Compositeur allemand (Brand, Bavière, 1873 - Leipzig 1916).
Élève d’Adalbert Lindner (1860-1946) à Weiden, près de sa bourgade natale, puis (1890-1893) de Hugo Riemann (1849-1919) à Wiesbaden, où il demeure jusqu’en 1896, il se retire après son service militaire à Weiden de 1898 à 1901, se consacrant exclusivement à la composition. Il se fixe ensuite à Munich, où il enseigne au conservatoire. En butte à de violentes attaques, causées par le caractère révolutionnaire de sa musique et attisées par son esprit polémique, il s’installe à Leipzig (1907), y conservant jusqu’à sa mort une chaire au conservatoire. De 1911 à 1914, il vit à Meiningen, y dirigeant l’orchestre de la petite cour princière, auquel il donne une grande réputation grâce à de nombreuses tournées. Il élit enfin domicile à Iéna, dernière étape de cette vie brève et pleine.
Reger est l’une des personnalités les plus étranges et complexes de son temps. Sa réputation hors d’Allemagne demeure faussée par de multiples préjugés et on ne connaît généralement qu’une infime partie de son immense production. On voit encore en lui une incarnation du pédantisme teuton, un terrifiant Herr Professor à grosses lunettes, possédé d’un implacable furor contrapuntisticus, comme un épigone tardif et anachronique de Bach. En réalité, il assuma le fardeau de sa position critique à la limite de deux âges de la musique avec un engagement lucide égal à celui de son quasi-contemporain Gustav Mahler*. D’une manière typiquement romantique, deux hommes se combattaient en Reger, mais il parvint à les concilier dans ses meilleurs ouvrages. Reger le Bavarois catholique, nature généreuse et expansive, aussi incapable de refréner un appétit gargantuesque de nourriture et de boisson que de s’empêcher d’écrire des fugues de 300 mesures, était un enfant de son époque. Tout en vénérant profondément l’œuvre de Brahms, qui l’influença de manière durable, tant dans ses œuvres d’orchestre et de chambre que dans ses innombrables lieder et pièces pour piano, il était pleinement conscient de la révolution chromatique du Tristan de Wagner, qu’il mena, bien plus avant qu’Anton Bruckner* et Hugo Wolf*, aux confins tic l’atonalité. On ne trouve rien dans les premières œuvres de Schönberg qui égale le radical atonalisme chromatique des grandes œuvres du Sturm und Drang régérien, écrites au tournant du siècle. Si, quelques, années plus tard, Schönberg et ses disciples le dépassèrent sur cette voie, il faut considérer que sa mort prématurée l’empêcha, tout comme son contemporain Aleksandr Nikolaïevitch Skriabine (1872-1915), de dire son dernier mot en la matière. Dans certaines œuvres tardives de Reger (quatuor op. 121, fantaisie et fugue pour orgue op. 135 b), on trouve des exemples frappants de pensée sérielle prédodécaphonique, avec des séries de dix et même onze sons. À côté de ce Reger « moderne » et radical, il y a également l’impressionniste subtil et délicat de la Suite romantique, des Quatre Poèmes symphoniques d’après A. Böcklin ou de la Suite pour orgue op. 92, et enfin le néo-classique cultivant les formes austères du contrepoint comme Bach, alignant avec une déconcertante aisance et une inlassable prolixité chorals, fugues et passacailles, signant la production d’orgue la plus importante de l’Allemagne après Bach, tant en nombre qu’en qualité. Mais on n’observe aucun hiatus entre ces aspects variés de son style, et ses structures polyphoniques les plus strictes intègrent toutes les conquêtes de l’harmonie moderne ainsi que les nuances infinies d’une échelle dynamique particulièrement ample, qui lui valut, tant comme interprète que comme compositeur, la réputation d’un maître du pianissimo. Ce qui lui manqua peut-être, ce fut la faculté d’inventer des profils thématiques suffisamment forts et aptes au développement au sens de Beethoven ou de Brahms : la chromatisation de son langage s’y opposait sans doute. Par contre, ses sujets de fugues ne le cèdent en rien à ceux de Bach, et son inspiration n’est jamais plus forte ni plus personnelle que lorsqu’elle est stimulée par le défi de quelque thème étranger : aussi, ses séries de variations pour orchestre ou pour piano de même que ses chorals pour orgue peuvent-ils être considérés comme ses meilleures œuvres.