Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Ronsard et la Pléiade (suite)

Quand Ronsard se lie avec du Bellay, ce dernier, de deux ans son aîné, s’est déjà adonné à la poésie. Comme lui, il a subi le charme d’une campagne ensoleillée, au climat un peu mou, qui a de bonne heure éveillé sa vocation littéraire. Dans la vieille demeure féodale de la Turmelière, sur la paroisse de Liré, du Bellay, de complexion délicate, a connu une enfance mélancolique assombrie par les deuils familiaux. Il a dû, lui aussi, se résigner à ne pas s’illustrer dans le métier des armes. Afin d’obtenir la protection de son cousin le cardinal Jean du Bellay (1492-1560), il s’était rendu à Poitiers (1545), foyer intellectuel de grand renom, pour y étudier le droit. C’est là que, influencé par Marot*, il s’était livré à des jeux poétiques. C’est là aussi qu’il avait rencontré Peletier, qui, à la veille de lancer son recueil d’Œuvres poétiques (1547), lui avait sans doute conseillé d’imiter tout autant les Anciens que les poètes de l’Italie moderne.

On se plaît à imaginer les confidences de Ronsard et de du Bellay dans leur hôtellerie poitevine. Sensibles l’un et l’autre aux suggestions de Peletier, les deux jeunes gens durent confronter leurs points de vue, échanger leurs idées en matière de poésie. Dès lors, sans tarder, du Bellay rejoint Ronsard à Paris pour se consacrer aux studieuses études du collège de Coqueret.

Au collège de Coqueret, situé sur la montagne Sainte-Geneviève, en plein Quartier latin, Ronsard, du Bellay, Baïf et d’autres élèves reçoivent de Dorat une culture toute classique imprégnée d’hellénisme et de latinité. Sous la direction de ce maître admiré, ils traduisent Homère, Hésiode, Pindare, les poètes tragiques et les Alexandrins, sans négliger les poètes latins, Horace et Virgile surtout, et les élégiaques. En même temps, ils étudient Dante, Boccace, Pétrarque et les pétrarquistes. Années fécondes, passées dans la ferveur et dans la soif d’apprendre, voire remplies du désir de doter la langue française d’une littérature qui puisse rivaliser avec les chefs-d’œuvre antiques et italiens. Grâce à l’ardeur communicative de Dorat, ces jeunes gens n’ont qu’une hâte, essayer leur talent, tandis que, dans un collège voisin, d’autres, tels Étienne Jodelle et Rémy Belleau, nourrissent de semblables ambitions.


Influences italiennes, influences antiques

Dès 1549, la Défense et illustration de la langue française, rédigée par du Bellay non sans que Ronsard ait probablement pris quelque part à son élaboration, rend célèbre le petit groupe. Simultanément, du Bellay publie sa première édition de l’Olive — une seconde, augmentée, voit le jour en 1550 — ainsi que ses Vers lyriques, puis, la même année, son Recueil de poésie ; quelques mois plus tard, au début de 1550, paraissent les quatre livres des Odes de Ronsard, suivis en 1552 des Amours de Cassandre et d’un cinquième livre des Odes.

Influencé par les leçons de Pétrarque et des pétrarquistes, du Bellay chante dans l’Olive les beautés de sa dame avec bien des raffinements. Ces sonnets compliqués dénotent une préciosité conventionnelle où passent rarement des accents qui puissent toucher, si l’on excepte le fameux sonnet de l’« Idée » (CXIII), au rêve tout platonicien. Une identique concession au goût italien se révèle dans les Amours de Cassandre. Ces variations ingénieuses sur un amour soudain, tour à tour douloureux, délicieux et salutaire, cet abus des comparaisons mythologiques et des jeux d’esprit apparaîtraient comme des exercices d’école sans grande portée si l’on n’y trouvait parfois l’expression de sentiments sincères : une émotion contenue, mais trop vite réprimée, affleure dans ces sonnets et leur donne leur prix, quel que soit l’étalage d’érudition et de gentillesse. Et, à vrai dire, on devine déjà chez Ronsard et du Bellay des poètes, en dépit même de leurs faiblesses, à comparer leurs œuvres aux pièces laborieuses de l’ami de Maurice Scève (1501 - v. 1560), Pontus de Tyard (les Erreurs amoureuses, 1549-1555), et de Baïf (les Amours de Méline, 1552), qui n’empruntent que le plus mauvais à leurs modèles italiens.

Les Vers lyriques ont un autre ton. Du Bellay y livre le premier recueil d’odes françaises. Il y redit son culte de la poésie et son désir d’immortalité avec une grandeur qui tranche sur les préciosités de l’Olive. Pourtant, c’est Ronsard qui, avec ses Odes, parvient à la haute poésie. Ici Pindare et Horace sont ses maîtres. Si l’inspiration pindarique aboutit à une œuvre tendue, d’accès difficile et gâtée par une érudition indiscrète, il s’en dégage une nouvelle conception de la poésie, considérée comme un sacerdoce et une fureur sacrée. Mais plutôt qu’à ces larges envolées, à ce choix des images somptueuses, on reste sensible aux odes horaciennes, d’une vérité plus humaine. Le commerce assidu d’Horace amène Ronsard à parler simplement des thèmes éternels de l’amour, de la fuite du temps, de la douceur d’un paysage. La joie de vivre comme la joie d’aimer y éclatent. Le thème épicurien du carpe diem est la leçon que le poète enseigne dans des vers charmants et spontanés. Ronsard y rajeunit des lieux communs grâce à la variété de son lyrisme, grâce à une fraîcheur d’émotion, à une saveur toute rustique, aussi bien quand il chante la fontaine Bellerie, la forêt de Gastine ou son Vendômois que lorsqu’il conseille Cassandre. Pourquoi faut-il que l’œuvre ait été mal accueillie et que les contemporains aient préféré les subtilités des Amours de Cassandre à la veine généreuse et naturelle des odes horaciennes ?

Les poètes de la Pléiade

Dès 1549 se forme au collège de Coqueret une « brigade » poétique dont Ronsard est le chef et qui comprend les compagnons du poète : J. du Bellay, Pontus de Tyard, J. A. de Baïf, Guillaume Des Autels (1529-1581), E. Jodelle et Jean de La Péruse (1529-1554). À la mort de ce dernier, R. Belleau entre dans le petit groupe, tandis que Guillaume Des Autels cède la place à Jacques Peletier (1517-1582). En 1556, la « Brigade » devint la Pléiade, du nom des sept poètes alexandrins qui, au iiie s. av. J.-C., se placèrent sous le signe de cette constellation. Par la suite, la composition définitive de la Pléiade fut la suivante, outre Ronsard : Joachim du Bellay (1522-1560), Jean Antoine de Baïf (1532-1589), Pontus de Tyard (1521-1605), Étienne Jodelle (1532-1573), Rémy Belleau (1528-1577) et Jean Dorat (1508-1588), que Ronsard aurait désigné après la mort de Peletier en 1582.