Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

réalisme (suite)

Dans un sens général, il peut être défini par les caractères qui suivent.
1. Du point de vue stylistique, il s’identifie à un refus de toute transposition, épuration, idéalisation de la forme et de la ligne. Il apparaît ainsi en marge des classicismes ou en réaction contre les périodes où domine une transcription précieuse, élégante du réel : après l’art courtois du gothique* international, dans la sculpture de Claus Sluter*, la peinture de Jan Van Eyck*, le retour à la monumentalité de Giotto*, chez Masaccio* ; après les déformations maniéristes (v. maniérisme), dans la réaction bolonaise (v. académisme) et la diffusion du caravagisme à travers l’Europe.
2. Du point de vue thématique, il se définit par son choix des scènes de la vie quotidienne. Les peintres et les sculpteurs de la fin du gothique mettent en scène les épisodes de la Légende dorée dans des décors et des costumes contemporains ; la peinture hollandaise du xviie s., la peinture « Biedermeier » du début du xixe s. germanique reflètent les modes de vie d’une bourgeoisie aisée. Il y a refus de toute hiérarchie des sujets et donc des genres. Le paysage* et la nature morte* sont mis sur le même plan que l’allégorie et la peinture d’histoire.
3. Du point de vue de la technique picturale, le réalisme devient l’ensemble des moyens mis en œuvre pour refléter le plus fidèlement possible une vision cohérente et convaincante du monde extérieur. Sous cet angle, l’histoire de la peinture devient celle d’un effort progressif vers l’illusion totale, avec comme limites idéales les raisins en trompe l’œil du Grec Zeuxis, qui attiraient les oiseaux, et le rendu prétendument objectif de l’appareil photographique. Les approches sont multiples :
— réalisme du volume contre la stylisation et la transcription purement calligraphique des formes ;
— réalisme de l’espace dans la conquête de la vision perspectiviste de la Renaissance* ;
— réalisme de la couleur contre toute transposition conventionnelle ou décorative (disparition des fonds dorés à la Renaissance ; généralisation de la peinture à l’huile, qui permet de détailler les nuances à l’infini) ;
— réalisme de la lumière (du sfumato de Léonard* de Vinci au clair-obscur de Rembrandt* ; découverte de la perspective aérienne) ;
— réalisme du rendu anatomique, dans son individualité et non plus comme type idéal.

La notion de réalisme prend ici une telle extension qu’à la limite aucune œuvre figurative ne peut lui échapper totalement.

La date de 1846 est généralement retenue comme point de départ du mouvement réaliste. Des contacts continuels ont alors lieu à Paris entre artistes et écrivains, en particulier à la brasserie Andler Keller. Des critiques jouent un rôle important : Champfleury (Jules Husson, 1821-1889), qui annonce dans son roman Chien-Caillou (1847) le Flaubert de Madame Bovary, qui étudie l’œuvre des frères Le Nain et qui imposera le terme de réalisme ; Louis Edmond Duranty (1833-1880), futur directeur de la revue Réalisme (1856-57), avant de devenir le soutien des impressionnistes ; Théophile Thoré, dit Bürger (1807-1869), exilé de 1849 à 1860, qui redonnera sa place à l’œuvre de Vermeer ; Jules Antoine Castagnary (1830-1888), qui fait les comptes rendus des Salons de 1857 à 1879 ; Proudhon*, enfin, ami de Courbet, qui écrit en 1865 Du principe de l’art et de sa destination sociale.

Réaction contre le romantisme, le réalisme rejoignait des préoccupations d’ordre social et humanitaire qui furent à l’origine des révolutions de 1848 en France et en Europe. L’art a un rôle social à remplir ; il doit se dégager de cette recherche de l’exceptionnel, du surhumain, de ce culte exacerbé de l’individualité qui caractérisaient l’œuvre des artistes romantiques. Aux destinées des héros s’opposent celles des hommes de la rue ou de la campagne, représentés dans leur cadre de vie, accomplissant leur labeur quotidien. Avec les idées du positivisme, du socialisme, l’espoir en la science et le progrès, le travail apparaît en effet comme le fondement de toute valeur humaine et économique. Cette idée force du réalisme ne se reflétera, cependant, que très épisodiquement dans les arts plastiques. Le matérialisme historique de Marx* ne suscitera qu’au xxe s., en Russie soviétique, une production artistique qui en soit un reflet cohérent, malheureusement d’une manière peu convaincante du point de vue esthétique.

Le réalisme a eu des précédents avant 1848. L’œuvre de Géricault* est la plus importante à cet égard : Géricault traite d’événements de l’actualité (radeau de la Méduse, affaire Fualdès), du monde du travail (entrepôts, fours à plâtre) et de sujets sportifs qu’il importe d’Angleterre (courses, boxe) ; il fait des portraits d’aliénés, qui constitueront un des points de départ de Courbet ; enfin, il l’ait usage de la lithographie. Ce moyen populaire de diffusion est repris notamment par Daumier* avec des scènes comme la Rue Transnonain (1834). Par ailleurs, en 1835, un Joseph Ferdinand Boissard de Boisdenier (1813-1866) donne, dans son Épisode de la retraite de Russie (musée de Rouen), une vision de la guerre sans le moindre panache.

La peinture de paysage* joue également un grand rôle. Dans ce genre de second plan, lié à l’époque néo-classique à la représentation de sites italiens, une réaction se dessine, qu’illustre l’évolution de Corot* ; la campagne romaine est remplacée par celle des provinces françaises. Théodore Rousseau s’installe à Barbizon*, et ses vues de forêt s’opposent à la nature idéale des derniers « classicisants » comme aux atmosphères tourmentées des romantiques. L’influence du paysage anglais (l’école de Norwich, Constable*, Bonington*) est déterminante dès avant 1830.

Celle des Hollandais du xviie s. n’est pas moins forte : Ruysdael*, Meindert Hobbema, Van Goyen* sont les plus admirés, ainsi que Paulus Potter, dont le Taureau a une nombreuse descendance de Constant Troyon (18104 865) à Rosa Bonheur (1822-1899). Quant aux peintres de genre* (Pieter de Hoogh*, Gabriël Metsu, Frans Van Mieris), leur influence, qui n’avait jamais cessé, aboutira à Ernest Meissonier (1815-1891), à Mariano Fortuny (1838-1874) et à leurs innombrables imitateurs.