Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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révolution (sociologie de la) (suite)

2. Les mobiles, c’est-à-dire ce qui pousse les sociétaires à se soulever contre l’ordre. Le mobile de loin le plus efficace et le plus répandu est la haine de l’occupant. L’humiliation à la suite d’une défaite nationale, la peur du changement ou des menaces extérieures, l’incurie de l’élite dirigeante s’observent fréquemment. L’oppression joue rarement. Car, pour être efficace, elle doit être ressentie par l’élite, victime d’une expansion du pouvoir politique ; par contre, le peuple supporte généralement des degrés considérables de pression. Le désespoir devant une situation jugée insupportable et l’envie ressentie envers les privilégiés interviennent plutôt une fois le mouvement révolutionnaire engagé et donnent aux événements leur caractère massif et à la lutte son âpreté.

3. La chute du pouvoir, c’est-à-dire la manière dont un pouvoir en place s’efface pour céder la place à un nouveau pouvoir. Il arrive que le régime s’effondre presque instantanément, sans combattre. La démission menace un pouvoir démoralisé et qui ne cherche pas à se défendre. Un cas fréquent est la division de l’élite dirigeante ; elle peut porter sur la nature du régime politique, sur un problème majeur précis (paix ou guerre, décolonisation...) ou sur des problèmes de valeurs ; le cas le plus favorable est une division en parties sensiblement égales qui se paralysent les unes les autres ; à la limite, on a la guerre civile ; de façon plus subtile, le pouvoir peut être vidé de sa substance parce que l’élite divisée se retire de la scène politique, par l’émigration à l’intérieur et la fuite sociale. Un cas très particulier et souvent efficace de révolution est la division de l’élite dirigeante suivie de la victoire d’une fraction de celle-ci ; le pouvoir se transmet sans qu’il y ait vacance, tout se passe au sommet, dans les sphères dirigeantes, avec appel minimal au peuple.

4. La prise du pouvoir. La technique la plus efficace est le coup d’État militaire : bien préparé et mené avec décision et rapidité, il gagne presque sans coup férir, à condition, bien entendu, que les dirigeants de l’armée soient d’accord ou neutres. La guerre n’est efficace que dans le cas d’une guerre de libération nationale, là où le peuple est virtuellement acquis à la subversion ; par contre, les guérillas endogènes victorieuses sont rares, sauf conjoncture exceptionnelle (par exemple à Cuba). La prise de pouvoir par un parti révolutionnaire n’est concevable que dans le cas d’une vacance du pouvoir. Un parti ne crée pas la vacance, mais en profite, en guidant l’effervescence révolutionnaire et en s’emparant de l’appareil d’État. La vacance du pouvoir se prolonge lorsque aucune équipe ne réussit à s’installer solidement aux commandes. En une pareille occurrence, tout devient possible : toutes les forces latentes peuvent se manifester, même les plus marginales ; toutes les techniques de prise du pouvoir peuvent s’exercer tour à tour ; toutes les idéologies peuvent s’épanouir. Plus la vacance sera prolongée, plus la gamme des possibilités sera étendue.

5. Le déroulement : ce critère recoupe en partie le précédent. Dans le cas d’un coup d’État militaire bien mené, le déroulement de la révolution est quasi instantané. Lorsqu’une équipe de rechange est immédiatement disponible, il est bref et peu sanglant (ainsi en France en 1830). Dès que la durée de la vacance augmente, des étapes typiques sont franchies : phase modérée, marquée par la coexistence avec l’ancien ordre ; phase d’approfondissement des conflits avec débouché probable sur la guerre civile. À partir de là, ou bien la contre-révolution l’emporte, ou bien une équipe extrémiste fait appel au peuple et aux marginaux pour établir un régime terroriste ou totalitaire, ou bien l’armée intervient pour instaurer un ordre nouveau. Ainsi, une vacance prolongée mène nécessairement à quelque chose comme une dictature, à un renforcement de l’État et à un laminage de tous les pouvoirs intermédiaires.

6. La fête. Prise au sens ethnologique, la fête se définit par la transgression des interdits, l’exaltation collective, l’inversion des rapports sociaux et la prolifération de l’imaginaire. En période révolutionnaire, elle se présente comme l’accentuation démesurée de la vie collective aux dépens de la vie privée et comme un maelström de projets. Cette situation ne dure que quelques jours ou quelques semaines, avec, parfois, des résurgences, car, très vite, les problèmes réels se font pressants et exigent des solutions où le rêve a peu de part. Il va sans dire que seule la vacance prolongée est favorable aux manifestations de la fête.

7. L’idéologie. En s’en tenant au strict nécessaire, on peut dire qu’il n’y a pas de révolution sans idéologie, c’est-à-dire sans un ensemble d’idées plus ou moins structurées, qui lui donnent un sens et lui servent de justification. On peut ajouter que le nombre de systèmes idéologiques est limité, que ceux-ci tournent tous autour de quelques thèmes fondamentaux, combinés diversement et soumis à des variations.

L’idéologie la plus répandue est tout simplement le conservatisme, c’est-à-dire la défense résolue d’un ordre établi contre des déviations qui paraissent menacer les assises du régime.

Le théocratisme prétend instaurer un ordre social neuf sur des principes révélés. Les cas de victoire sont rarissimes (ainsi Savonarole à Florence, la Ligue à Paris en 1587-88).

L’idéologie la plus répandue, après le conservatisme, est probablement le nationalisme, qui se fonde sur l’accentuation du sentiment d’attachement à la communauté d’origine ; il s’asseoit sur l’unité intérieure et l’agressivité extérieure ; il est d’autant plus probable que la situation internationale est plus tendue et que le régime politique est plus démocratique ; il tend vers les régimes totalitaires.

Le socialisme* vise deux objectifs ; la justice, c’est-à-dire l’égalité, et plus particulièrement l’égalité dans la répartition des richesses ; la rationalisation de la société, par l’élimination des gaspillages, des ratés, des dysfonctionnements.

Le fascisme* peut être défini négativement par le refus d’aspects déterminés de la société industrielle et positivement par la volonté de retour à un ordre antérieur considéré comme idéal.

Le projet essentiel du libéralisme est la garantie de l’autonomie individuelle contre l’emprise étatique ; il se fonde sur un postulat selon lequel la lutte des intérêts particuliers mène à un point d’équilibre où les conflits s’abolissent et qui correspond à la meilleure solution possible.

Enfin, l’anarchisme* se définit par le refus global de l’État et des institutions qui régissent la vie en société ; l’idéal suprême est la liberté, prise absolument, au sens de libération par rapport à toute contrainte.