Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

rural (monde) (suite)

Les conséquences humaines de l’intégration économique

Pendant plus d’un siècle, le paysan s’est considéré lui-même comme un petit producteur marchand, vivant largement en autarcie avec un sentiment de propriétaire, bien que la propriété des sols fût l’apanage du châtelain ou du propriétaire foncier et que le paysan ne fût que le fermier ou le métayer. Il veillait à produire un peu de tout pour l’autoconsommation (1,2 ou 3 porcs à abattre, les légumes du potager, les animaux de la basse-cour, du lait, du blé, de l’avoine, des pommes de terre, etc.) ; en outre, une part était produite pour l’échange simple (pratiques et fournitures aux commerçants, au curé) ; une autre l’était pour le propriétaire ; une dernière part était vendue au marché pour avoir l’argent nécessaire à l’achat de biens que le paysan ne pouvait pas produire lui-même ; c’était au marché, en vendant à qui il voulait et comme il voulait que le paysan se sentait producteur marchand et maître de ses biens.

La génération de l’industrialisation se sent en situation de dépendance face au vrai propriétaire et est élevée dans l’emprise de l’idéologie du progrès, de la science et de la connaissance. Elle remplace les bœufs par le tracteur ; elle modernise, emprunte, sélectionne les animaux, défriche, encouragée par ses organisations professionnelles. Mais l’industrialisation de l’agriculture, issue de la concentration urbaine et de la consommation de masse, impose une production de masse et intègre le paysan producteur à un niveau de ce circuit économique essentiellement géré par des trusts multinationaux et des banques. Le paysan n’est plus qu’un employé producteur dans une série d’opérations qui ne dépendent pas de lui, et son sort se rapproche de celui de l’ouvrier. L’homogénéisation des genres de vie, la disparition de la civilisation rurale, de ce qui faisait de ce mode de vie une civilisation, l’emprise progressive de quelques gros trusts internationaux, la banalisation de l’existence, l’industrialisation généralisée, avec tous les risques de déséquilibres écologiques et de pollution qu’elle entraîne, se traduisent alors dans la mentalité des jeunes en une angoisse et en une perte d’identité qui les font souvent rechercher cette identité dans la culture rurale traditionnelle de chaque région ; les revendications des minorités nationales sont la traduction, sur le plan social, de la transmission dernière de la culture du monde rural du grand-père au petit-fils, parce que le père l’a oubliée ou l’a perdue.

E. G.

➙ Paysans.

 G. Friedmann, Villes et campagnes (A. Colin, 1953). / D. Faucher, le Paysan et la machine (Éd. de Minuit, 1954). / R. Redfield, Peasant Society and Culture (Chicago, 1956). / H. Mendras, Sociologie rurale (Cours de droit, 1957) ; Sociologie de la campagne française (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1959 ; 3e éd., 1971) ; la Fin des paysans (SEDEIS, 1967 ; nouv. éd., A. Colin, 1970). / P. Rambaud, Économie et sociologie de la montagne ; Albiez-le-Vieux en Maurienne (A. Colin, 1962) ; Société rurale et urbanisation (Éd. du Seuil, 1974). / M. Gervais, C. Servolin et J. Weil, Une France sans paysans (Éd. du Seuil, 1965). / E. R. Wolf, Peasants (Englewood Cliffs, N. J., 1966). / G. Hoyois, Sociologie rurale (Éd. universitaires, 1968). / H. Mendras et Y. Tavernier (sous la dir. de), Terre, paysans et politique (SEDEIS, 1969-70, 2 vol.). / P. Houée, Coopération et organisation agricole Française (Cujas, 1970). / B. Lambert, les Paysans dans la lutte des classes (Éd. du Seuil, 1970). / M. Jollivet et H. Mendras (sous la dir. de), les Collectivités rurales françaises (A. Colin, 1971-1974 ; 2 vol.). / I. Chiva et P. Rambaud (sous la dir. de), les Études rurales en France. Tendances et organisation de la recherche (Mouton, 1973).

rurale (économie)

Partie de la science économique qui étudie les mécanismes économiques liés à l’exploitation de la terre.


Si l’on s’en tenait à l’étymologie, l’économie rurale serait l’économie de la campagne. Dans ces conditions, son domaine d’étude devrait s’étendre à toutes les activités économiques de la campagne, c’est-à-dire non seulement à l’activité agricole, mais aussi aux activités industrielles, artisanales et commerciales qui s’y exercent. En fait, c’est une conception plus restrictive qui a prévalu avec le temps : traditionnellement, l’économie rurale ne s’occupe que de l’activité agricole.


Deux conceptions opposées

Dans cette acception limitée et traditionnelle, deux grandes conceptions se sont opposées. D’une part et pendant longtemps, l’économie rurale a cherché simplement à être une sorte d’économie domestique. Elle a voulu être essentiellement la science de l’entreprise agricole ; elle s’est efforcée de préciser comment celle-ci doit s’organiser pour vivre. Cette conception est celle de l’un des premiers auteurs qui se soient rendus célèbres en matière d’économie rurale, Caton* l’Ancien. Elle devait prévaloir durant tout le Moyen Âge, où l’on cherchait à aménager les vastes domaines agricoles de façon à leur faire rendre le plus grand rapport possible. Les mêmes préoccupations dominent encore au xviie s. chez Olivier de Serres, qui donne longuement des conseils pour l’organisation et la gestion d’un domaine rural.

La seconde conception s’affirme au xviiie s. avec les travaux des physiocrates. Sans se désintéresser de l’entreprise agricole, car beaucoup d’entre eux sont très au courant de la technique, les physiocrates vont proposer une vision plus large de l’économie rurale. En plaçant délibérément l’agriculture au centre même de la vie économique, ils en déduisent toutes les conséquences économiques, sociales et même politiques qui doivent en résulter pour le royaume. Ils affirment que l’agriculture est la source de toute richesse ; s’ils préconisent certaines techniques pour tirer de la terre les richesses qu’elle contient en puissance, ils insistent surtout sur les conditions générales du milieu qu’il est indispensable de réaliser pour obtenir le maximum de résultat. Cette façon de voir marque la naissance d’un nouveau courant de pensée, qui triomphera au xixe s. avec Ricardo* (théorie de la rente foncière), H. Passy (recherche des conditions sociales déterminant le choix des systèmes de culture), Léonce de Lavergne (analyse des progrès de la production française de 1789 à 1848).