Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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réalisme (suite)

Un dernier courant d’influences intervient avant 1848, celui de l’école espagnole, qui s’explique moins par la passion des romantiques pour l’Espagne que par la présence à Paris de l’exceptionnelle collection de Louis-Philippe (505 tableaux). Des peintres aussi différents que Courbet, Théodule Ribot (1823-1891), Henri Regnault (1843-1871), Carolus-Duran (1837-1917), Léon Bonnat (1833-1922), le Suisse Frank Buchser (1828-1890), Manet* et Whistler* ont laissé des œuvres qui montrent avec quelle attention ils avaient regardé Vélasquez*, Murillo* et Ribera*.


Un demi-siècle de réalisme en France

La répercussion la plus immédiate de la révolution de 1848 sur la vie artistique est la suppression du Jury et l’ouverture du Salon à tous ; 5 500 œuvres sont ainsi présentées (chiffre habituel, mais la moitié environ était refusée). Certains sujets traités sont significatifs : une forge d’Ignace François Bonhommé (1809-1881), des mineurs d’Émile Loubon (1809-1863), des paysans bretons d’Adolphe Leleux (1812-1891), mais aucune œuvre n’a une envergure suffisante pour lui conférer valeur de manifeste. Ce sont deux grandes peintures de Courbet qui vont jouer ce rôle en 1850 : l’Enterrement à Ornans et surtout les Casseurs de pierre. Dès 1846, Baudelaire* a demandé aux peintres de s’inspirer de la vie moderne, mais il n’a pas prévu une tentative aussi radicale, tenant à préserver les droits de l’imagination. Courbet impose au contraire brutalement ces hommes aux destins obscurs, sacrifiés ; et il ne s’agit plus de peintures de genre à accrocher au-dessus d’un piano, mais de formats énormes, réservés jusque-là aux scènes religieuses ou à la peinture d’histoire et que seules pouvaient sauver, à cette échelle, les qualités exceptionnelles de l’artiste. En 1855, le réalisme touche un large public grâce à une exposition faite par Courbet dans un baraquement de l’Alma, en marge des manifestations de l’Exposition internationale. Le peintre, jusqu’à son exil de 1873, allait rester, par ses idées sociales généreuses et sa force créatrice, la figure la plus significative du mouvement, avec une carrière jalonnée de provocations et de scandales. Son influence sera considérable non seulement en France, mais aussi en Belgique et en Allemagne.

La peinture d’Honoré Daumier trouvera au contraire peu d’écho dans l’immédiat. Venu tard à cette technique, l’artiste n’expose pour la première fois qu’en 1849 et représente désormais, avec des accentuations expressionnistes, la vie des déshérités (émigrants, forains, lavandières) ou des scènes de la vie populaire (wagons de 3e classe, théâtres, tribunaux). Constantin Guys (1802-1892) donne une chronique de l’époque qui passe des élégances et des débauches parisiennes aux misères de la guerre de Crimée. Jean-François Millet* assure une diffusion des thèmes réalistes de la vie rurale avec d’autant plus de succès qu’il y introduit des résonances idylliques, voire sentimentales. Il s’installe à Barbizon en 1849. Jules Breton (1827-1906), Jules Bastien-Lepage (1848-1884), Léon Lhermitte (1844-1925) s’inspireront, poésie en moins, de ses paysans, mais les vrais successeurs de Millet seront Camille Pissarro, le premier Gauguin*, Seurat* dans son œuvre dessinée (et l’Italien Segantini). Théodore Rousseau poursuit son œuvre teintée de romantisme, mais c’est Charles François Daubigny (1817-1878) qui exercera en Europe l’influence la plus forte. Il peint sur le site même non plus des esquisses préparatoires, mais le tableau lui-même, et son bateau-atelier, utilisé dans les années 60, précède celui de Monet*. Les paysagistes deviennent légion : Camille Flers (1802-1868), Narcisse Diaz de la Peña (1807-1876), Jules Dupré (1811-1889), Constant Troyon (1810-1865), Henri Harpignies (1819-1916), Paul Guigou (1834-1871)... Deux d’entre eux sont des précurseurs directs de l’impressionnisme : le Néerlandais Jongkind*, qui s’installe en France en 1846 et Eugène Boudin*.

Malgré cette contribution massive des paysagistes, le réalisme ne représente qu’une faible partie de la création artistique sous le second Empire. Les amateurs sont peu séduits par les scènes de la vie des travailleurs, à moins que ne s’y ajoutent sentimentalité niaise et recherche du pittoresque. Comme dans l’architecture, le décor, le mobilier, des résurgences des époques précédentes vont diversifier les courants et donner ainsi satisfaction, par un éclectisme* généralisé, à tous les goûts, y compris les plus superficiels. Ingres*, dont les portraits (Monsieur Bertin, 1832) fout la liaison entre David* et le réalisme, va jouer un rôle tout différent dans d’autres domaines : d’une part dans la peinture religieuse, où son influence rejoint celle des nazaréens allemands et que colonisent ses élèves ou imitateurs, avec leurs décorations exsangues des églises de Paris et de Lyon ; d’autre part dans une variété de peinture historique, prolongation du retour à l’antique qui devient grécomanie dans l’entourage du prince Napoléon. La Stratonice (1840) a une descendance nombreuse en France (Léon Gérome, 1824-1904 ; Charles Gleyre, 1806-1874), avec des équivalents en Angleterre (lord Frederick Leighton, 1830-1896). Le passé est reconstitué non plus dans ses fastes et ses crises historiques, mais en des scènes de la vie quotidienne, sur une note familière et anecdotique : recherche réaliste imprévue, qui donne un pendant antique au style troubadour du temps de Louis-Philippe. Désormais, le magasin d’accessoires est complet, et la scène de genre peut être travestie à la mode de toutes les époques et de tous les pays.

La peinture d’histoire proprement dite continue à occuper une grande place, la première même en ce qui concerne les surfaces couvertes, mais aucun véritable créateur ne s’y consacrera au cours de la seconde moitié du xixe s. Paul Delaroche (1797-1856) en France, Louis Gallait (1810-1887) en Belgique, Karl von Piloty (1826-1886) en Allemagne, traitant des sujets romantiques, mais dont ils ont donné des versions prosaïques, voire terre à terre, ont amorcé l’évolution vers une sorte de réalisme archéologique. Remède contre les académismes, le réalisme va être progressivement dévoyé par les académistes sous couvert de reconstitution du passé. C’est des ateliers de Jean-Paul Laurens (1838-1921), de Luc-Olivier Merson (1846-1920), de Cormon (Fernand Piestre, 1845-1924), de François Flameng (1856-1923) et de Georges Rochegrosse (1859-1938) que sort l’art des mairies et des bâtiments officiels de la IIIe République. La défaite de 1870 fait naître en outre une pléiade de peintres de bataille, tel Alphonse de Neuville (1835-1885), qui en traite les épisodes héroïques dans le stylo brutal des romanciers naturalistes.