Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Saikaku

(Pseudonyme de Hirayama Tōgo), romancier et poète japonais (Ōsaka 1642 - id. 1693).


De la vie privée d’Ihara Saikaku, l’on sait peu de chose. Issu d’une famille de chōnin (bourgeoisie marchande d’Ōsaka), il se serait lui-même retiré des affaires, fortune faite, vers la quarantaine, après la mort de sa femme et de sa fille unique, pour se consacrer entièrement aux lettres.

Il s’était, du reste, déjà assuré une solide réputation comme poète de haikai, genre qu’il pratiquait depuis l’enfance. Élève de Nishiyama Sōin, il est appelé dès l’âge de vingt et un ans à arbitrer des concours. Dans la préface de son premier recueil, Ikutamamanku (Dix Mille Haïku d’Ikutama, 1675), il s’en prend à la poésie contemporaine, « qui sent le moisi ». Lui-même se distingue par sa prodigieuse facilité : 1 600 haïku (poèmes de dix-sept syllabes en trois vers 5-7-5) en vingt-quatre heures lors d’un concours de 1677 et 4 000 dans le même temps en 1680. Il ne faut, bien entendu, chercher aucune profondeur dans ces exercices de haute virtuosité ; cependant, d’un haïku à l’autre, des associations d’images ou d’idées, des jeux de mots amènent de véritables suites narratives, descriptives ou lyriques qui tendent vers une sorte de prose rythmée. Le secret du style et de la fascination particulière de Saikaku romancier est là.

A partir de 1682, en effet, Saikaku publiera seize ouvrages en prose qui marquent la renaissance du roman japonais, genre qui avait pratiquement disparu depuis quatre siècles. Après les pastiches du Genji-monogatari de Murasaki* Shikibu et les romans historiques du xiie s., l’on n’avait plus guère écrit que des contes, connus sous le nom générique de sōshi. La première moitié du xviie s. voit apparaître les kana-zōshi, sōshi en caractères phonétiques et d’autres termes « populaires ». Encore que le niveau culturel des lecteurs, petits-bourgeois, artisans, boutiquiers, se soit progressivement élevé, ce qui se traduit par l’emploi de caractères chinois de plus en plus nombreux, la valeur littéraire des kana-zōshi reste encore, vers 1680, très discutable.

Saikaku respectera les formes extérieures des kana-zōshi : division en fascicules illustrés — parfois de sa propre main —, découpage en chapitres très courts pour les récits suivis, groupement par thèmes pour les recueils de contes. Mais tout le reste n’appartient qu’à lui ; le style, qui allie à la concision du haikai le souvenir de la grande prose classique du Moyen Âge, et plus encore les thèmes, ces études de caractères et de mœurs qui font de l’ensemble de l’œuvre une sorte de Comédie humaine de la culture d’Ōsaka à son apogée.

Un nouveau terme apparaît pour qualifier ce genre nouveau : celui d’ukiyo-zōshi, « récits du monde flottant » ; ukiyo, vocable d’origine bouddhique qui désigne à l’origine le « monde flottant », en d’autres termes ce bas monde, en est venu, au xviie s., à désigner le monde artificiel et illusoire que sont les quartiers de plaisirs. C’est en ces lieux que se situe une bonne partie du premier des romans de Saikaku, Kōshoku ichidai otoko (Vie d’un libertin, 1682), dont le héros procède à un inventaire complet des ressources qui s’offrent à l’exercice méthodique de la débauche ; le Kōshoku nidai otoko (Vie d’un second libertin, 1684) montre le fils du précédent s’engageant à son tour sur la voie des plaisirs décevants du « monde flottant ».

En 1686 paraissent deux ouvrages qui constituent le pendant de ceux-là : Kōshoku gonin onna (Vie de cinq femmes libertines), Kōshoku ichidai onna (Vie d’une femme libertine). Le premier est un recueil de cinq nouvelles qui content des drames causés par une passion sans frein ; le second, qui est sans doute le chef-d’œuvre de Saikaku, est le récit d’une longue déchéance qui, d’amour en amour, mène une jeune fille de petite noblesse jusqu’aux abîmes de la plus ignoble prostitution. En apparence, c’est le « destin » qui est mis en cause, mais point n’est besoin d’être grand clerc pour lire entre les lignes la nature réelle de cette fatalité : plus que de ses propres fautes, l’héroïne est en effet la victime des lois et des mœurs de son temps, dont l’absurde logique la broie comme elle écrase les personnages des drames bourgeois de Chikamatsu* Monzaemon, avec lesquels les romans de Saikaku se conjuguent pour former un implacable réquisitoire contre la société du temps.

Les recueils de contes, qui se suivent jusqu’à la mort de l’auteur, complètent méthodiquement le tableau. Quatre séries de buke-mono, « histoires de guerriers » (1687-88), décrivent les mœurs des bushi, ou samurai, vues par un membre de la classe rivale des chōnin, qui se consolent de leur abaissement politique en construisant patiemment leur suprématie économique et en raillant discrètement l’étrange comportement et la morale rigide de ces frustes soudards.

Saikaku se montrera cependant plus à l’aise dans ses chōnin-mono, « histoires de bourgeois », qui révèlent les qualités et les défauts de cette classe qui est la sienne. L’ensemble forme un admirable tableau de la vie privée et des pratiques commerciales des habitants d’Ōsaka ; de lecture amusante, mais document aussi de première main, tel est, par exemple, le Nippon eitaigura (les Trésors du Japon, 1688), qui prétend révéler les secrets de la réussite commerciale et des grosses fortunes : sous une apparence gravement didactique, l’auteur démontre qu’il n’est d’autre recette qu’une opiniâtreté féroce dans une lutte où se constitue une société qui préfigure le capitalisme moderne.

Citons enfin quelques recueils de contes ramassés un peu partout au cours de voyages : Shokoku-banashi (Histoires de toutes les provinces, 1685) ; Honchō nijushi fukō (Vingt-Quatre Exemples d’impiété filiale, 1686), vingt-quatre faits divers atroces, parricides et autres crimes inexpiables que Saikaku oppose à l’optimisme de la morale confucéenne officielle.

R. S.