Renan (Ernest) (suite)
Les premiers temps seront difficiles. Tout en assurant les fonctions de répétiteur dans un cours privé, Renan travaille à obtenir ses grades universitaires : en septembre 1848, il est reçu premier à l’agrégation de philosophie. Il rédige à cette époque (1848-49) une étude sur la connaissance scientifique qu’il publiera en 1890 sous le nom de l’Avenir de la science. De nombreux articles et travaux (dont deux couronnés par l’Institut) l’ont déjà fait connaître et, en 1852, il devient docteur ès lettres avec une thèse sur Averroès et l’averroïsme. Par sa traduction du Livre de Job (1858) et son étude sur le Cantique des cantiques (1860), le jeune hébraïsant vise à mettre à la portée des non-spécialistes les problèmes de la critique biblique.
Autour de la « Vie de Jésus »
En 1860, le gouvernement impérial le charge d’une mission archéologique en Syrie : celle-ci durera une année. Les fouilles trop rapides et mal conduites (Renan n’était pas archéologue) ne donneront pas des résultats de premier ordre. Mais en Syrie Renan pense à la Palestine voisine : l’occasion de visiter le pays où a vécu Jésus s’offre à lui (avr.-mai 1861). Devant le paysage, qui lui révèle un « cinquième évangile », il a le sentiment de mieux saisir l’« éminente personnalité » de Jésus. Avant de revenir en France, il esquissera en Syrie même un premier projet de sa Vie de Jésus.
Peu après son retour, il est nommé professeur au Collège de France, à la chaire d’hébreu (11 janv. 1862). Sa leçon inaugurale a lieu le 22 février. On sait le passage qui provoqua le scandale : « Un homme incomparable si grand que [...] je ne voudrais pas contredire ceux qui l’appellent Dieu [...] ». Ce fut un beau chahut qui se termina par des manifestations dans la rue. Quatre jours après, le cours était suspendu.
C’est dans cette atmosphère troublée que paraît, le 24 juin 1863, la Vie de Jésus. Le succès de cette œuvre sera impressionnant, autant que la violence des attaques qu’elle aura à soutenir. Renan posait pour la première fois sous une forme accessible au grand public le problème de Jésus. Pour expliquer cette réussite, on a beaucoup parlé du charme littéraire de l’auteur. En réalité, Renan a su voir que le public ne comprend pas les lacunes de l’histoire et se résigne mal à ne pas savoir. Aussi s’est-il attaché à reproduire non pas tant les résultats fragmentaires apportés par les documents, mais l’impression que ces documents eux-mêmes ont laissée dans son esprit. Il dit comment il a compris les choses ; non sans talent, il supplée aux insuffisances de l’histoire.
L’époque des grandes œuvres et des honneurs
La Vie de Jésus n’était que le premier volume d’une Histoire des origines du christianisme qui comprendra sept volumes plus un volume d’index. Pour mener à bien la continuation de son œuvre, Ernest Renan reprend le bâton de pèlerin et visite l’Asie Mineure et la Grèce, berceau des premières communautés chrétiennes et dont il rapporte les éléments de la fameuse Prière sur l’Acropole, publiée en 1883 dans les Souvenirs d’enfance et de jeunesse. À son retour vont paraître les Apôtres (1866), Saint Paul (1869), l’Antéchrist (1873), les Évangiles (1877), l’Église chrétienne (1879), Marc Aurèle (1881). C’est la plus vaste synthèse du christianisme qui ait été jusqu’alors présentée dans notre langue.
La chute de l’Empire rend à Renan son poste de professeur au Collège de France (17 nov. 1870). De ses travaux épigraphiques sortira le Corpus inscriptionum semiticarum (Corpus des inscriptions sémitiques), dont il aura l’initiative et dont il assurera l’établissement pour la partie phénicienne. Publié sous les auspices de l’Académie des inscriptions, le C. I. S. comptera de 1881 à nos jours 55 volumes. C’est l’œuvre de Renan la moins connue, mais c’est la plus durable.
Après avoir retracé l’histoire des cent cinquante premières années du christianisme, Renan entreprend d’étudier le mouvement religieux qui en a été le préliminaire. L’Histoire du peuple d’Israël paraît de 1887 à 1894 ; elle compte cinq volumes, les deux derniers sont posthumes. Pour porter un jugement équitable sur ces livres, il faut se rappeler qu’ils ont été écrits alors que les fouilles méthodiques du sol palestinien commençaient à peine et que l’auteur a ainsi manqué d’éléments de contrôle historiques et archéologiques. L’étude sur les origines d’Israël, notamment, s’en ressent.
Parvenu au faîte des honneurs (membre de l’Académie française en 1878, administrateur du Collège de France en 1883), Renan partage avec Taine l’honneur de représenter aux yeux de l’étranger l’intelligence française. Mais les Drames philosophiques (Caliban, l’Eau de jouvence, le Prêtre de Némi, et l’Abbesse de Jouarre, écrits de 1878 à 1886 et réunis en volume en 1888) nous livrent les méditations d’un homme qui sent la mort venir et qui essaye de trouver une réponse, en dehors de toute dogmatique, aux problèmes métaphysiques que n’avaient pu résoudre ses maîtres de Saint-Sulpice.
I. T.
J. Pommier, Renan d’après des documents inédits (Perrin, 1923) ; la Pensée religieuse de Renan (Rieder, 1925) ; la Jeunesse cléricale d’Ernest Renan. Saint-Sulpice (Les Belles Lettres, 1933) ; Un itinéraire spirituel. Du séminaire à la Prière sur l’Acropole (Nizet, 1972). / H. Psichari, Renan d’après lui-même (Plon, 1937). / R. Dussaud, l’Œuvre scientifique d’Ernest Renan (Geuthner, 1951). / H. Peyre, Sagesse de Renan (P. U. F., 1968) ; Renan (P. U. F., 1969) ; Renan et la Grèce (Nizet, 1973). / K. Gore, l’Idée de progrès dans la pensée de Renan (Nizet, 1970). / Cahiers renaniens (Nizet, 1971-1973, 6 fasc. parus).