Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Saint-Quentin (suite)

Cependant c’est durant la Première Guerre mondiale que la ville eut le plus à souffrir. Les Allemands occupèrent Saint-Quentin dès le 31 août 1914, après les combats de Charleroi, et le conservèrent jusqu’à la fin de la guerre. Ils en firent un centre de ravitaillement et y regroupèrent leurs forces. En 1916-17, ils édifièrent la ligne Hindenburg, qui passait près de la ville. En mars-avril 1917, de terribles combats y furent livrés par les troupes franco-britanniques, qui ne réussirent pas à entamer les lignes de défense.

Après la grande offensive allemande des 21-22 mars 1918, qui perça les lignes françaises dans la région de Saint-Quentin, la contre-offensive de septembre ramena les Alliés sur la ligne Hindenburg ; celle-ci fut finalement prise après de violents combats qui détruisirent presque complètement Saint-Quentin, heureusement évacué depuis mars 1917 par ses habitants.

C’est cette défaite qui incita le haut commandement allemand à demander l’armistice. Lorsque les Français pénétrèrent dans Saint-Quentin, le 1er octobre 1918, ils n’y trouvèrent que des ruines, 10 000 de ses 14 000 maisons ayant été rasées.

P. P. et P. R.


L’art à Saint-Quentin

La ville possède trois centres principaux d’intérêt artistique.

Élevée du xiiie au xve s. sur l’emplacement d’édifices antérieurs (dont il demeure un clocher-porche en partie roman), maintes fois atteinte par les incendies et les guerres puis restaurée, la collégiale Saint-Quentin est un édifice de 130 m de long à deux transepts. Sans doute construit par Villard* de Honnecourt sur le modèle de la cathédrale de Reims, le chœur, d’une grande hardiesse, englobe le transept oriental et se termine par une abside à très élégantes chapelles rayonnantes.

L’hôtel de ville, achevé au début du xvie s. et auquel deux ailes modernes ont été adjointes, possède une façade à décor flamboyant qui superpose un portique de sept arcades alternativement larges et étroites, une rangée de neuf fenêtres à deux lancettes séparées par des niches et trois hauts pignons triangulaires, le tout surmonté d’une tour carrée du xviiie s. Cette dernière possède un carillon, refait en 1924.

Enfin, c’est dans sa ville natale qu’on peut voir le plus bel ensemble de portraits du célèbre pastelliste Maurice Quentin de La Tour. Les travaux qu’il laissait à sa mort furent légués par son frère Jean-François aux œuvres fondées par l’artiste. Après bien des aventures, ils furent déposés en 1886 dans l’hôtel du xviiie s. légué à la ville par le banquier Antoine Lécuyer. Détruit durant la Première Guerre mondiale, puis reconstruit, l’hôtel-musée Lécuyer abrite de nouveau ces quelque quatre-vingts pastels, portraits achevés et esquisses, qui témoignent si bien de la virtuosité du maître.

M. B.

Maurice Quentin de La Tour

(Saint-Quentin 1704 - id. 1788.)

Très jeune, il vient à Paris en cheminant, son père n’entendant pas sa vocation. On sait peu de chose sur ses débuts, si ce n’est qu’il prend ses premières leçons chez le Flamand Jan Jakob Spoede (1680-1757). Sa prédilection pour le pastel proviendrait du succès parisien de la Vénitienne Rosalba Carriera (1675-1757), en 1720, et peut-être aussi d’une certaine faiblesse physique et nerveuse lui interdisant le maniement des couleurs à l’huile.

À Reims, en 1722, pour le sacre de Louis XV, à Cambrai pour un congrès, en 1724, il connaît des diplomates. La réussite du portrait de l’ambassadeur d’Espagne à Londres incite les hauts personnages à poser pour lui ; l’ambassadeur l’emmène avec lui, le loge dans son palais ; le jeune homme complète ainsi son éducation littéraire, politique, philosophique, et son art s’en épanouit.

Il expose au Salon pour la première fois en 1737, avec le portrait de Mme Boucher et le sien propre. C’est la consécration, l’engouement. Mme de Mailly, maîtresse du roi, celui-ci, les grands, les philosophes, les artistes veulent être représentés par lui, fréquentent son atelier dans les galeries du Louvre, où il est logé avec pension. Reçu à l’Académie en 1746 avec le portrait de J. Restout*, il est peintre du roi en 1750.

Ses tons sont neutres : rose et gris, bleu et gris, mauve et gris, avec cependant des rouges plus acides. Il en tire des effets tout de grâce, négligeant la pompe de Rigaud*, la mythologie de Jean-Marc Nattier (1685-1766). Il est authentiquement xviiie s. : finesse, élégance, mais vérité.

Son esprit est tranchant, caustique. Il n’est pas pour rien l’ami des philosophes, surtout de Voltaire. Il oblige ses modèles à se révéler, perce leur secret et le proclame volontiers, ce qui ne l’empêche pas de flatter certains portraits. Il est goûté, fêté : la haute société, qui néglige son confrère Perronneau*, raffole de lui et l’enrichit. S’il a grande idée de sa valeur commerciale, il emploie au mieux sa fortune, créant des prix, des bourses et des fondations.

Son travail s’intensifie. Il est devenu tourbillon, ne sachant plus terminer une œuvre, voulant toujours se surpasser, reprenant ses compositions jusqu’à les fatiguer et commettant parfois des erreurs techniques (le problème de la fixation du pastel demeure mal résolu a cette époque). Mais le labeur écrasant maintenu à un âge avancé, une extrême sensibilité aussi provoquent un déséquilibre qui fait chavirer sa raison. Il se retire à Auteuil puis, en 1784, à Saint-Quentin.

M. B.

 A. Besnard et G. Wildenstein, La Tour, la vie et l’œuvre de l’artiste (les Beaux-Arts, 1928). / P. de Nolhac, la Vie et l’œuvre de Maurice Quentin de La Tour (Piazza, 1931). / E. Fleury et G. Brière, Catalogue de la collection Maurice Quentin de La Tour à Saint-Quentin (musée Lécuyer, Saint-Quentin, 1954). / G. Monnier, Pastels des xviie et xviiie siècles (musée du Louvre, cabinet des Dessins) [Éd. des Musées nationaux, 1972].

 S. et A. Fiette, Saint-Quentin (S. A. E. P., Ingersheim, 1972).