Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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romantisme (suite)

D’une considération générale sur l’importance de l’histoire dans la littérature de son temps — « L’art s’est empreint d’histoire plus fortement que jamais » —, Vigny en arrive à la question essentielle du roman historique, à son ambiguïté fondamentale : faut-il empêcher « l’imagination d’enlacer dans ses nœuds formateurs toutes les figures principales d’un siècle, [...] de faire céder parfois la réalité des faits à l’idée que chacun d’eux doit représenter aux yeux de la postérité, enfin sur la différence que je vois entre la vérité de l’art et le vrai du fait » ? C’est là le problème central du roman historique, mélange de fiction et de réalité, qui semble par avance le condamner.

Après les années de Raison imposées par les philosophes se développe un fort courant irrationnel : les esprits retrouvent dans l’occultisme le besoin de croire qui leur fait défaut. Sous l’influence du mouvement allemand, tout entier engagé dans l’exploration du monde de la rêverie, la littérature s’ouvre peu à peu aux domaines jusqu’alors pratiquement inexplorés. Bon nombre d’écrivains y trouvent la matière essentielle de leur expérience. C’est ainsi que prend naissance (ou plutôt se développe) un nouveau « genre » littéraire : le conte fantastique, dont il est difficile de cerner les limites précises. Il va de soi que les contes de Nodier n’ont rien de commun, dans le fond, avec les nouvelles de Nerval : pourtant, les œuvres de Nodier et de Nerval témoignent d’un même recours à l’expérience nocturne du rêve ou aux images poétiques de la folie. Il en va de même de Gaspard de la nuit, d’Aloysius Bertrand, dont son auteur a pu justement écrire : « Ce manuscrit vous dira combien d’instruments ont essayé mes lèvres avant d’arriver à celui qui rend la note pure et expressive [...]. Là sont consignés divers procédés nouveaux peut-être d’harmonie et de couleur. »

Mais la rupture formelle la plus évidente et la plus connue est celle des textes poétiques : succédant à une époque pauvre en poètes, le romantisme s’est imposé — et s’impose encore — par le lyrisme traditionnel. Plus exactement, le phénomène poétique a envahi tous les autres genres, affirmant ainsi que la poésie était plus une façon de voir et de penser qu’un jeu métrique. De ce fait, il est extrêmement difficile de dégager les thèmes poétiques du romantisme : ce sont les mêmes que ceux qui ont déjà été rencontrés, mais plus fortement synthétisés encore autour du je qui parle. Et surtout le poète romantique a découvert une fonction, dépassant ainsi les limites étroites du lyrisme pour fonder l’acte poétique en tant qu’expérience.


Des accents originaux

Nettement marqué en tant qu’école, le romantisme français se distingue de ses homologues étrangers soit par l’esprit, soit par la forme, soit également par ses aspirations générales.

Le plus romantique, peut-être, des écrivains français, Gérard de Nerval, reconnaissait sa dette spirituelle envers « la vieille Allemagne, notre mère à tous ». En effet, nulle part ailleurs le romantisme n’a trouvé un épanouissement aussi total qu’outre-Rhin. Plus diffus historiquement, polarisé autour de deux grands foyers — Iéna, Heidelberg —, objet d’une réflexion doctrinale très poussée (les frères Schlegel, Fichte*...), le mouvement romantique allemand est, dans son essence même, un courant spirituel. À la suite de la révolte du Sturm und Drang, réaction tempétueuse contre l’académisme esthétique et moral de l’Aufklärung, se développe une profonde crise de religiosité : les écrivains, à l’écoute de leur cœur, entreprennent l’exploration systématique de leur moi, cherchant à cerner les rapports du rêve et de la réalité (Jean-Paul Richter), et à élucider les phénomènes troubles de la conscience. D’où la prolifération des textes fantastiques (Chamisso*, Arnim, Hoffmann*) et l’invasion de l’insolite dans toute la littérature, comme en témoigne le Faust de Goethe. Plus que les grands drames de Schiller* ou de Kleist*, plus que les œuvres goethéennes, un roman inachevé, Heinrich von Ofterdingen, figure avec éclat l’esprit contradictoire de cette période. Fusionnant rêve et réalité dans la conscience de l’expérience poétique, Novalis* est parvenu à donner vie à des symboles (la célèbre « Blaue Blume »), qui, à la limite du mythe, concentrent les éléments les plus opposés de l’âme romantique.

En Angleterre, le romantisme n’existe pas comme école, mais se trouve à l’état latent dans le « spirit of wonder » britannique, en revanche — et c’est un curieux paradoxe —, toute la littérature qui, de 1750 à 1790, suit l’âge florissant du roman manifeste une cohérence préromantique tout à fait exemplaire. Devant le succès des thèmes ossianiques (brumes, tombes, nocturnes...), les lettres s’ouvrent à l’imagination, terme clé de la poétique anglaise, soit par son doublet anglicisé, soit par le littéraire « fancy ». Thomas Gray, James Thomson, William Collins et surtout Edward Young, avec ses Nuits, affirment le primat de l’inspiration sur l’imitation : c’est là un élément de rupture important avec l’expérience précédente. Mais c’est en 1798, avec la publication des Lyrical Ballads de W. Wordsworth et de S. T. Coleridge, et les poèmes (exclusivement) des « lakists », puis après 1820, avec le bref développement des œuvres de Byron, de Shelley* et surtout du merveilleux Keats*, que se fait sentir le véritable renouveau des thèmes poétiques : fusion de l’homme dans la nature, refus de la finitude humaine, appel à la mort salvatrice..., puis enfin mutisme devant le tarissement de la fécondité poétique. Mais c’est surtout à deux poètes aux limites extrêmes de la chronologie romantique que l’on doit d’authentiques expériences de renouvellement poétique. W. Blake*, au crépuscule du xviiie s., affirmait, par la transcription de ses fantasmagories, que l’esprit était son propre législateur et que l’expérience ne devait en aucun cas se fonder sur l’appréhension d’éléments extérieurs, mais devait parvenir à se transcender dans une sur-réalité. John Clare, qui vécut une longue partie de sa vie dans un asile auquel l’avait condamné sa folie, offre au milieu du xixe s. l’expression la plus pure de la recherche de l’identité : de tous les mythes qu’il s’est façonnés, aucun ne compte en tant que tel, mais tous servent à illustrer l’impossible retour à la conscience déchue.