Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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romantisme (suite)

Si le drame fut le théâtre de l’accomplissement romantique, c’est dans le roman que la nouvelle école a laissé sa marque la plus éclatante : s’il est, en effet, exagéré de prétendre que c’est au xixe s. qu’est né le genre romanesque, du moins doit-on considérer que cette époque lui a donné ses véritables titres de noblesse, en en faisant un genre définitivement séparé des autres, avec ses lois propres (comme en témoignent les nombreuses préfaces du temps), et surtout en le dotant d’une dignité qui lui était jusqu’alors refusée (voir le dédain manifesté par Voltaire et Diderot à l’égard du roman).

Il est, en effet, peu d’écrivains qui n’aient été tentés par le roman, quelle qu’ait pu être leur orientation ultérieure (Sainte-Beuve et la critique, Michelet* et l’histoire) ou parallèle (Vigny ou Lamartine en poésie).

Malgré les nombreuses directions suivies par le récit romantique, il est possible de discerner quelques exigences fondamentales à tous les romanciers. Refusant la psychologie d’étiquette, ils recherchent avant tout le détail qui pare le récit d’une auréole de vérité. Cela suppose que le narrateur abandonne le cadre étroit de son récit pour se hausser à une philosophie que définit Vigny : « La vérité dont l’art doit se nourrir est la vérité d’observation sur la nature humaine, et non sur l’authenticité du fait. »

Les voies empruntées par le récit romantique se divisent en deux grandes catégories, selon que le centre d’intérêt réside dans le narrateur lui-même ou qu’il se porte sur les événements extérieurs à l’auteur ; entre ces deux branches s’installent des rameaux intermédiaires : récits romanesques centrés tantôt sur les phénomènes marginaux de la conscience individuelle (romans du rêve, récits fantastiques), tantôt sur des fondements historiques, mais débouchant sur une leçon humanitaire et politique.

Bien qu’il puisse paraître logique de dater le roman personnel à partir de l’apparition de la Nouvelle Héloïse, ce n’est véritablement qu’avec les générations postrévolutionnaires que la subjectivité se retrouve au premier plan des préoccupations de l’écrivain. Le roman personnel est en général la transposition d’une expérience personnelle sous forme d’une histoire fictive. Cependant, comme on a pu le noter, « l’auteur d’un roman personnel est à peine un romancier ; l’imagination ne l’entraîne pas, il n’anime pas le monde qui l’entoure, il ne crée pas de personnages dotés d’une vie propre, son seul personnage est lui-même ». En effet, tout n’existe qu’en fonction de ce héros central : les autres ne sont que la projection des phantasmes de l’auteur, car « il n’y a pas d’autrui dans de tels livres, pas plus qu’il n’y a de monde extérieur ».

Notons, enfin, que, dans l’abondante production littéraire ayant pour sujet le moi de l’auteur, le roman personnel tire son originalité du fait qu’il retrace un moment précis de la vie du narrateur, une crise que seule l’écriture peut résoudre ou, du moins, atténuer. De ce point de vue, Adolphe de Benjamin Constant est bien autre chose que le simple décalque d’une situation véritable : c’est, selon la formule de Nerval, une « recomposition » des souvenirs, autrement dit une expérience littéraire complexe puisant sa vie à diverses sources. Ainsi, le roman d’analyse appartient bien à la forme romanesque et s’éloigne de la confidence du journal intime.

L’importance des récits autobiographiques ne doit pas faire oublier que le récit romantique fut d’abord historique. Peut-être faut-il admettre avec-Gaétan Picon que « la confidence, captée par la poésie, n’arrivait que presque tarie au roman ». Quoi qu’il en soit, le véritable succès du roman historique tient à deux autres raisons : le goût de l’évasion dans le temps et l’espace, et l’influence de Walter Scott*.

Bien évidemment, l’imagination romantique trouvait dans l’histoire le moyen d’assoiffer son besoin de mystère et d’intrigue. Mais ce qui orienta de façon décisive le roman historique fut la diffusion massive des romans de Scott entre 1815 et 1830 : pas un écrivain qui n’ait reconnu ses mérites, ni voulu faire son « roman à la Walter Scott ». Le Journal des débats peut bien écrire, le 8 mai 1820, que « Scott est décidément l’auteur à la mode » ; il se trouve bien en deçà de la réalité : le succès de l’auteur d’Ivanhoé dépassa largement la simple vogue de la librairie et W. Scott devint le véritable modèle des Hugo, des Balzac, des Vigny et autres Mérimée*.

Qu’apportait donc de nouveau l’œuvre de Walter Scott ? Une philosophie de l’histoire alliée à une technique romanesque.

L’histoire n’était plus le banal cadre d’une aventure sentimentale : elle devenait le centre du récit, son ressort principal et imposait à l’auteur de faire de ses personnages des types représentatifs d’un temps, d’une croyance ou d’une race : ainsi nous apparaissent le noble Saxon Cédric, le Juif Isaac d’York, le serf Wamba... Mais c’est avant tout dans la structure dramatique même du récit que l’apport de l’écrivain écossais fut le plus marqué : comme l’a souligné Michel Raimond, « Walter Scott remplaçait le roman narratif par le roman dramatique ». Après avoir brossé le cadre de son récit et mis en place ses personnages, Scott substituait le dialogue à l’analyse : ainsi, l’action progressait de l’intérieur. Une telle technique fut aussitôt adoptée par les romanciers français, qui entrèrent dans la voie tracée par les Waverley Novels : toutefois, chacun d’eux orienta le récit selon ses propres convictions. Préférant les « anecdotes » à la glande fresque dramatique, Mérimée traça dans sa Chronique du règne de Charles IX (1829) « une peinture vraie des mœurs et des caractères d’une époque ». Balzac, annonçant son ambitieuse entreprise, profitait du roman historique pour incarner ses premières « espèces sociales » dans les Chouans (1829). Hugo tirait Notre-Dame de Paris (1831) vers l’épopée et le drame. Ainsi, chacun trahissait ses soucis personnels et s’éloignait du modèle originel : de ce point de vue, les Réflexions sur la vérité dans l’art de Vigny montrent comment l’on est passé du récit historique pur au roman teinté de philosophie.