Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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rurale (économie) (suite)

La conception première — la science de l’exploitation agricole — a inspiré de nombreux travaux tant en France qu’à l’étranger. En France, cette tendance a été celle de Thomas de Gasparin (1754-1793), de Christophe Joseph Alexandre Mathieu de Dombasle (1777-1843) et de leurs successeurs. Ces auteurs envisagent essentiellement les façons d’aménager l’exploitation afin d’atteindre les résultats les plus élevés ; à cet effet, ils sont amenés à examiner des problèmes de technique agricole. Cette conception a donné naissance chez les auteurs allemands, aux ouvrages consacrés à la Betriebswirtschaft et chez les auteurs américains aux ouvrages consacrés au Farm Management, renouvelé par l’étude des comptabilités*. Plus récemment, tous les travaux consacrés à la gestion de l’exploitation agricole s’inscrivent dans cette conception. D’une façon générale, il s’agit de montrer que l’intérêt d’une production* ou d’une technique de production ne se juge pas dans l’absolu, mais par référence à certaines structures de ressources et aux autres opportunités offertes. Par ailleurs, le souci de réunir l’information nécessaire à toute analyse sérieuse de l’économie de l’exploitation agricole a conduit à employer les techniques nouvelles d’investigation et de traitement des problèmes se posant au niveau de cette exploitation. Par exemple, un recours de plus en plus large à la programmation linéaire se justifie par le fait que cette technique permet de poser les problèmes dans toute leur complexité.

Alors que la conception première connaît en fait des prolongements nombreux et féconds à l’époque contemporaine, c’est la seconde conception qui va, au contraire, être complètement remise en cause sous l’empire des changements ayant affecté l’agriculture. Dans la ligne des travaux des physiocrates, les efforts de leurs successeurs avaient abouti à traiter l’activité agricole comme un chapitre à part de la science économique, en raison des particularités qu’elle présentait, notamment aux points de vue biologique et social. Par exemple, Jules Milhau estimait qu’il fallait repenser les phénomènes du monde agricole en eux-mêmes et éviter de transposer des schémas classiques établis pour l’économie industrielle et valables pour le système capitaliste. À la suite d’une évolution dominée par la croissance* économique, l’économie rurale allait prendre en réalité une orientation radicalement différente pour étudier le rôle et l’activité du secteur agricole.


La nouvelle orientation

Plutôt que de chercher à dégager les spécificités du secteur agricole et de l’isoler ainsi de l’économie, l’économie rurale, a-t-on dit, doit s’efforcer de procéder à son sujet à une analyse proprement économique, en partant du fait que des relations unissent nécessairement l’agriculture à l’ensemble de l’économie. Le secteur ne doit plus être traité isolément, mais dans les relations qu’il a avec une économie dont lui-même ne représente qu’un élément constitutif. Il ne s’agit pas de relations avec un monde extérieur à l’agriculture ou au reste de l’économie, mais avec un ensemble dont le secteur agricole est partie intégrante. L’économie rurale doit raisonner en tenant compte de l’interdépendance existant entre le secteur agricole et le reste de l’économie. Cette nouvelle orientation a conduit à traiter des problèmes de l’économie rurale selon une optique tout à fait différente et aussi d’en évoquer d’autres, qui, dans l’ensemble, avaient été ignorées. Ainsi, l’économie rurale a été amenée à aborder une multiplicité et une variété de thèmes qui, à première vue, laissent une impression d’hétérogénéité, alors que l’analyse s’appuie sur des hypothèses d’une logique cohérente.

• La première des directions nouvelles dans laquelle l’économie rurale s’est engagée a consisté à examiner, clans une perspective globale et parfois historique, le rôle de l’agriculture dans le développement* économique, en partant de l’hypothèse que le développement agricole et le développement industriel doivent progresser de pair. Celte analyse des relations entre le secteur agricole et le secteur industriel a abouti à la formulation de recommandations de politique économique. Les doctrines de l’industrialisation, comme celles d’une diversification de l’économie ou d’un développement équilibré, ont insisté sur la nécessité d’une expansion préalable ou, du moins, simultanée de la production agricole. D’un côté, l’industrie, par son développement, peut, sur une longue période, participer à une amélioration du pouvoir d’achat : elle crée de nouveaux emplois, ce qui absorbe une partie du surplus de main-d’œuvre inemployée ou sous-employée. Dans l’immédiat, la demande* globale s’en trouve rehaussée et se traduit surtout par un accroissement de la demande de produits alimentaires. La modernisation du secteur agricole s’en trouve donc encouragée. Inversement, pour poursuivre son expansion, l’industrie a besoin de travailler pour un marché élargi. Le relèvement des revenus du secteur agricole peut fournir les débouchés recherchés par l’industrie (tracteurs, par exemple). En définitive, le développement industriel et le développement agricole ne doivent pas être séparés : l’industrie et l’agriculture se fournissent entre elles un marché et se soutiennent mutuellement.

• En second lieu, l’économie rurale s’est préoccupée d’examiner le rôle de l’agriculture dans les échanges* internationaux (par exemple contribution de l’agriculture à l’équilibre général du commerce extérieur) et la place prise par elle dans la construction européenne (problème de la politique agricole commune [v. Europe]).

• Mais ce sont sur les tendances d’évolution et d’organisation du secteur agricole que se sont surtout concentrées les analyses de l’économie rurale. Ces efforts ont donné lieu à de nombreux débats. Un d’entre eux a trait à l’industrialisation de l’agriculture : sous ce vocable, il faut désigner l’introduction et l’application des techniques industrielles tant dans le domaine des structures et des méthodes de production que dans celui de la gestion et de la commercialisation. Ces possibilités d’industrialisation de l’activité agricole se marqueraient par le découpage d’un processus de production (comme celui de l’élevage des poulets) en une série de processus élémentaires correspondant à des opérations ou à des tâches déterminées (l’alimentation, l’abattage de poulets). Ces dernières pourraient être exécutées sur une grande échelle et permettraient la mise en œuvre de procédés de lutte contre les aléas (épizooties par exemple). Il se réaliserait ainsi une nouvelle division du travail propre à favoriser une production de masse à coûts beaucoup moins élevés que ceux de la production traditionnelle. Par ailleurs, cette industrialisation serait à l’origine de changements au niveau de l’exploitation agricole : celle-ci, qu’on a pu considérer comme un système relativement autonome et stable dirigé de l’intérieur (peu d’achats de ressources productives, peu de ventes, diversification étendue, technique peu progressive, absence de comptabilisation du capital foncier et du travail dans l’exploitation, etc.), cédera graduellement la place, après toute une série de transformations complexes, dont l’ampleur et la rapidité sont inégales selon les produits et les régions, à des combinaisons d’ateliers de production plus ou moins satellisés, en amont et en aval, par des ensembles industriels et commerciaux. Un tel phénomène se produit sous une double pression.