Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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santé (suite)

Mais les progrès de la médecine sont tels que le praticien est très vite isolé. Il a besoin non seulement d’un enseignement postuniversitaire régulier, mais d’une assistance quotidienne, car « la masse des données acquises, dont la connaissance est nécessaire aux soins des malades, a brusquement dépassé les capacités de préhension et de mémoire du médecin [...]. Le nombre des données théoriquement indispensables croît chaque année de vertigineuse façon [...]. J’ai vu mourir des malades parce que le médecin ne savait pas manier, comme il est naturel, un nouvel antibiotique rare [...]. J’ai vu mourir des malades qu’on aurait pu guérir si l’on avait été assez informé par la lecture d’un article enfoui dans l’une des mille revues médicales spécialisées qui paraissent chaque mois dans le monde » (J. Hamburger). On peut concevoir que le médecin de l’avenir aura à sa disposition un terminal d’ordinateur relié à une source commune d’informations perpétuellement alimentée et mise à jour. Comme les explorateurs spaciaux survivent grâce à la coopération à la fois de mécanismes automatiques et de possibilités de pilotage direct, le médecin de l’avenir continuera de soigner personnellement ses malades en s’appuyant sur la machine : voilà qui nous éloigne des craintes émises par quelques-uns à propos des machines à diagnostic irresponsables et des médecins-robots d’une certaine science-fiction.


L’industrie pharmaceutique

En France et dans certains pays, la distribution des produits pharmaceutiques donne lieu à un monopole en faveur des personnes diplômées des facultés de pharmacie et à une répartition réglementée des points de vente ; ailleurs, c’est le régime de la libre concurrence ou d’une liberté relative qui prévaut. (V. pharmacie.) Il importe de souligner l’existence de trois secteurs économiques dans la distribution des produits pharmaceutiques : un secteur hospitalier, un secteur libéral et un secteur mutualiste, le développement de ce dernier étant fortement freiné par les pouvoirs publics sous la pression des pharmaciens d’officine du secteur libéral.

L’industrie pharmaceutique est soumise à des contrôles techniques. Dans les pays occidentaux, elle est entre les mains d’entreprises privées attachées à la loi du profit (une puissante firme britannique ayant spontanément décidé de ne plus faire de bénéfices sur les médicaments destinés à traiter le cancer, le professeur Jean Bernard imagine que les autres firmes du monde capitaliste pourraient toutes renoncer aux profits de leur secteur pharmacie tout en continuant leur activité dans leurs autres départements : « Il y aurait de la grandeur dans cette nouvelle nuit du 4-Août. ») Dans les pays socialistes se sont développées des industries pharmaceutiques d’État très efficaces, qui exportent d’excellents produits en Occident. En France et en Grande-Bretagne, certains partis politiques préconisent la nationalisation de l’industrie pharmaceutique.

Les industries d’orthopédie et de fourniture aux médecins, aux centres de diagnostic et de soins et aux laboratoires d’analyses ne provoquent pas encore les mêmes critiques que l’industrie pharmaceutique, mais il n’en reste pas moins vrai qu’elles réalisent souvent des profits importants ; le problème des « machines à sous » (c’est-à-dire des appareils livrés à des médecins peu scrupuleux qui appliquent eux-mêmes ou font appliquer par une assistante à leurs malades des traitements plus ou moins efficaces moyennant des honoraires supplémentaires qui permettent de rembourser très vite le fournisseur) n’a pas échappé à l’attention des dirigeants de la profession chargés de veiller sur l’intangibilité de sa moralité, mais sans qu’une solution cependant ait encore pu intervenir. Par ailleurs, dans certains pays du moins, les fabricants et les vendeurs de matériel divers approchent les praticiens et leur proposent parfois une commission pour chaque appareil ordonné.


Les laboratoires d’analyses

Beaucoup de laboratoires* d’analyses ont été créés qui nécessitent un matériel abondant et cher ainsi que des équipes bien formées à la rigueur scientifique. Néanmoins, un contrôle rigoureux devrait être institué pour éviter les erreurs dans les analyses. Là encore, la médecine libérale et la médecine de caisse s’affrontent sans que les résultats obtenus par la seconde soient nécessairement et toujours les meilleurs.


Établissements de soins privés ou publics ?

Les partisans des établissements de soins publics (les hôpitaux privés à but non lucratif peuvent leur être assimilés) reprochent au secteur d’hospitalisation privé d’écumer le marché des interventions les moins complexes et de laisser au secteur public les interventions nécessitant le matériel le plus sophistiqué et les équipes médicales les plus efficaces. Certains auteurs estiment que cette dualité entre deux types d’établissements différents est heureuse : d’une part, des établissements à la technique perfectionnée, où les relations humaines cèdent le pas à la réussite technique, et chers du fait de leurs investissements en matériel et en personnel ; d’autre part, des établissements recevant des malades moins atteints, laissant place à des relations humaines plus souriantes et au prix de revient plus ou moins modéré. Mais n’est-il pas choquant de faire intervenir l’initiative privée, et le profit qui lui est inhérent, dans les relations entre le médecin et le patient ? Est-il normal que, pour une même opération, les honoraires du chirurgien soient plus élevés dans un établissement privé, dont il est — avec ou sans intermédiaire — le propriétaire ou le principal bailleur de fonds, que dans un établissement public ou une clinique conventionnée (une clinique qui, le plus souvent pour s’assurer un mouvement suffisant de clients, s’est engagée vis-à-vis des organismes de sécurité sociale à appliquer des tarifs limites) ? Toute incitation financière à la multiplication des interventions (plus ou moins nécessaires) et des facturations accessoires, en vue parfois de la réalisation de profits substantiels paraît dangereuse pour la moralité d’une profession dont le plus grand nombre des membres sont très estimables sur le plan moral et technique, mais qui n’a pas toujours su se dégager complètement des pratiques pernicieuses de la dichotomie.