Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Asie de la mousson

Partie de l’Asie, du Pākistān occidental au Japon, atteinte par la mousson*.


L’Asie méridionale (sous-continent indien et Asie du Sud-Est) et extrême-orientale (Chine orientale, Taiwan [T’ai-wan], Japon, Corée) est l’« Asie peuplée » (environ 2 milliards d’hommes), avec deux États géants : la Chine (800 millions d’hab.) et l’Union indienne (600 millions). Deux autres États dépassent 100 millions d’habitants : l’Indonésie et le Japon. Sept pays dépassent ou approchent 40 millions d’habitants : le Bangla Desh, le Pākistān, la Corée, les Philippines, la Thaïlande, le Viêt-nam et la Birmanie. Pour une grande part, cette concentration est la conséquence de la mousson.


La mousson

L’Asie méridionale et extrême-orientale est humide : les pluies sont presque partout supérieures à 500 mm ; une moitié du sous-continent indien, toute la Chine du Sud-Est, la péninsule indochinoise, l’Insulinde, Taiwan et le Japon reçoivent plus de 1 000 mm de pluies, souvent plus de 1 500 mm. Sauf de rares exceptions, il s’agit de pluies d’été. Ainsi, toute une immense région, depuis l’Indus jusqu’à Hokkaidō, sur 75° de longitude, depuis Singapour jusqu’à l’Amour, sur 55° de latitude, reçoit des pluies d’été abondantes (de mai ou juin à octobre ou novembre). Cet été pluvieux est chaud : généralement plus de 25 °C. Il est donc tropical. Cette partie du monde a non pas des « climats de mousson », mais des climats à étés tropicaux, même sous des latitudes non tropicales. Certes, partout dans le monde, les façades orientales des continents ne présentent pas la zonation classique des façades occidentales, mais nulle part l’« anomalie » n’a pareille extension ni telle importance qu’en Asie.

Une grande partie de cette Asie, en effet, est située entre 15 et 30° N., latitudes qui, ailleurs dans le monde et sauf exceptions, sont désertiques. Les deltas du Gange et du fleuve Rouge, où les pluies d’été dépassent 1 600 mm, sont situés à la latitude de Port-Étienne, en Mauritanie ; le delta du Yangzijiang (Yang-tseu-kiang), où les pluies, surtout d’été, dépassent 1 000 mm, est à la latitude du Grand Erg occidental saharien ; la plaine du Gange, qui reçoit de 600 à 1 200 mm de pluies, s’étend à la latitude du désert des Nufūd, en Arabie, ou du désert de Basse-Californie, au Mexique. Sur plus de 70° de longitude, les déserts subtropicaux disparaissent. La vie devient possible. Les deltas du Gange, du fleuve Rouge, du Yangzijiang (Yang-tseu-kiang), la plaine du Gange sont des fourmilières humaines où la densité dépasse 500 habitants au kilomètre carré, voire 1 000, et ce à la latitude d’immensités vides (Sahara, Arabie, etc.).

Les faits sont certes de moindre importance pour les régions situées de part et d’autre de l’équateur, qui ont des climats équatoriaux (pluies constantes) ou tropicaux (pluies de mai à novembre dans l’hémisphère Nord et de novembre à mai dans l’hémisphère Sud) normaux à ces latitudes, et Bornéo n’est pas tellement plus peuplée que l’Amazonie ou la cuvette congolaise. Mais ces régions tropicales ou équatoriales asiatiques ont reçu l’impact des grandes civilisations nées dans la zone tempérée, contrairement aux régions tropicales et équatoriales africaines.

