Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Schelling (Friedrich Wilhelm Joseph von) (suite)

Si au moi, tel que Fichte l’avait défini, on substitue la Nature, celle-ci apparaît bien comme l’activité infinie qui d’une part s’affirme en pesant ce à quoi elle s’oppose, et qui d’autre part est infinie en rétablissant sans fin les oppositions qu’elle a détruites. Schelling rêve donc alors de construire une philosophie de la Nature qui se maintienne au même niveau d’abstraction que la Théorie de la science, considérée comme un traité de la méthode dont cette philosophie serait une application. Mais, par ce dessein, Schelling s’écarte d’autant du mysticisme, vers lequel le conduisait le naturalisme traditionnel, et cela l’amène, vers 1803 à sa « philosophie de l’identité » qui lui est propre. (Darstellung meines Systems der Philosophie, « Exposition de ma philosophie », 1801 ; Bruno, 1802).

Il faut d’abord la replacer dans son contexte historique pour la définir ensuite dans ce qui fait son originalité : selon une conception influencée à la fois (et selon Schelling) par Giordano Bruno, le platonicien de la Renaissance, et par Spinoza, l’Absolu serait l’indifférence des opposés (il ne serait donc ni sujet ni objet, ni esprit ni nature), proche en cela de l’Un du Parménide de Platon ou de l’Un tel que le définit Plotin. Cet Absolu n’a aucune activité véritable, aucune transitivité. Donc, affirme Schelling, les philosophes de l’époque classique et du xviiie s. ont eu tort de prendre la Nature pour l’objet, l’Esprit pour le sujet, comme deux morceaux détachés de l’Absolu. En fait, la « philosophie de la Nature », que prône Schelling, constitue une démonstration selon laquelle la Nature est, comme l’Absolu, sujet-objet ; l’« idéalisme transcendantal », tel que Schelling le considère à partir de Kant, fait de l’Esprit un objet-sujet. Seule restriction à cette philosophie qui vise à démontrer l’identité des contraires (dite « philosophie de l’identité ») : il y a ce que Schelling appelle un « excès d’objectivité » dans le sujet-objet Nature et un « excès de subjectivité » dans l’objet-sujet Esprit.

Mais Schelling a changé après le Bruno. Dans sa dernière philosophie, il se détache de ces belles formules et verse de nouveau du côté d’une pensée moins rationaliste.

Cela va l’amener à sortir de la préoccupation exclusive de l’Absolu, et d’abord à admettre que l’être fini, ne pouvant naître de l’Absolu, qui reste en soi, doit se poser par un acte entièrement libre, analogue à celui que Plotin prêtait aux âmes qui veulent vivre pour elles-mêmes et se détacher de l’âme du monde ; cet acte libre, cet écart de l’Absolu, c’est, chez les êtres spirituels, la chute ; et l’histoire, avec sa double épopée, l’Iliade, où elle s’éloigne du centre, l’Odyssée, où elle y rentre, contient la conséquence de la chute et la restauration finale. Ce que Schelling affirmait déjà dans Philosophie und Religion (1804) sera repris sous une autre forme en 1809 dans les Philosophische Untersuchungen über das Wesen der menschlichen Freiheit (« Recherches sur l’essence de la liberté humaine »), qui racontent un drame mystique. Mais l’originalité de Schelling est de concevoir non pas seulement le devenir de la Nature et de l’homme, mais celui de Dieu même. Pour que l’homme soit, il faut que l’homme vienne du non-être, du germe primitif, qui est sa première puissance (ou, en d’autres termes, sa potentialité à exister) ; par opposition à ce « germe », Dieu est l’être qui est, et c’est là sa seconde puissance ; enfin, il est l’union hiérarchique de l’être et du non-être, et c’est là sa troisième puissance. Ce mouvement ne cessera que par l’avènement d’une volonté supérieure, qui, au-delà de toute différence, ne veut plus rien : c’est la surdivinité. Dieu est absolue liberté, libre de toute forme d’être et de toute nature.

Ainsi, au Dieu statique de la théologie rationnelle des deux siècles précédents, à l’être universel et immuable, Schelling a-t-il substitué le Dieu du mysticisme, à devenir intérieur. Ainsi, au terme de sa carrière, Schelling a-t-il distingué la « philosophie purement rationnelle », qui construit le possible, de la « philosophie positive », qui part du fait pur de l’absolue liberté. Il faut pourtant souligner, par-delà les différences, une conception fondamentale qui le relie à Fichte : rien ne se pose que par une lutte et une victoire sur son opposé ; l’immédiat ne peut être que vide et néant.

Parmi les autres œuvres de Schelling, on citera : Von der Weltseele (1798), Erster Entwurf eines Systems der Naturphilosophie (1799), System des transzendentalen Idealismus (1800), Philosophie der Kunst (1802-03), Philosophie der Mythologie (1842), Philosophie der Offenbarung (1854).

D. C.

 G. W. F. Hegel, Differenz des fichteschen und schellingschen Systems der Philosophie (Iena, 1801). / K. Fischer, Friedrich Wilhelm Joseph Schelling (Mannheim, 1872 ; 4e éd., Schellings Leben, Werke und Lehre, Heidelberg, 1923). / E. von Hartmann, Schellings philosophisches System (Leipzig, 1897). / E. Bréhier, Schelling (Alcan, 1912). / N. Hartman, Die Philosophie des deutschen Idealismus (Berlin, 1923). / E. de Ferri, La Filosofia dell’ identità di F. Schelling (Turin, 1925). / J. Habermas, Das Absolute und die Geschichte (Bonn, 1954). / G. Lukács, Die Zerstörung der Vernunft (Berlin, 1954 ; trad. fr. la Destruction de la raison, l’Arche, 1958-59, 2 vol.). / K. Jaspers, Schelling : Grösse und Verhängnis (Munich, 1955). / C. Bruaire, Schelling (Seghers, 1970). / X. Tilliette, Schelling, une philosophie en devenir (Vrin, 1970 ; 2 vol.). / J.-F. Marquet, Liberté et existence. Études sur la formation de la philosophie de Schelling (Gallimard, 1973).

Schiller (Friedrich von)

Écrivain allemand (Marbach 1759 - Weimar 1805).


Un siècle durant au moins, les drames de Schiller ont occupé la première place sur les scènes de langue allemande. En 1859, les fêtes du centenaire de sa naissance eurent une importance nationale : l’Allemagne se reconnaissait en lui. Cent ans plus tard, les célébrations de 1959 n’eurent pas la même signification. Pourtant, en 1955, à propos du cent cinquantième anniversaire de sa mort, Thomas Mann prononça à Stuttgart, puis à Weimar le même discours, où il apparaissait que, malgré tant de changements, la personnalité de Schiller et son œuvre demeurée largement vivante éveillaient des résonances à l’Est comme à l’Ouest. Cette œuvre demeure, même pour qui ne reconnaît plus sa dramaturgie, la plus haute forme du discours dramatique classique en langue allemande.