Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Russie (suite)

Les mouvements après la réforme

Les paysans, déçus par la réforme agraire de 1861, gardent cependant leur confiance au tsar ; ils rendent responsables de leurs misères les nobles et les propriétaires. On compte plus de 1 800 émeutes en 1861. Parallèlement, le mouvement étudiant prend de l’ampleur, à la suite de nouvelles dispositions (1861 et 1871) tendant à réduire les libertés universitaires.

Le terrain devient de plus en plus favorable à l’activité clandestine antigouvernementale. Les publications illégales se multiplient ; celle de Petr Grigorievitch Zaitchnevski (1842-1896), Jeune Russie, à Moscou en 1862, appelle au renversement du régime pour le remplacer par une « république sociale et démocratique ». À Saint-Pétersbourg, « Zemlia i Volia », influencée par Tchernychevski, espère une révolution imminente.

En 1863, des insurrections éclatent en Pologne, en Lituanie et en Biélorussie ; elles sont soutenues par la presse démocratique russe. Mais la répression tsariste est sévère, et le découragement s’empare des rangs socialistes. Saltykov-Chtchedrine continue à lutter dans le Sovremennik, et Dmitri Ivanovitch Pissarev (1840-1868) dans la revue radicale Rousskoïe Slovo (la Parole russe), mais ces organes oppositionnels sont définitivement interdits en 1866. L’attentat manqué contre Alexandre II par l’étudiant Dmitri Vladimirovitch Karakozov (1840-1866) en 1866 provoque une recrudescence de la répression tsariste.


L’industrialisation

Vingt ans après la réforme paysanne, le capitalisme domine en Russie. De 1830 à 1880, la production textile (région de Moscou) est multipliée par quatre et l’extraction de la houille (bassin du Donbass, de Dąbrowa Górnicza, en Pologne) par huit. La production du pétrole (Bakou) s’élève à 10 millions de tonnes. Au centre métallurgique de l’Oural vient s’ajouter celui de l’Ukraine. Saint-Pétersbourg est devenu le siège d’importantes usines de constructions métalliques.

L’État mène à bien un effort considérable dans l’extension du réseau ferré, qui, de 1861 à 1880, est passé de 1 500 à 25 000 km. Vers 1880, les grandes entreprises tiennent en main la presque totalité de la production, mais la Russie, sur le plan industriel, reste cependant loin derrière les pays d’Occident.

En trente ans, le commerce extérieur a plus que triplé (on exporte surtout des céréales en dépit de la famine constante de la population), et le chiffre d’affaires des entreprises a quadruplé. Cette période voit la formation d’un prolétariat industriel issu d’un transfert des paysans vers les villes. Les ouvriers connaissent de dures conditions de travail (salaires très bas, logement médiocre, journée de travail interminable...). Les bénéfices des entreprises sont énormes et attirent les industriels occidentaux, qui, de 1880 à 1890, investissent des sommes considérables surtout dans l’industrie lourde.

La population s’accroît rapidement : en trente ans, elle augmente de sept fois et demie dans les campagnes et double dans les villes. À la fin du xixe s., Saint-Pétersbourg atteint 1 500 000 habitants, Moscou 1 000 000, Odessa 400 000, Kiev 250 000 ; la population de Kharkov, Riga, Tiflis varie entre 100 000 et 200 000 habitants. Ces villes sont autant de centres culturels et économiques, mais aussi autant de foyers révolutionnaires.


La politique extérieure à la fin du xixe s.

Par le traité d’Aihun (Aigun) de 1858, la Russie retrouvait la rive gauche de l’Amour ; le traité de Pékin de 1860 lui donne le territoire de l’Ossouri. L’Asie centrale russe s’organise de 1868 à 1884 : les khānats de Boukhara et de Khiva se mettent sous la protection de la Russie, celui de Kokand, supprimé en 1876, devient la province de Fergana, et le gouvernement du Turkestan est créé en 1876. Tous ces territoires sont soumis à une administration militaire.

La Russie profite de la guerre franco-allemande* de 1870-71 pour résilier en mars 1871 le traité de Paris. C’est un succès diplomatique à l’actif du ministre des Affaires étrangères Aleksandr Mikhaïlovitch Gortchakov (1798-1883), la Russie étant fortement intéressée par les pays balkaniques alors en lutte contre l’Empire ottoman. En 1875, la Bosnie-Herzégovine* s’insurge contre la Turquie, puis, en 1876, c’est le tour de la Bulgarie*, de la Serbie* et du Monténégro*. Soutenue par un élan populaire, la Russie déclare la guerre à la Turquie en avril 1877. Les combats sont durs. À la fin de 1877, les Russes prennent Plevna. En janvier 1878, ils sont à Sofia, puis ils occupent Philippopoli (auj. Plovdiv). Le 19 février (3 mars), le traité de San Stefano accorde l’indépendance à la Roumanie, à la Serbie et au Monténégro. L’intervention de l’Angleterre et de l’Autriche-Hongrie, soutenues par l’Allemagne, aboutit au congrès de Berlin de 1878. La Bulgarie est partagée en trois parties : l’une reste ottomane ; les deux autres sont autonomes. La Russie reçoit Batoumi, Kars et la partie de la Bessarabie que lui avait enlevée la guerre de Crimée.


Intensification du mouvement révolutionnaire

Au début de 1870, les jeunes intellectuels russes trouvent un second souffle. Ils suivent les événements de la Commune* de Paris de 1871 et sont influencés par les œuvres de Karl Marx*. D’autre part, des liens se forment entre les personnalités russes comme les sociologues Petr Lavrovitch Lavrov (1823-1900) et Nikolaï Frantsevitch Danielson (1844-1918), le grand savant Maksim Maksimovitch Kovalevski (1851-1916) et Marx et Engels.

En 1874, la « croisade vers le peuple » de jeunes intellectuels, d’inspiration populiste, n’a pas un résultat très positif. Ces intellectuels formeront bientôt trois groupes, dirigés par M. A. Bakounine*, idéologue de l’anarchisme*, P. V. Lavrov, pacifiste, et Petr Nikititch Tkatchev (1844-1885), adepte du blanquisme. Une nouvelle société secrète « Zemlia i Volia » formée en 1876-1878 par Gueorgui Valentinovitch Plekhanov (1856-1918) et Aleksandr Dmitrievitch Mikhaïlov (1855-1884), présente aux paysans un programme de réformes qui répond mieux à leurs besoins.

Les ouvriers, de leur côté, fondent illégalement en 1875, à Odessa, l’« Union des ouvriers de la Russie méridionale » et en 1878 à Saint-Pétersbourg, l’« Union des ouvriers russes du Nord ».

Le mouvement révolutionnaire s’intensifie particulièrement en 1878. En janvier, l’acquittement de la jeune révolutionnaire populiste Vera Ivanovna Zassoulitch (1849-1919), après son attentat contre le maire de Saint-Pétersbourg, reçoit l’approbation populaire. Les attentats politiques devenant plus nombreux, le tsar fait régner la « terreur blanche ».