Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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réalisme (suite)

L’éclectisme triomphe non seulement du point de vue des sujets traités en des styles plagiés, mais aussi dans les techniques adoptées. Pour un Courbet ou un Manet qui trouvent dans le passé des exemples qu’ils assimilent pleinement, combien d’autres ne recherchent que le clinquant de la couleur, le blaireauté de la pâte, la touche posée de chic. Le faire large de Ribera et de Frans Hals* est exploité par Carolus-Duran, Mihály Munkácsy (1844-1900), Anders Zorn (1860-1920) et se prolongera, combiné avec des élégances à la Van Dyck*, chez Paul Helleu (1859-1927), Giovanni Boldini (1842-1931) ou John Sargent (1856-1925), peintres des mondanités européennes. C’est au contraire le papillotement coloré qui règne chez Meissonier et Benjamin Constant (1845-1902) en France, chez Fortuny en Espagne, chez Adolf Menzel (1815-1905) en Allemagne, chez Hans Makart (1840-1884) à Vienne, chez Francesco Paolo Michetti (1851-1929) et Antonio Mancini (1852-1930) à Naples, peintres de grand talent, mais que leur virtuosité même condamne à une superficialité brillante. Plus loin encore du réalisme est le retour au xviiie s., qui prend naissance dans l’entourage de l’impératrice. Un courant néo-romantique subsiste enfin, sensible dans l’œuvre d’un Diaz ou d’un Henri Fantin-Latour (1836-1904), et le symbolisme* s’annonce avec Gustave Moreau*.

Alors qu’en littérature le réalisme affirme ses positions avec Zola et le naturalisme, il semble donc, en peinture, être de plus en plus submergé : ses thèmes austères, son refus de la virtuosité gratuite vont l’empêcher, en effet, de s’imposer à la majorité du public. Mais il va trouver un prolongement imprévisible avec les impressionnistes (v. impressionnisme). Abandonnant le rendu conventionnel du motif qu’engendre le travail en atelier, ces peintres cherchent à capter l’aspect le plus fugitif, le plus transitoire du réel grâce à une restitution de la sensation optique, recréée à travers la division de la touche. Quant à Manet*, à Degas*, à Toulouse-Lautrec*, ils prennent leurs sujets dans la vie courante, mais cadrent la figure humaine avec une hardiesse sans précédent et s’inspirent des clichés photographiques ou des estampes japonaises. Par contre, les préoccupations sociales du réalisme disparaissent. Degas s’intéresse aux repasseuses et aux modistes pour les mêmes raisons qu’il peint les danseuses ou les femmes à leur toilette : la recherche de l’attitude corporelle, qu’il fixe en des poses imprévues. Les œuvres de Frédéric Bazille, de Monet*, de Camille Pissarro, d’Alfred Sisley, de Renoir* reflètent avant tout les charmes des beaux jours à la campagne, du bonheur protégé de la petite et moyenne bourgeoisie. Bonnard* et Édouard Vuillard reprendront les mêmes thèmes, mais dans la note d’un intimisme encore plus calfeutré.


La sculpture

En sculpture, le réalisme n’a pas de grands créateurs qui puissent lui être entièrement rattachés. Alors qu’en Allemagne et en Grande-Bretagne le néo-classicisme se prolonge fort avant dans le siècle, la France a des sculpteurs romantiques, récusant souvent toute transposition idéaliste. Rude* et son Pêcheur napolitain (1833) ou son tombeau de Cavaignac (1847), Barye* et ses fauves, Préault* (qui sera l’un des habitués de la Andler Keller) et sa Tuerie (1834) sont plus réalistes que leurs successeurs, qui succombent à l’éclectisme et aux recherches de « style ». Une des influences les plus marquantes sera celle de la Renaissance florentine, mais l’admiration pour Donatello*, Verrocchio* et Giambologna* n’aboutira, à l’exception de Rude et de Carpeaux*, qu’à des œuvres correctes, mais insipides. Les programmes sont de plus en plus contraignants pour les artistes : édifices publics au décor surcharge et allégorique, morceaux de bravoure pour affronter la compétition des Salons. C’est aussi l’époque des grands hommes dans tous les squares et à tous les carrefours, et les intentions commémoratives priment, stérilisant toute recherche originale, comme le démontrera la polémique autour du Balzac de Rodin*. Emmanuel Frémiet (neveu de Rude, 1824-1910), Frédéric Auguste Bartholdi (1834-1904) et ses œuvres gigantesques illustrent cet académisme sclérosé. Le seul sculpteur authentiquement réaliste est sans doute Jules Dalou*, qui, lorsqu’il échappe à l’allégorie, sculpte des travailleurs ou des femmes lisant et s’occupant de leurs enfants. Carpeaux est inclassable, conservant une fougue romantique et employant une technique de modelage quasi impressionniste. Autres cas exceptionnels : Degas, avec ses statuettes de chevaux et de danseuses, et Rodin, qui, de l’Homme au nez cassé (1864) aux Bourgeois de Calais (1884-1889) et à la Belle Heaulmière (1885), a donné d’authentiques chefs-d’œuvre du réalisme.


Le réalisme en Occident

Hors de France, il n’est pas plus aisé d’isoler les courants réalistes. Des influences directes de Courbet, de Millet ou de Daubigny sont repérables. Mais il y a naturellement des centres de création qui ne doivent rien à Paris. Là encore interfèrent de multiples tendances : séquelles du romantisme, prélude au symbolisme, éclectisme historicisant, impressionnisme sous ses dehors les plus artificiels.

Aux Pays-Bas, La Haye* est le centre d’une école de paysagistes qui regardent du côté de Barbizon et de Corot : Hendrik Willem Mesdag (1831-1915), dont l’immense panorama, grande mode de l’époque, est encore conservé à Scheveningen ; Anton Mauve (1838-1888) ; les trois frères Maris : Jacob (1837-1899), Matthijs (1839-1917), Willem (1844-1910). Jozef Israëls (1824-1911) est un pendant hollandais de Millet, et tous deux auront une influence déterminante sur la période noire de Van Gogh*, celle des tisserands et des mangeurs de pomme de terre ; George Hendrik Breitner (1857-1923) est un beau peintre, aux pâtes épaisses à la Frans Hals.

En Belgique, Louis Dubois (1830-1880) et la Société libre des beaux-arts, fondée en 1868, assurent une grande diffusion aux idées de Courbet. Les thèmes du travail apparaissent plus souvent qu’ailleurs : Charles Hermans (1839-1924), dans À l’aube, fait se croiser fêtards et ouvriers ; Charles De Groux (1825-1870) peint des paysans, comme feront Léon Frédéric (1856-1940) et Eugène Laermans (1864-1940). L’œuvre la plus importante est celle de Constantin Meunier (1831-1905) ; d’abord peintre, il se consacre ensuite à la sculpture monumentale, traitant des épisodes de la vie des mineurs et des débardeurs.