Les faits semblent aussi de moindre importance aux latitudes tempérées, en Chine ou au Japon. Mais l’absence du désert aux latitudes subtropicales a permis aux influences tropicales de gagner ces latitudes. Elle a favorisé la remontée loin vers le nord d’espèces végétales tropicales. De là résulte l’exceptionnelle richesse de la forêt « pénétropicale » en Chine du Sud-Est et au Japon méridional. Le camphrier (jusqu’à 32° N.), le camélia, les lauriers, les bambous viennent se mêler aux chênes verts et aux pins, parmi lianes et même épiphytes. De bien plus grande conséquence, cependant, a été la diffusion du riz très haut dans le Nord, grâce à la chaleur et aux pluies de l’été. Cette céréale est sans doute originaire de l’Asie tropicale (Inde, Asie du Sud-Est). Elle a gagné très tôt les zones tempérées (Chine du Yangzijiang [Yang-tseu-kiang], plaines de Corée et du Japon). Certes, elle n’y est pas parfaitement à son aise : les pluies d’été ne sont pas tout à fait suffisantes, et l’irrigation est nécessaire. Mais les conquêtes gastronomiques du riz déjà réalisées en Chine orientale lors du creusement du Grand Canal (605-616), destiné au transport du riz à la cour de Luoyang (Lo-yang), ont été suivies des conquêtes du paddy, cultivé aujourd’hui jusque sur le Heilongjiang (Hei-long-kiang) et dans Hokkaidō. En Chine, en Corée et au Japon, le riz est l’aliment noble. Des influences civilisatrices tropicales se sont aussi manifestées : la maison japonaise sur pilotis est originaire de l’Asie tropicale.

Il est de coutume de parler de « moussons » et de distinguer une mousson d’été et une mousson d’hiver, diamétralement opposées dans leur direction, l’une du secteur sud (généralement S.-O.), l’autre du secteur nord (généralement N.-E.) ; pour beaucoup, le phénomène de « mousson » est précisément l’opposition saisonnière des vents. Celle-ci est connue de longue date des navigateurs, arabes, puis européens, pour qui elle était d’importance primordiale au temps de la marine à voile. Mais, pour les masses paysannes asiatiques, il n’y a qu’une vraie mousson, celle d’été, celle qui apporte la pluie et permet la vie. On peut donc parler d’Asie de la mousson. Cette Asie de la mousson ne correspond pas aux limites politiques : elle ne s’étend pas à la Chine occidentale (Mongolie-Intérieure, Xinjiang [Sin-kiang], Tibet) ni à la République populaire de Mongolie, qui sont désertiques.

La mousson est due à ce que la circulation atmosphérique est perturbée en Asie méridionale et orientale par un fait géographique, l’énorme masse du continent asiatique.

La mousson est provoquée par un appel d’air du continent asiatique surchauffé : la chaleur, liée à la continentalité, crée des basses pressions sur l’Inde du Nord-Ouest et l’Asie centrale chinoise. Ces basses pressions, d’origine thermique, donc géographique, attirent (phénomène de mousson) par-delà l’équateur les alizés austraux originaires des hautes pressions subtropicales de l’océan Indien et d’Australie ; ceux-ci sont déviés sur leur droite en franchissant l’équateur et prennent le plus souvent une direction S.-O. - N.-E. ; direction absolument opposée à ce que sont ailleurs les alizés boréaux (N.-E. - S.-O.). L’air tropical de l’alizé est originellement sec, mais il pousse devant lui l’air équatorial (Em) ascendant dont il provoque d’ailleurs, en partie, l’ascendance et auquel, devenu instable au-dessus des mers chaudes, il se mélange ; ou, ce qui revient au même, il pousse, en s’y mélangeant jusqu’à de hautes latitudes, l’air équatorial de la zone intertropicale de convergence (ZIC) ; une énorme masse d’air équatorial (Em), chaud et potentiellement très humide, dont l’épaisseur peut atteindre 5 000 à 8 000 m, envahit l’Asie méridionale et extrême-orientale jusqu’à 45° N. et même au-delà. Toutes sortes de facteurs peuvent, dès lors, provoquer des pluies : ascendances locales dues à la thermoconvection ou aux modalités de la circulation en altitude, intervention de « dépressions » tempérées d’ouest (en Chine et au Japon) et surtout ascendances brutales provoquées par le relief quand il est perpendiculaire au flux de mousson.