rural (monde) (suite)
Les conséquences humaines de l’intégration économique
Pendant plus d’un siècle, le paysan s’est considéré lui-même comme un petit producteur marchand, vivant largement en autarcie avec un sentiment de propriétaire, bien que la propriété des sols fût l’apanage du châtelain ou du propriétaire foncier et que le paysan ne fût que le fermier ou le métayer. Il veillait à produire un peu de tout pour l’autoconsommation (1,2 ou 3 porcs à abattre, les légumes du potager, les animaux de la basse-cour, du lait, du blé, de l’avoine, des pommes de terre, etc.) ; en outre, une part était produite pour l’échange simple (pratiques et fournitures aux commerçants, au curé) ; une autre l’était pour le propriétaire ; une dernière part était vendue au marché pour avoir l’argent nécessaire à l’achat de biens que le paysan ne pouvait pas produire lui-même ; c’était au marché, en vendant à qui il voulait et comme il voulait que le paysan se sentait producteur marchand et maître de ses biens.
La génération de l’industrialisation se sent en situation de dépendance face au vrai propriétaire et est élevée dans l’emprise de l’idéologie du progrès, de la science et de la connaissance. Elle remplace les bœufs par le tracteur ; elle modernise, emprunte, sélectionne les animaux, défriche, encouragée par ses organisations professionnelles. Mais l’industrialisation de l’agriculture, issue de la concentration urbaine et de la consommation de masse, impose une production de masse et intègre le paysan producteur à un niveau de ce circuit économique essentiellement géré par des trusts multinationaux et des banques. Le paysan n’est plus qu’un employé producteur dans une série d’opérations qui ne dépendent pas de lui, et son sort se rapproche de celui de l’ouvrier. L’homogénéisation des genres de vie, la disparition de la civilisation rurale, de ce qui faisait de ce mode de vie une civilisation, l’emprise progressive de quelques gros trusts internationaux, la banalisation de l’existence, l’industrialisation généralisée, avec tous les risques de déséquilibres écologiques et de pollution qu’elle entraîne, se traduisent alors dans la mentalité des jeunes en une angoisse et en une perte d’identité qui les font souvent rechercher cette identité dans la culture rurale traditionnelle de chaque région ; les revendications des minorités nationales sont la traduction, sur le plan social, de la transmission dernière de la culture du monde rural du grand-père au petit-fils, parce que le père l’a oubliée ou l’a perdue.
E. G.
➙ Paysans.
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