Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

rêve (suite)

Jouvet a mis en évidence dans le tronc cérébral du chat les structures responsables de la phase paradoxale. Il s’agit du locus coeruleus, dont dépend la composante tonique (atonie musculaire et tracé électroencéphalographique rapide de bas voltage) et du locus subcoeruleus, qui serait à l’origine des phénomènes phasiques (M. O. R., pointes P. G. O...). Le même auteur a révélé la complexité des mécanismes biochimiques sous-tendant l’état paradoxal dont la survenue est le résultat de la mise en jeu successive de trois systèmes : le système sérotoninergique du sommeil, un système cholinergique et enfin un système noradrénergique. Comme le dit Jouvet, cet état est gardé par une triple serrure.

Ajoutons que les physiologistes ne se sont pas contentés de ces multiples approches, ils y ont ajouté des recherches ontogénétiques et phylogénétiques. Et cependant, malgré leur nombre, leur finesse et leur complexité, toutes ces recherches laissent de côté le problème psychologique du rêve. Enfin, il convient d’insister sur le fait que ce troisième état, caractérisé par une activation générale du système nerveux central, ressemble beaucoup à l’état de veille, tout au moins du point de vue neurophysiologique. On peut l’interpréter comme un éveil sur le monde intérieur du sujet.


Le parallélisme psychophysiologique

Les trois états (vigile, paradoxal et de sommeil) étant si bien définis par le physiologiste, il est tentant de leur trouver des correspondants psychologiques et, plus spécialement, de chercher à quel état correspond le rêve. Et l’idée vient aussitôt d’associer le rêve à l’état paradoxal. En fait, la voie susceptible de mener à une solution — s’il y en a une — est semée d’obstacles, non pas tant pour construire une théorie que pour en prouver la validité.

La première difficulté est due au fait que l’activité psychique du dormeur est saisie à travers le récit qu’il peut en faire lors d’un réveil spontané, ou provoqué dans les situations expérimentales. Le rêve, in statu nascendi, restera à jamais inconnu. Face au récit du rêve, deux attitudes s’opposent : les uns y accordent foi, les autres doutent qu’il puisse être un fidèle reflet d’une activité psychique immédiatement antécédente. Certains arguments soutiennent la première attitude. Si l’on prend le cas de la phase paradoxale, plus le réveil se fait à distance de la fin de cette phase, plus les chances d’obtenir un récit onirique diminuent. Si, pendant la phase paradoxale, un stimulus sonore survenant à intervalles réguliers est perçu par le dormeur — ce qui peut se produire —, les traces de ce stimulus se retrouveront dans le récit du dormeur. Enfin, si l’on analyse les cas de somniloquie, on constate que les paroles prononcées pendant le sommeil sont en général en accord avec le contenu psychique rapporté lors du réveil. Le même fait a été retrouvé à propos du cauchemar (Fisher). Tout laisse donc à penser que le récit fait au réveil correspond bien à l’activité psychique du sommeil.

La seconde difficulté provient des conditions dans lesquelles les récits de rêve sont recueillis. À lire les comptes rendus d’expérience, on constate que les conditions expérimentales et les attentes des chercheurs influent sur le contenu des récits oniriques. Ce qui explique les divergences entre les auteurs. Pour pallier en partie cet inconvénient, les expérimentateurs recourent de plus en plus à des juges « aveugles » pour apprécier les récits des dormeurs.

Mais la solution du problème des correspondances psychophysiologiques dépend pour une bonne part des critères adoptés pour définir le rêve (activité psychique) et l’état de sommeil ou l’état paradoxal (états physiologiques). Or, les choses sont plus complexes chez l’homme que chez l’animal.

Du point de vue physiologique, l’opposition entre sommeil et phase paradoxale est moins nette chez l’homme que chez l’animal, car il est possible d’observer pendant les phases de sommeil proprement dit des phénomènes considérés comme spécifiques de la phase paradoxale (M. O. R., atonie musculaire, érection...). Si bien que certains parlent de phases intermédiaires (G. C. Lairy). Or, les niveaux biochimique et anatomique ne peuvent être atteints chez l’homme, alors qu’inversement le niveau verbal, dont dépend la définition du rêve, est absent chez l’animal.

Du point de vue psychologique, personne ne s’accorde sur la définition du rêve. Pour certains, il convient d’adopter la définition la plus large : le rêve est l’activité psychique du dormeur. Comme cette activité semble être permanente pendant la nuit, le problème de la correspondance entre le rêve et un état physiologique donné ne se pose pas. C’est, nous l’avons vu, le point de vue de Freud, qui distinguait les rêves dont le sens est très clair et ceux qui exigent de l’analyste un travail d’interprétation.

Pour d’autres, au contraire, si on donne du rêve une définition étroite — perception hallucinatoire de scènes animées, incohérentes, bizarres, absurdes... —, alors le problème se pose de savoir si une telle activité psychique correspond, ou non, à tel ou tel état du système nerveux central. Pour les raisons exposées précédemment et parce que l’étude linguistique, en particulier sémantique, des récits oniriques est encore à faire, aucune solution claire ne peut être apportée actuellement. Cependant, certaines correspondances semblent se dégager d’une analyse statistique. En effet, les rêves d’aspect fantastique semblent survenir plus souvent pendant la phase paradoxale. Et, pendant cette phase, les rêves semblent beaucoup plus facilement remémorés que pendant le sommeil. Inversement, une activité psychique semblable à celle de l’état de veille se rencontre plus souvent pendant le sommeil, où elle est moins aisément remémorée. À moins de considérer que la structure de notre activité psychique est totalement indépendante de l’organisation du système nerveux central, il est vraisemblable que d’importants progrès sont à attendre dans le domaine des correspondances psychobiologiques.

Il reste à dire un mot de la fonction du sommeil et du rêve, que nous assimilerons pour simplifier à la phase paradoxale. Le sommeil semble avoir pour fonction la mise au repos de l’organisme et la remise en état de tous les appareils, pour user d’une métaphore mécaniste.