Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Asie centrale (art de l’)

Art ancien de l’Asie centrale soviétique et du Xinjiang (Sin-kiang, anc. Turkestan chinois).


Entre la Chine et l’Iran, dans une région de bassins séparés par de hautes chaînes de montagnes orientées E.-O., s’est développé au sein de petits royaumes, durant le Ier millénaire de notre ère, un ensemble de civilisations sédentaires brillantes. Quoique le jeu des influences politiques, commerciales et religieuses ait introduit dans ces pays, suivant les époques, des apports venus de l’Inde, de la Chine et de l’Iran, les arts qui s’y épanouirent n’en sont pas moins originaux.

Les régions considérées comprennent une partie de l’actuelle Asie centrale soviétique (Sogdiane, Ferghana, Khārezm préislamiques) et l’ouest de la province chinoise du Xinjiang (Sin-kiang), soit le bassin du Tarim. Ces pays étaient traversés par la « route de la soie », lien principal par terre entre l’Orient et l’Occident pendant des siècles. Ils étaient aussi le point de départ des chemins se dirigeant vers le nord et la Sibérie du Sud. Avec les marchands vinrent des moines, des pèlerins, des artisans, transportant d’un bout à l’autre de l’Asie des produits commerciaux, des idées religieuses ou philosophiques, mais aussi des systèmes de constructions, des techniques, des thèmes décoratifs très variés.


L’Asie centrale soviétique

Dès la fin du ve s. av. J.-C., on construisit des villes fortifiées en même temps que se développait l’irrigation. Les villes ont des plans rectangulaires réguliers ; plus tard, les éléments architecturaux relèvent de l’art hellénistique (Nisa, région d’Achkhabad). À partir de la fin du iie s. av. J.-C., ces régions dépendirent du grand Empire kuṣānā, qui dominait aussi l’Inde du Nord ; les villes continuèrent à se développer. De cette période datent le village fortifié de Khaltchayan (à l’est de Termez) et Toprakkale (Khārezm), dont l’enceinte contenait un palais aux salles ornées de monumentales statues d’argile et de fresques. En même temps commença l’installation du bouddhisme, comme le prouve le monastère rupestre dégagé à Kara-Tepe (région de Termez).

Entre le déclin des Kouchans, au début du ive s., et la conquête arabe, au cours du viiie, le pays connut une grande prospérité. La documentation est considérable, et elle a encore augmenté depuis trente ans. On a ainsi découvert un art aristocratique reflétant le goût raffiné d’une société de type féodal, qui pratiquait des religions diverses. Deux importantes découvertes relevant du bouddhisme ont eu lieu durant la dernière décennie : Ak-Bechim (région de Termez) et Adjina-Tepe (à l’est de Kourgan-Tioube). Ces deux monastères, entourés d’une enceinte, contenaient des sculptures d’argile peinte représentant les figures traditionnelles du panthéon et un grand Bouddha couché, long de 12 m, œuvres qui semblent faire écho aux sculpteurs de l’école « gréco-bouddhique ». Les constructions laïques sont surtout des « fermes-châteaux » fortifiées. Les murs des salles d’apparat y sont ornés de fresques qui montrent des banquets aux convives vêtus de riches tuniques et levant des coupes, comme à Bâlâlyk-Tepe (au nord de Termez), ou des scènes de combat à dos d’éléphant contre des animaux fantastiques et des félins, comme à Varakhcha (région de Boukhara). L’ensemble le plus important est la ville de Piandjikent (à 60 km à l’est de Samarkand), fondée au ive s. et à son apogée au viie s. Les fresques décorant maisons et palais illustrent la richesse des habitants, dont les nombreux témoins de la vie matérielle mis au jour ne sont qu’un pâle reflet. Les peintures illustrent des scènes de la vie (lutte, jeu, concert, chasse, banquet...) sur des fonds bleu lapis ou rouge pompéien. Les sculptures sur bois présentent des personnages aux corps allongés, aux gestes élégants.


