Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Ronsard et la Pléiade (suite)

Les idées de la Pléiade

Les textes où s’exprime l’essentiel des idées de la Pléiade sont la Défense et illustration de la langue française (1549) de du Bellay et la seconde préface de l’Olive (1550), que viennent compléter l’Abrégé de l’Art poétique (1565) de Ronsard et les préfaces de la Franciade (1572).

Du Bellay s’applique à montrer les possibilités de la langue française, qui n’est nullement « barbare », mais qui peut s’illustrer sinon par la traduction, du moins par l’imitation des Anciens (« bien suivre les vertus d’un bon auteur et quasi comme se transformer en lui ») en « les convertissant en sang et nourriture ». La poésie française doit se tourner vers un « plus haut et meilleur style », ce qui implique l’abandon des genres traditionnels de la poésie médiévale « comme rondeaux, ballades, virelais [...] et autres telles épisseries » au profit des genres pratiqués par les Anciens (épigrammes, élégies, épîtres, odes, comédie, tragédie...) ou par les Italiens (le sonnet), sans négliger l’épopée. Il faut enrichir le vocabulaire (archaïsmes, néologismes, termes techniques) et être attentif à la rime et à l’harmonie. Le style poétique se distinguera de la prose par l’usage d’un certain nombre de tours (infinitifs et adjectifs substantivés, adjectifs à valeur adverbiale...) et de figures (« métaphores, allégories, comparaisons [...] et tant d’autres figures et ornements, sans lesquels tout oraison et poème sont nus »). Le poète « doit comme mort en soi-même suer et trembler », car l’art est un labeur, et pourra ainsi parvenir à la gloire.

Ronsard soulignera à son tour les bienfaits d’un enrichissement du lexique (« Plus nous aurons de mots en notre langue, plus elle sera parfaite », Art poétique), affirmera hautement que la poésie doit avoir son expression propre (« le style prosaïque est ennemi capital de l’éloquence poétique », deuxième préface de la Franciade) et, à la fin de sa vie, résumera par ces mots ce qui est pour lui la vraie doctrine poétique : « Ni trop haut, ni trop bas, c’est le souverain style. »


Ronsard, poète de l’amour

Les poètes courtisans, notamment Mellin de Saint-Gelais (1491-1558), raillèrent en effet auprès du roi les métaphores pindariques et les obscurités des Odes. Mais, protégé par Marguerite de Navarre et son chancelier, Michel de L’Hospital, Ronsard sut se réconcilier avec ses rivaux et revenir à une inspiration plus simple, à la fois moins érudite et moins ésotérique, en abandonnant Pindare et sa conception du poète inspiré.

Une première concession à la Cour se manifeste par le licencieux livret des Folastries (1553), dont la hardiesse et la verve témoignent d’un vigoureux réalisme. Quelques mois plus tard, la révélation d’Anacréon et de pièces d’imitation alexandrine conduit Ronsard à composer un Bocage (1554), puis des Mélanges (1555), recueil, entre autres, de gracieuses odelettes aux rythmes légers qui célèbrent l’amour et le vin. Presque à la même époque, Rémy Belleau fait ses débuts poétiques avec ses Petites Inventions (1556), empruntant à Ronsard son anacréontisme et son aimable gaieté, et parvenant à une maîtrise qu’il ne retrouvera plus que rarement.

Ronsard apparaît en ces années 1555 et 1556 comme le grand poète de l’amour : la Continuation des Amours, en l’honneur de Marie, et la Nouvelle Continuation des Amours montrent l’abandon de l’inspiration pétrarquiste des Amours de Cassandre au profit du naturel et de la simplicité, l’un et l’autre commandés par la nouvelle passion de son cœur amoureux pour une jolie paysanne. Ce mélange de chansons et de sonnets est une des plus belles réussites de Ronsard, qui, sans effort, naïvement, découvre les mots et les cadences susceptibles d’émouvoir. Cette ingénuité, cette fraîcheur de vision, alliées à la délicatesse de touche, frappent par leur justesse et leur sobriété. Les « Amours de Marie » contiennent une vérité, une chaleur de sentiment qui font largement oublier les complications rhétoriques des Amours de Cassandre. Bien des années après (1578), dans la cinquième édition collective des Œuvres du poète, les treize sonnets Sur la mort de Marie ajouteront une note mélancolique et tendre à ce beau souvenir de jeunesse. Aussi faut-il s’étonner que les vers de l’Amour de Francine (1555), de Baïf, qui reste dans la tradition pétrarquiste, paraissent bien pâles en regard des chefs-d’œuvre qu’a fait naître l’amour de Ronsard pour Marie ?


Du Bellay en Italie

Tandis que Ronsard s’élève à la plus parfaite expression de la poésie amoureuse, du Bellay se trouve en Italie. En 1552, il avait évoqué avec amertume dans sa Complainte du désespéré les maux physiques et les soucis qui l’accablaient. L’année suivante, il était parti pour l’Italie à la suite de son puissant cousin, le cardinal Jean du Bellay, chargé par Henri II d’une mission diplomatique auprès du pape Jules III.

Parvenu à Rome, dont il subit immédiatement la fascination, il jouit, de toute sa ferveur d’humaniste, des leçons grandioses de la capitale. Il se met aussitôt à écrire : ce sont les Antiquités de Rome (publiées en 1558), recueil de sonnets suivis d’un Songe ou Vision. Le fond de l’œuvre est le contraste navrant entre la puissance passée de la ville et sa déchéance actuelle. Du Bellay se laisse aller à de vastes évocations historiques et exprime la tristesse qui se dégage de ces ruines, faisant partager à son lecteur l’invincible mélancolie qui s’est emparée de lui au spectacle émouvant des vestiges romains.

Un an plus tard, il travaille à ses Jeux rustiques (publiés en 1558), recueil composite qui constitue un ensemble d’une indéniable saveur par ses impressions élégiaques et ses tableautins réalistes. Mais le poète n’arrive à la pleine maturité qu’avec le livre des Regrets, commencé lors de la troisième année de son séjour à Rome et terminé à son retour en France, à la fin de 1557. Avant tout, du Bellay fait part de sa désillusion dans ces vers qui lui servent de « confidences », de « papiers journaux ». La charge d’intendant du cardinal lui vaut des occupations ingrates et ennuyeuses, et surtout, cruellement déçu par les mœurs romaines, il éprouve la nostalgie de son Lire natal. Les Regrets (1558) présentent ce double aspect de la poésie élégiaque et satirique. Le titre même de l’œuvre indique bien le désenchantement, et les divers sonnets témoignent de la douleur de l’exilé. Triste confession, à la tragique éloquence, que ce journal d’un poète ! Il s’y venge de ses chagrins par la satire : « du fiel, du miel, du sel », dit-il, tant il est devenu observateur pénétrant et impitoyable de la cour pontificale. Cette expérience de la souffrance l’a définitivement mis en possession de son véritable génie.