tout prix entre lui et l’école de Vienne, et de le considérer, avec un Bartók et bien qu’il n’ait jamais utilisé de matériau populaire, comme un des plus éminents représentants de cette « seconde vague nationale » dont une des voies de salut fut l’exemple debussyste.

Études musicales à Helsinki, Berlin et Vienne ; entrée dans la gloire nationale dès 1892 — avec Kullervo, symphonie pour soli, chœurs et orchestre d’après plusieurs épisodes de la mythologie finlandaise du Kalevala —, internationale au tournant du siècle, participation, notamment avec Finlandia (1899), aux revendications autonomistes de son pays, qui ne devait conquérir son indépendance qu’en 1917 ; installation en 1904 à Järvenpää, à une trentaine de kilomètres au nord d’Helsinki, dans une maison entourée d’arbres où les œuvres, jusqu’alors romantico-nationales, allaient tendre de plus en plus vers l’universalité et le classicisme, l’intériorité et la concentration ; nombreuses tournées à l’étranger, dont six en Angleterre (de 1903 à 1921) et une aux États-Unis (1914). Tels sont les renseignements fournis par la biographie officielle d’un artiste qui sut dissimuler, sauf dans sa musique, une personnalité complexe et des orages intérieurs parfois terrifiants.

Après Tapiola (1926), ce fut pendant trente ans le silence le plus total : une huitième symphonie fut terminée mais détruite.

Bien que comprenant 116 numéros d’opus et de nombreuses partitions sans opus, la production de Sibelius ne doit son importance qu’à une trentaine d’ouvrages : les sept symphonies (de 1899 à 1924), qui jalonnent sa carrière comme les quatuors celle de Bartók et qui ne peuvent se comparer, au xxe s., qu’à celles de son contemporain et antipode Gustav Mahler ; une dizaine de poèmes symphoniques, avec comme pôles d’inspiration la nature et le Kalevala ; des musiques de scène pour le Roi Christian II d’A. Paul (1898), Kuolema d’A. Järnefelt, avec la fameuse Valse triste (1903), Pelléas et Mélisande de M. Maeterlinck (1905), le Festin de Balthazar de H. Procopé (1906), le Cygne blanc de A. Strindberg (1908), Jedermann de H. von Hofmannsthal (1916) et surtout la Tempête de Shakespeare (1925) ; un concerto pour violon (1903) et un quatuor à cordes (1909) ; des lieder et des pièces isolées, dont trois sonatines pour piano (1912). Sibelius, dont les affinités furent en définitive plus françaises que germaniques et qu’il faut se garder de ne commenter qu’en termes pittoresques ou mythologiques, ne fut en rien rétrograde. Le conservatisme apparent (en réalité des plus lucides) de son vocabulaire tonal (en fait souvent modal) s’inscrit dans un renouveau radical du déroulement syntaxique et de la notion de forme organique, le flux musical prenant souvent chez lui consistance et orientation en cours de mouvement. Il contribua à abolir la forme sonate et sut comme peu d’autres, avant la période toute moderne, synthétiser dynamisme et statisme. Le romantisme de la première symphonie, en mi mineur (op. 39, 1899), est plutôt individuel et légendaire, celui de la deuxième, en majeur (op. 43, 1902), collectif et national. Dans leur voisinage se situent la Suite de Lemminkäinen (op. 22, 1895), dont le célèbre « Cygne de Tuonela » (1893), frère nordique du Faune debussyste, n’est autre que le second volet, et le poème symphonique « En Saga » (op. 9, 1892, révisé en 1901). La troisième symphonie, en ut majeur (op. 52, 1907), porche de la grande maturité sibélienne, véritable manifeste d’énergie et de limpidité, unit pour la première fois en un seul (ce qui ne veut pas dire enchaîne) deux types de mouvements. Autour d’elle, les poèmes symphoniques la Fille de Pohjola (op. 49, 1906) et Chevauchée nocturne et lever de soleil (op. 55, 1909). La quatrième symphonie en la mineur (op. 63, 1911), que d’aucuns tiennent pour son œuvre la plus personnelle, est typiquement d’avant-garde avec son orchestration et son expression âpres, décharnées jusqu’à l’os, ses frottements bitonaux et son recours aux relations d’intervalles comme matière première architecturale. De la même ascèse relèvent le poème symphonique le Barde (op. 64, 1913), et Luonnotar (op. 70, 1913), pour soprano et orchestre, étonnante cosmogonie tirée du Kalevala. Après l’impressionnisme ensoleillé des Océanides (op. 73, 1914), la cinquième symphonie en mi bémol majeur (op. 82, 1915, révisée en 1916 et en 1919), au premier mouvement très complexe, répond par l’affirmation triomphale de sa péroraison hymnique au tragique de la précédente. Une fascinante sérénité automnale baigne en revanche la sixième (op. 104, 1923), la plus latine de toutes, officiellement en mineur et en fait dans le mode de , tandis que la septième, en ut majeur (op. 105, 1924), monolithe pan-consonant d’une indicible grandeur, réunit en un bloc d’un seul tenant les divers types de mouvements de la symphonie traditionnelle.

Tapiola (op. 112, 1926), sublime poème de la forêt qui est à Sibelius ce que la Mer est à Debussy, contient sur sa fin un terrifiant cataclysme qui est sans doute la clef du mystère des trente années de silence ultérieures. De ce sommet du xxe s., monothématique et quittant à peine si mineur, on n’a pas encore épuisé les prémices.

M. V.

 C. Gray, Sibelius (Londres, 1931). / H. E. Johnson, Jean Sibelius (Westminster, Maryland, 1959). / E. Tanzberger, Jean Sibelius (Wiesbaden, 1962). / S. Vestdijk, De symfonieën van Jean Sibelius (Amsterdam, 1962). / R. Layton, Sibelius (Londres, 1965). / E. Tawaststjerna, Jean Sibelius (Helsinki, 1965). / M. Vignal, Jean Sibelius (Seghers, 1965).