Le Turkestan chinois

C’est à partir du début de notre ère que la civilisation née dans les oasis de la « route de la soie » est la mieux connue, et cela grâce aux découvertes des diverses missions européennes depuis la fin du xixe s. L’art reflète les grandes tendances historiques. Au début, ce sont les influences indiennes et les courants plus occidentaux venus par le truchement du Gāndhāra* qui dominent ; puis, à la suite de la conquête des Tang (T’ang) au viie s., la Chine, toujours présente, devient prépondérante. En même temps, les apports de l’Iran restent toujours sensibles, même après la chute des Sassanides. Un élément apporte une sorte d’unité à cet immense territoire : la prééminence du bouddhisme, qui, sans jamais faire figure de religion d’État, fut la religion qui réunit le plus d’adeptes et se maintint le plus longtemps. L’architecture qui nous est parvenue est surtout constituée par des monastères et des lieux de culte bouddhiques. Ils sont très souvent installés dans des vallées étroites ; aussi la paroi des falaises est-elle creusée de grottes formant autant de cellules ou de chapelles. Les sculptures qui ornaient celles-ci sont surtout des grands ensembles de personnages d’argile peinte et dorée. Elles manifestent l’influence du Gāndhāra et de l’Inde dans les costumes, les parures, les attitudes, quoique les visages, larges et pleins, soient de type centre-asiatique. Les hauts-reliefs des monastères de Tumshuq (région de Maralbachi, ive-viie s.) comptent parmi les plus beaux. C’est dans la peinture que les variations locales sont le plus sensibles ; mais on y rencontre partout le même goût pour la représentation humaine, atteignant parfois au portrait. Le nombre des œuvres suppose l’emploi de poncifs, dont certains ont été retrouvés ; la répétition des thèmes s’accentuera avec le temps, encore renforcée par l’évolution du bouddhisme.

Les sites les plus anciens se trouvent sur la route du Sud. Mirān est celui où les influences occidentales sont le plus marquées dans les thèmes et la technique (iiie s. ?). Les personnages, aux courts cheveux bouclés, y sont vêtus de draperies à plis souples. Le style développé aux ive et ve s. dans la région de Khotan accueillit, lui aussi, largement les influences étrangères, en particulier iraniennes. Les Khotanais, qui peignaient à fresque ou sur des planchettes de bois, avaient le goût de la géométrisation et de la frontalité associé à un grand sens du mouvement. La production des sites de la route du Nord s’est poursuivie plus tard que dans le Sud, et l’importante étape de Koutcha se détache avec force ; le groupe des grottes de Kyzyl en forme le plus beau fleuron. Les œuvres les plus anciennes datent du milieu du ve s., et l’activité des artistes se poursuit jusqu’en 750 environ. Le style est fortement influencé par l’Inde, les formes et les couleurs d’abord très harmonieuses ; à partir de 650 (?), le dessin se stylise, et une prédilection pour des bleus et des verts souvent criards apparaît. Les peintures d’autres centres comme Tumshuq ou Qarachahr reflètent le rayonnement de l’école de Koutcha. Le bassin de Tourfan, au nord-est du Tarim, est le dernier de ces royaumes. Les manifestations artistiques y relèvent non seulement du bouddhisme, mais aussi du manichéisme et du nestorianisme. Il s’y ajoute une influence chinoise qui se manifesta très tôt et qui fut profonde. Les fresques, mais aussi les peintures sur soie et sur papier, et les objets découverts dans les tombes (à Astana en particulier) en témoignent. Quand les Turcs Ouïgours installèrent leur capitale à Qotcho (auj. Kara Khoja) vers 840, on vit se créer un style nouveau au dessin très sobre, avec un goût pour les couleurs violentes, le vert émeraude et surtout le rouge. Les fresques sont souvent des œuvres de série, mais les moines et les donateurs sont représentés avec un souci d’individualisation et de vérité qui en fait des documents ethniques et archéologiques.

M. M.

➙ Chine / Inde / Iran / Ouzbékistan / Samarkand.

 M. Bussagli, la Peinture de l’Asie centrale (Skira, 1963). / D. T. Rice, Ancient Arts of Central Asia (Londres, 1965). / A. Belenitsky, Asie centrale (Nagel, 1968).